La perception peut-elle fonder le savoir ?
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
tour me paraît cette fois carrée, mon premier jugement de perception devient faux parce que je l'avais formulé àpartir de l'apparence de l'objet, apparence déformée par la distance.
Les jugements de per ception ne sont doncpas fiables car la vérité qu'exige le savoir n'est pas de l'ordre de l'apparence.
Ainsi lorsque Lavoisier pèse un morceau de plomb avant et après l'oxydation, cette expérience lui apprend, contre toute l'évidence de la perception sensible, que le plomb oxydé est plus lourd que le plomb, qu'il y a gainaprès la combustion et non perte.
Dans ces conditions, la perception peut être considérée comme « un obstacle épistémologique » selon Bachelard, au sens où elle gêne la constitution du savoir scientifique en empêchant la raison de poser lesproblèmes et de les résoudre.
La perception fait écran à la vérité, que seule la rai son peut énoncer.
Radicalisantcet écart entre le savoir et la perception, Bachelard montre que la perception et ses images induisent l'esprit enerreur.
Copernic va s'attacher « à ne plus rien percevoir », à se défaire de la perception des sens ou encore, commele dirait Descartes, à « détourner son esprit des sens » ( Méditations métaphysiques ).
Il va émettre une hypothèse radicale, fondatrice de toute l'astronomie scientifique, et qui ne doit rien à la perception, mais tout àla raison et au calcul.
Si, en dehors de toute apparence, on fait l'hypothèse que tout est toujours en mouvement,que la Terre qui semble immobile est, en fait, en mouvement, alors le mouvement des planètes pourrait devenirrationnel.
Copernic inaugure ainsi la démarche de tout savoir scientifique en disqualifiant la perception dans la recherchede la vérité.
Le vrai n'est pas le vraisemblable que nous livre la per ception des apparences, mais un produit de laraison.
La perception peut donc être trompeuse et induire en erreur.
Mais si elle peut être trompeuse, bien souvent elle est encore plus radicalement inutile pour la constitution dusavoir scienti fique.
Comme le développe Aristote, « savoir, c'est, connaître par le moyen de la démonstration » (Seconds Analytiques , I) et non par le moyen de la perception.
L'exemple le plus frappant de cette inutilité de la perception est peut-être celui de la découverte de la planète Neptune en 1845 par Le Verrier.
L'astronome observeun mouvement irrégulier de la planète Uranus.
En utilisant les lois de Newton sur l'attraction des corps célestes etaprès des calculs, il annonce l'existence d'une planète, jusque-là inconnue, en détermine la forme, la position et lejour où on pourra la percevoir.
Trois semaines après, on perçoit effectivement une nouvelle planète, Neptune.L'existence de cette planète a été découverte à partir d'une hypothèse liée à la théorie de l'attraction ; c'est laprésence de cette masse alors inconnue qui explique la déviation du trajet d' Uranus en raison de l'attraction quis'est exercée entre ces deux corps célestes.
C'est la théorie qui construit le savoir scientifique et non laperception.
Au niveau de la simple perception, l'irrégularité du trajet d'Uranus reste irrationnelle et non instructive.
Aujourd'hui, en microphysique nucléaire, il n'y a même plus de perception de l'objet, car il n'y a plus d'objet à perce voir, mais seulement des lois à concevoir par la raison. L'atome n'est pas un objet matériel perceptible.
Il est entière ment construit par la raison et devient un système d'équations complexes.
En conséquence, la criseactuelle de la perception dans les sciences de l'astronomie et de la microphysique n'est nullement un obstacle auprogrès du savoir scientifique qui continue à se développer de manière autonome, indé pendamment des donnéesde la perception, parce que fon damentalement savoir n'est pas percevoir.
Si le savoir scientifique, ainsi que le savoir philosophique, se méfient des affirmations fondées sur la perception,et même les rejettent pour ne s'en remettre qu'au seul usage de la raison, devons-nous alors disqualifierdéfinitivement la perception en la considérant comme une faculté trompeuse et vaine dans la recherche de lavérité ou bien peut-on lui reconnaître une autre fonction ?
La perception est très précisément la faculté dont je me sers pour agir.
En effet, quand je dis que je perçois cetescalier qui apparaît dans le champ de ma perception, je le perçois en tant que je vais le monter ou le descendre.La perception choisit et sélectionne ce qui intéresse mon action.
Elle est anticipation des mouvements du corps et de leurs effets ; bien percevoir, c'est connaître par avance quel mouvement je devrais faire pour arriver à ces fins.
Autrement dit, c'est mon corps qui est le sujet de la perception.
Comme le dit Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception , la perception « découpe la chair du monde » pour y délimiter des espaces possibles pour mon action.
En ce sens, la perception n'assurerait-elle pas une fonction existentielle quiserait essentielle à l'homme ?
Si Lucrèce reconnaissait que « leurs perceptions [des sens] ....
de tous les instants sont vraies » (De la nature des choses , I), il faisait de la perception un bon conducteur du réel en nous reliant immédiatement et sans détour à ce qui est et se présente dans la ponctualité de l'instant.
Mais c'est précisément ce lien de la perception avecles données sensibles immédiates qui l'avait disqualifiée comme faculté de connaissance.
Or, Lucrèce va récupérer.
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