la philosophie en Islam, aient tous été des Arabes de race ou de nation; un grand nombre notamment furent des Iraniens; ils ont également écrit en persan ( à commencer par Avicenne lui-même) et parfois uniquement en persan (l'Ismaélien Nâsir Khosraw).
Publié le 21/10/2012
Extrait du document
«
ment dans l'admirable épopée mystique
persane de Farîdaddîn Attâr (xu• siècle) ; Salamân el Absâl sont les deux héros de la partie finale du Livre des Directives (Ishârât).
Ce ne sont point là des allé
gories, mais des symboles.
Non pas affa
bulations de vérités théoriques pouvant être dites autrement, mais figures rypifiant le drame intime personnel, l'apprentissage de toute une vie.
Le symbole est chiffre et
silence; il dit et ne dit pas.
On ne l'ex
plique jamais une fois pour toutes; il s'épanouit au fur et à mesure que chacun parvient soi-même à y éclore, c'est-à-dire
à en faire le chiffre de sa propre transmu
tation.
La figure et le rôle de l'Ange qui est
l'Intelligence active, permettent de com prendre les destinées ultérieures de l' avi
cennisme.
C'est à cause d'elle que fut mis en échec un pur avicennisme latin; le monothéisme orthodoxe ne pouvait qu'en être alarmé, pressentant que loin d'être
immobilisé et ordonné sous sa conduite
à une fin inférieure, le philosophe pouvait être entraîné par elle vers d'imprévisibles
au-delà, en tout cas par-delà les dogmes.
L' avicennisme ne fructifia qu'au prix
d'une altération radicale (dans l'augus
tinisme avicennisant analysé par E.
Gil
son).
C'est dans la direction d'Albert
le Grand (celle de son disciple Ulrich de Strasbourg, celle des précurseurs des mystiques rhénans), qu'il reste à en analyser les effets.
Mais, tandis que la crue de l'averroïsme devait submerger les
effets de l' avicennisme en chrétienté, tout
autres en furent les destinées en Orient.
Ni la critique d' al-Ghazzâli, ni l' aver
roïsme, n y ont été retenus, ni même connus, comme ayant l'importance que leur ont donnée nos historiens de la
philosophie.
Le continuateur d'Avicenne
est Sohrawardî (ob.
II9I), dont l'œuvre fut de mener à bien le projet de « philo
sophie orientale» en l'instaurant délibé
rément sur une base toute nouvelle; une résurrection de la philosophie de la
Lumière (lshrâq), qui était celle de l'ancienne Perse.
C'est cet avicennisme
sohrawardien qui connut un magnifique essor dans l'Ecole d'Ispahan au XVI 8
et au xvu• siècle, et dont les effets sont restés vivants en Iran shî 'ite jusqu'à nos jours : Mîr Dâmâd, Sadrâ Shîrâzî, Qâzî Sa'îd Q_ommî et tant d'autres
grands noms, malheureusement absents de nos tableaux de philosophie comparée.
Tandis que la pensée philosophique, par
tout ailleurs dans le monde de l'Islam, est tombée en sommeil, ces maîtres de l'avicennisme donnent à l'Islam iranien
shi' ite une conscience philosophique.
L' i dentification de l'Ange de la Révélation,
qui est l'Esprit-Saint, avec l'Intelligence
active fondait une philosophie de l'Esprit,
profondément différente de ce qui s'est
appelé ainsi en Occident et dont l'analyse
oblige à remonter jusqu'aux options pré
cédemment signalées.
D'autre part, en transférant à l'idée de l' lmâm comme Homme Parfait, les prémisses de la pro
phétologie posées dans la doctrine avi
cennienne de l'intellect, l'imâmologie
trouvait son expression philosophique
(comme ailleurs la christologie) et donnait sa physionomie propre à l'imâmisme,
c'est-à-dire à l'Islam shî'ite.
A
très grands traits,
cet aperçu permet d'entrevoir combien l'œuvre d'Avicenne
et l' avicennisme débordent le contexte trop étroit dans lequel nous avons eu trop longtemps l'habitude de les considérer.
HENRY CORBIN
AL GAZALI (Iosg-IIII)
prqfessa à Damas.
Ce difenseur d'une foi que menaçait la diffusion du péripa
tétisme et le développement de la spécula
tion rationnelle dans l'Islam, fait montre,
dans sa rifutation de la philosophie - grecque, mais aussi arabe - d'une rare exigence philosophique.
Ainsi de sa cri
tique de l'idée de cause naturelle.
Sa pensée est par là d'apparence ambiguë, et
Averroès crut qu'il cherchait à se garantir des théologiens.
Mais les titres de ses ouvrages - Destruction des Philo
sophes, Rénovation Religieuse -, en indiquent l'intention profonde : son scepticisme philosophique lui permet
d'écarter toute doctrine dont la foi s'in quiète.
Reprochant aux philosophes leur
impuissance à démontrer l'unité de Dieu et son immatérialité, la spiritualité de l'âme et son immortalité, il s'élève contre
la thèse de l'éternité du monde, incompa
tible avec la liberté divine, contre celle de l'éternité du temps, contradictoire comme la notion même de nombre infini.
C'est
aussi un moraliste, peut-être trop ingé
nieux.
( H.D.)
AVERROÈS (u26-ug8)
De l'Orient du Dâr al-lslâm, nous
passons à son Extrême-Occident.
Le climat spirituel est autre; tandis qu'en
Orient s'élabore le platonisme néozoroas
trien de Sohrawardî (préfigurant le des
sein du Byzantin Gémiste Pléthon}, nous venons ici en un climat où domine un penseur qui se veut consciemment et déli
bérément aristotélicien.
La réputation des grands philosophes de l'Andalousie (Ibn
Masarra, Ibn Badja, Ibn Tofayl) pâlit
quelque peu devant
le nom d'Averroès
(Ibn Roshd}, le philosophe de Cordoue.
Il semblerait que le souci dominant de chaque historien ait été de montrer
qu'Averroès appartint à son propre camp,
dans le grand débat mettant en cause les rapports de la philosophie et de la
religion.
Renan fit de lui un libre penseur
avant la lettre; par réaction, des travaux récents tendent à le montrer comme un apologiste du Koran, voire comme un théologien, le plus souvent sans s' expli quer sur le sens de ce mot.
On ne devrait
jamais oublier que les problèmes qui ont
absorbé la chrétienté, n'ont pas forcé
ment leurs équivalents exacts en Islam; ne pas oublier surtout que ce dernier ignore tout magistère dogmatique ana logue à celui de l'Eglise.
En fait, le propos d'Averroès est déterminé par un impérieux discernement des esprits; le texte religieux comporte une lettre exoté
rique (zâhir) et un ou plusieurs sens ésotériques (bâtin); mais l'on provo
querait les pires catastrophes psycholo
giques et sociales en dévoilant intempes
tivement aux ignorants et aux faibles
le sens ésotérique des enseignements reli-gieux.
Néanmoins,
il s'agit toujours d'une même vérité se présentant à des plans d'in terprétation différents.
Il était abusif d'attribuer à Averroès lui-même l'idée de deux vérités contradictoires.
Pour en arriver là, il fallait tout ignorer des propriétés de cette opération mentale qui
s'appelle ta 'wîl, c'est-à-dire exégèse symbolique.
Précisément, on ne peut étu
dier le ta 'wîl pratiqué par Averroès,
sans connaître comment il fut mis en œuvre ailleurs, chez un Avicenne, un Sohrawardî, d'une manière générale dans le soufisme et dans le shi' isme, et par
excellence dans l'ismaélisme.
La com paraison peut alors dégager les motifs
et les conséquences de la cosmologie d'Averroès qui aboutit à détruire la seconde hiérarchie de l' angélologie avi
cennienne, celle des Ames célestes repré sentant en propre le monde des Images
et de l'Imagination active, par qui sub
siste l'univers des symboles.
Avec la disparition de ce monde intermédiaire,
s'efface l'idée d'une nouvelle naissance
de l'âme liée à sa progression dans la
nuit des symboles.
Le ta 'wîl peut dégé nérer en pure technique.
Au lieu de s'interroger sur le rationalisme d' Aver roès en présupposant les données qui furent
propres aux conflits internes de la pensée chrétienne, il convient d'insérer la question
dans le .
seul contexte qui lui donne son sens vraJ.
Parce que son propos est de restaurer une cosmologie qui soit dans le pur
esprit d'Aristote, Averroës reproche à
Avicenne son schéma triadique qui inter
pose l'Ame céleste entre l'Intelligence séparée et l'orbe céleste.
Le moteur de chaque orbe est une vertu, une énergie
finie, acquérant une puissance infinie par le désir qui le meut vers un être qui n'est ni un corps, ni une puissance subsistant
dans un corps, mais une Intelligence séparée qui meut ce désir comme étant sa cause finale.
C'est par homonymie,
pure métaphore, que l'on peut donner le nom d'âme à cette énergie motrice, à ce désir qui est un pur acte d'intellection.
Ce qui motive cette critique, c'est une prise de position fondamentale contre l' é manatisme avicennien, contre l'idée d'une
procession successive des Intelligences à
partir de l'Un.
Dans ce qui l'apparente encore à l'idée de création, cette idée est inintelligible à un péripatéticien de stricte observance.
Il n'est point de cause créatrice.
S'il existe une hiérarchie dans
la cosmologie, c'est parce que le moteur de chaque orbe désire non seulement
l'intelligence particulière à son Ciel,
mais également l'Intelligence suprême.
Celle-ci peut alors
en être dite la cause, non point comme émanatrice, mais au sens où « ce qui est compris » est cause de « ce qui le comprend », c'est-à-dire comme cause finale.
De même que toute
substance intelligente et intelligible peut
en ce sens être cause de plusieurs êtres,
puisque chacun de ces êtres la comprend
à sa manière, de même le Primum Movens, puisque de Ciel en Ciel le moteur de chaque orbe le comprend dif
féremment.
Ainsi donc, ni création ni
processions successives, mais simulta
néité dans
un commencement éternel; le principe rigoureux - Ex uno non fit
377.
»
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