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La passion est-elle nécessairement une aliénation ?

Publié le 17/01/2022

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 Y a-t-il un lien absolu entre passion et aliénation ? Le passionné est-il un aliéné ? Pourquoi la passion serait-elle \"nécessairement\" une aliénation ? Le terme \"nécessairement\" est un terme très fort en philosophie. Il désigne ce qui est et qui ne peu pas ne pas être. Ce terme sous-entend qu'il est obligatoire qu'une passion soit une aliénation, et que la raison n'a aucune force pour empêcher cet asservissement de l'individu. Or, pour Descartes (par exemple, dans le Traité des passions de l'âme), cette nécessite ne devrait pas pouvoir être, puisque la raison permet à l'homme d'être libre et autonome, et non soumis aux passions. Il dira même: \"Il n'y a point d'âme si faible, qu'elle ne puisse étant bien conduite acquérir un pouvoir absolu sur ses passions\". Le rationalisme proclame l'absolue maîtrise de la volonté sur les élans passionnels. Mais cette toute-puissance de la raison n'est- elle pas une illusion, un fantasme ascétique ? L'homme face aux passion, n'est-il pas un roi nu, un souverain sans sceptre ? La passion ne peut pas être une fatalité (Spinoza, Éthique). Quel que soit le pouvoir des passions, l'homme n'est pas condamné à les subir, à se laisser emporter par elles. Il doit essayer de comprendre leur force pour pouvoir leur échapper. Cela permet de passer d'une nécessite extérieure (on subit la passion), à une nécessité intérieure (l'action par la passion). 1. Description de l'état passionnel L'étymologie peut nous aider à définir le terme de « passion ». Il nous vient du verbe « patior », qui signifie « souffrir », « éprouver », « endurer », « supporter », et du substantif « passio », qui désigne la « souffrance » et la « maladie ». La « passion » serait donc, au sens premier, un état de souffrance et de dépendance, d'attente passive. Nous retrouvons cette acception dans notre verbe « pâtir », et dans « la passion de J . C. », expression qui évoque l'ensemble des épreuves endurées par le Christ jusqu'à son supplice et à sa mort. Nous verrons que la « passion » a également été considérée par divers auteurs comme une « maladie de l'âme », nécessitant la recherche de « remèdes ». Mais le concept a évolué ; la psychologie et la psychanalyse, définissent aujourd'hui la passion comme un état affectif qui se manifeste par un attachement exacerbé, exclusif et durable à un objet, au point de dominer la personnalité du sujet et de déterminer son comportement. Précisons des points de la définition.

La nature aliénante des passions nous prive-t-il de notre libre arbitre ? Faudrait-il les éradiquer afin de recouvrer  notre possibilité de choix? Ou, à l'inverse, y a-t-il une possible conciliation entre la liberté et la réalisation de nos passions ? Les passions peuvent-elles se mettre au service de la Raison ?

« « Rien de grand en ce monde ne s'est accompli sans passion » (Hegel) lapassion est aussi à l'origine des grandes réalisations humaines, qu'elles soientscientifiques, techniques ou politiques, car la passion est une force, uneénergie.La passion est une ruse de la Raison, le moyen dont use la Raison absoluepour faire progresser l'Histoire vers sa propre réalisation en s'arrachant à sesdéterminations particulières.

Dans la passion, en effet, l'homme « se projettesur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentredans ce but ses forces et tous ses besoins ».

Et c'est parce que le grandhomme est passionné qu'il « ne se disperse pas dans une multituded'objectifs, mais est entièrement voué à la fin qui est sa véritable fin ».

Lespassions humaines constituent donc l'élément actif de l'histoire, celui qui meten branle les événements de portée universelle.

Aussi peut-on dire que « riende grand ne s'est accompli dans le monde sans passion ». Paradoxalement, et selon les romantiques, elle constitue la source des actionsles plus élevées et les plus importantes, car la froide raison est incapabled'aussi grandes réalisations.

La passion a visage humain : loin de rattacherl'homme à la bête ou à l'animal, la passion est au contraire ce qui distinguel'homme, au même titre que la raison ou le langage.

C'est elle qui est àl'oeuvre dans tous les bouleversements de l'histoire humaine.

Elle estomniprésente dans l'évolution des sociétés. La passion a souvent été méprisée comme une chose qui est plus ou moins mauvaise.

Le romantisme allemand et, enparticulier, Hegel restituent à la passion toute sa grandeur.

Dans une Introduction fameuse (« La Raison dans l'histoire ») à ses « Leçons sur la philosophie de l'histoire » - publiées après sa mort à partir de manuscrits de l'auteur et de notes prises par ses auditeurs -, on peut lire (trad.

Kostas Papaioannou , coll.

10118): « Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont participé.

Cet intérêt nous l'appelonspassion lorsque, écartant tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un objectifavec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins.

En cesens, nous devons dire que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion. » L'histoire est en apparence chaos et désordre.

Tout semble voué à la disparition, rien ne demeure : « Qui a contemplé les ruines de Carthage , de Palmyre , Persépolis , Rome , sans réfléchir sur la caducité des empires et des hommes, sans porter le deuil de cette vie passée puissante et riche ? Ce n'est pas comme devant la tombe desêtres qui nous furent chers, un deuil qui s'attarde aux pertes personnelles et à la caducité des fins particulières:c'est le deuil désintéressé d'une vie humaine brillante et civilisée. » L'histoire apparaît comme cette « vallée des ossements » où nous voyons les réalisations « les plus grandes et les plus élevées rabougries et détruites par les passions humaines », « l'autel sur lequel ont été sacrifiés le bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus ».

Elle nous montre les hommes livrés à la frénésie des passions, poursuivant de manière opiniâtre des petits buts égoïstes, davantage mus par leurs intérêts personnelsque par l'esprit du bien.

S'il y a de quoi être triste devant un tel spectacle, faut-il, pour autant, se résigner, y voirl'œuvre du destin ? Non, car derrière l'apparence bariolée des événements se dévoile au philosophe une finalitérationnelle : l'histoire ne va pas au hasard, elle est la marche graduelle par laquelle l'Esprit parvient à sa vérité.

LaRaison divine, l'Absolu doit s'aliéner dans le monde que font et défont les passions, pour s'accomplir.

Telle est: « la tragédie que l'absolu joue éternellement avec lui-même: il s'engendre éternellement dans l'objectivité, se livre souscette figure qui est la sienne propre, à la passion et à la mort, et s'élève de ses cendres à la majesté ». Ainsi, l'histoire du devenir des hommes coïncide avec l'histoire du devenir de Dieu.

Etats, peuples, héros ou grandshommes, formes politiques et organisations économiques, arts et religions, passions et intérêts, figurent la réalité del'Esprit et constituent la vie même de l'absolu . « L'Esprit se répand ainsi dans l'histoire en une inépuisable multiplicité de formes où il jouit de lui-même.

Mais sontravail intensifie son activité et de nouveau il se consume.

Chaque création dans laquelle il avait trouvé sajouissance s'oppose de nouveau à lui comme une nouvelle matière qui exige d'être oeuvrée.

Ce qu'était son œuvredevient ainsi matériau que son travail doit transformer en une œuvre nouvelle. » Dans cette dialectique ou ce travail du négatif, l'Esprit, tel le Phénix qui renaît de ses cendres, se dresse chaque fois plus fort et plus clair.

Il se dresse contre lui-même, consume la forme qu'il s'était donnée, pour s'élever à uneforme nouvelle, plus élevée.

De même que le Fils de Dieu fut jeté « dans le temps, soumis au jugement, mourant dans la douleur de la négativité », pour ressusciter comme « Esprit éternel, mais vivant et présent dans le monde », de même l'Absolu doit se vouer à la finitude et à l'éphémère pour se réaliser dans sa vérité et dans sa certitude. Dès lors, ce n'est pas en vain que les individus et les peuples sont sacrifiés.

On comprend aussi que les passionssont, sans le savoir, au service de ce qui les dépasse, de la fin dernière de l'histoire: la réalisation de l'Esprit ou deDieu.

Chaque homme, dans la vie, cherche à atteindre ses propres buts, cache sous des grands mots des actionségoïstes et tâche de tirer son épingle du jeu.

Et la passion, ce n'est jamais que l'activité humaine commandée pardes intérêts égoïstes et dans laquelle l'homme met toute l'énergie de son vouloir et de son caractère, en sacrifiant à. »

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