La parole suffit-elle à faire échec à la violence ?
Publié le 11/02/2019
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Se réservant l’usage légitime de la violence, l’État prévoit des violences illégitimes. Elles sont interdites par l’ensemble des lois, qui sont l’équivalent d’une parole d’État, fixée par le texte. Mais les lois n’empêchent pas la violence privée de se déchaîner : toute société connaît des meurtres, des agressions, des violences sur les personnes ou sur leurs biens. La loi, sans doute, a le dernier mot, puisque celui qui la bafoue sera puni par ses représentants (police et justice), et ce sera, dans les cas les plus graves, « au nom du peuple » que représente l’État.
Lorsque la loi, équivalent d’une parole collective ou générale (au sens ou Rousseau évoque la « volonté générale »), veut interdire la violence, elle est donc amenée à prévoir comment elle devra sanctionner la violence qui aura eu lieu malgré elle, afin que « force reste à la loi ». C’est que l’interdit appelle sa transgression : il la prévoit nécessairement en instaurant la limite à partir d’où elle se définit. Là où il n’y pas d’interdit, il n’y a pas de transgression possible, comme là où il n’y a pas de parole, il n’y a que la violence. Mais on peut se demander si, de même que la loi « inclut » la possibilité de sa transgression, la parole n’« inclut » pas, à sa manière, la possibilité de la violence qui la nie.
«
remarque
toutefois que la parole n'intervient alors qu'après une explosion
de violence (y compris, parfois, de violence verbale) ; elle fera peut-être
échec au retour de la violence, et on doit souhaiter que sa leçon soit rete
nue par tous : que désormais, on pense à parler avant de se taper dessus ...
À ce rythme.
on pourrait penser que la violence ne devrait jamais appa
raître plus d'une fois entre deux communautés -ce dont l'histoire
humaine, même vue de loin, est loin de témoigner.
Si la parole suffit à
faire échec à la violence, il semble qu'elle connaisse aussi de nombreux
échecs dans cette tâche.
[1.
Opposition théorique entre violence et discours]
Dans Gorgias, Calliclès fait sans doute l'éloge de la force et de la vio
lence ; il n'en reste pas moins qu'il continue à dialoguer de manière paci
fique.
Il est de tradition, dans la philosophie.
d'affirmer que le recours au
discours, sous quelque forme que cc soit, interdit à la violence de se
déchaîner.
Cet espoir peut trouver à s'illustrer très quotidiennement.
Tout
d'abord parce que le comportement violent paraît en effet incompatible
avec, non seulement la parole ou le discours, mais bien le langage en
général : je peux avertir mon voisin que je vais le frapper, mais, au
moment où je lui porte un coup, je ne dis plus rien.
Tout au plus suis-je
capable de pousser un cri pour accompagner mon geste.
La violence saisit
le corps entier, elle supprime toute distance parce qu'elle établit un
contact physique, alors que le langage implique au contraire un écart entre
celui qui parle et les choses mêmes qu'il désigne.
L'homme violent n'a droit qu'au cri.
au hurlemem, qui est moins mani
festation de ce qu'il pense que transposition sonore de son effort
physique : on hurle pour s'encourager au combat, le boxeur double son
crochet d'un rugissement ; il ne s'agit dans tous les cas que d'une expres
sion strictement corporelle.
À l'inverse.
parler instaure une communica
tion entre deux esprits ou deux consciences, en même temps qu'un
contrôle sur ce que r on formule : il y faut.
sinon une véritable lenteur, du
moins un rythme qui ne soit plus celui des muscles et des influx nerveux.
Et pour que l'autre réponde, il doit à son tour obéir aux exigences de la
parole : que les mots soient prononcés l'un après l'autre, dans l'ordre
requis, qu'une linéarité s'installe.
Celle-ci contredit le caractère immédiat
de la violence.
Toute parole est médiation, et de multiples manières : entre les per
sonnes, entre les choses évoquées et les consciences, entre le monde et sa
représentation possible.
Il n ·y a pas de médiation dans la violence, elle en
est par principe la suppression.
C'est pourquoi, lorsque le langage lui
même cherche à faire violence à l'autre.
cene violence n'est que symbo
lique : l'injure, l'éclat de voix, la crise de colère peuvent «blesser» l'in-.
»
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