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La notion de nature humaine peut-elle être dangereuse ?

Publié le 12/01/2004

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CITATIONS: « Avant la rencontre d'autrui, et du groupe, l'homme n'est rien que des virtualités aussi légères qu'une transparente vapeur. » Lucien Maison, Les Enfants sauvages, 1964. « Voulez-vous connaître les sentiments, les inclinations et le genre de vie des Grecs et des Romains ? Étudiez bien le caractère et les actions des Français et des Anglais. » Hume, Enquête sur l'entendement humain, 1748.Par cette boutade, Hume veut dire qu'il existe une nature humaine qui demeure une et toujours la même, quels que soient le lieu et l'époque. « La majeure partie de nos états de conscience ne se seraient pas produits chez des êtres isolés et se seraient produits tout autrement chez des êtres groupés d'une autre manière. Ils dérivent donc, non de la nature psychologique de l'homme en général, mais de la façon dont les hommes une fois associés s'affectent mutuellement. » Durkheim, De la division du travail social, 1893. « L'homme ne peut devenir homme que par l'éducation.

De l'Antiquité à nos jours, philosophes, moralistes, essayistes semblent admettre comme allant de soi l'existence d'un homme en général dont la nature est immuable et toujours identique à elle-même. Socrate ne parle pas de la vertu du grec du vie siècle avant Jésus-Christ, ni Sénèque de la colère d'un romain du 1er siècle, ni Descartes des passions d'un gentilhomme tourangeau contemporain de Louis XIII, ni Hume de la nature humaine d'un bourgeois écossais du xviiie siècle, ni Maine de Biran des perceptions obscures d'un préfet de l'Empire, ni Bergson de la mémoire et des habitudes d'un grand universitaire de la Belle époque. Tous parlent de l'homme de partout et de toujours et c'est ainsi que le comprennent leurs lecteurs.  

« L'outil est un intermédiaire entre l'homme et la nature, il est un prolongement du corps anatomique.

A la différence des animaux, les hommes ne sont plus tributaires de leur propre capacitéorganique.

Leur possibilité d'action sur la nature se trouve ainsi considérablement agrandie.

Sans doute, l'usage d'outils est-il propre à des animaux.

Ainsi, par exemple, les singes peuventcontre leurs ennemis, se servir de pierres ou prendre tout ce qu'ils peuvent trouver qui a une force percutante.

Mais ces outils ne sot pas fabriqués, ils ne sont pas mis en réserve ou préparés.Ils sont fournis par la Nature et utilisés dans l'urgence du moment.

Certains hominidés sont aussi capables de fabriquer des outils, d'emmancher deux bambous, par exemple.

Mais ces outils nesont pas perfectionnés.

On peut affirmer que l'outil qui existe à l'état rudimentaire chez les animaux devient un caractère distinctif de l'espèce humaine. « Dès qu'il est tant soit peu développé, le travail ne saurait se passer de moyens déjà travaillés.

Dans les plus anciennes cavernes on trouve des instruments et des armes de pierre.

A côté des coquillages, des pierres, des bois et des os façonnés, on voit figurer au premier rang parmi les moyens de travail, quoiqu'ils se trouvent en germe chez quelquesespèces animales, caractérisent éminemment le travail humain.

Aussi Franklin donne-t-il cette définition de l'homme : l'homme est un animal fabricateur d'outils (a toolmakinganimal).

Les débris des anciens moyens de travail ont pour l'étude des formes économiques des sociétés disparues, la même importance que la structure des os fossiles pour laconnaissance de l'organisation des races éteintes.

Ce qui distingue une époque économique d'une autre, c'est moins ce que l'on fabrique, que la manière de fabriquer, les moyens detravail par lesquels on fabrique.

Les moyens de travail sont les gradimètres du développement du travailleur, et les exposants des rapports sociaux dans lesquels il travaille.

[...] Outre les choses qui servent d'intermédiaires, de conducteurs de l'action de l'homme sur son objet, les moyens du travail comprennent, dans un sens plus large, toutes lesconditions matérielles qui, sans rentrer directement dans ses opérations, sont cependant indispensables ou dont l'absence le rendrait défectueux.

[...] Des moyens de travail de cettecatégorie, mais déjà dus à un travail antérieur, sont les ateliers, les chantiers, les canaux, les routes, etc.

» Marx , « Le Capital », I, 3 ième section, chapitre 7. (b) Le patrimoine social. Chez les animaux, écrit le psychologue soviétique Léontiev , « les progrès se fixent sous forme de modification de leur organisation biologique même, dans le développement de leur cerveau ».

Chez l'homme ,les progrès de l'espèce ne se fixent pas dans un « patrimoine biologique » transmis héréditairement, mais –et c'est là une différence essentielle avec les animaux- dans un « patrimoine social » accumulé.

L'essentiel aujourd'hui pour les hommes, c'est le patrimoine constitué par l'accumulation des outils, des instruments de production, du savoir transmis de génération en génération par voie orale, puis par écriture, par ordinateur, par les bibliothèques, par les institutions scolaires ...

Teilhard de Chardin écrit : « Des institutions aussi conventionnelles que nos bibliothèques et nos musées ou des forces aussi extrinsèques à nos corps que l'éducation ne sont pas si loin qu'on pourrait le croire de constituerà l'humanité une mémoire et une hérédité. » Ce glissement d'un plan à un autre représente un événement fondamental dans l'histoire de l'évolution de l'espèce humaine.

A des fonctions d'acquisitions et de transmissions individuelles detype organiques, telles que l'hérédité et l'instinct, se substituent des procédés collectifs d'ordre social.

« Les individus sont toujours et en toutes circonstances « partis d'eux-mêmes », mais ils n'étaient pas uniques au sens qu'ilsne pouvaient se passer d'avoir des relations entre eux ; au contraire, leurs besoins, leur nature par conséquent, et lamanière de les satisfaire les rendaient dépendants les uns des autres (rapport des sexes, échanges, division du travail) :aussi était-il inévitable que des rapports s'établissent entre eux.

En outre, ils entraient en rapport, non comme de purs moi,mais comme des individus arrivés à un stade déterminé du développement de leurs forces productives et de leurs besoins,et ce commerce déterminait à son tour la production et les besoins [...].

Il s'avère, il est vrai, que le développement d'unindividu est conditionné par le développement de tous les autres, avec qui il se trouve en relation directe ou indirecte ; demême, les différentes générations d'individus, entre lesquelles des rapports se sont établis, ont ceci de commun que lesgénérations postérieures sont conditionnées dans leur existence physique par celles qui les ont précédées, reçoivent d'ellesles forces productives que celles-ci ont accumulées et leurs formes d'échanges, ce qui conditionne la structure des rapportsqui s'établissent entre les générations actuelles.

Bref, il apparaît que c'est une évolution qui a lieu ; l'histoire d'un individu prisà part ne peut en aucun cas être isolée de l'histoire des individus qui l'ont précédé ou sont ses contemporains : son histoireest au contraire déterminée par la leur [...].Nous avons déjà montré plus haut qu'abolir le caractère autonome des conditions existantes par rapport aux individus, lasoumission de l'individualité à la contingence, la subordination des rapports personnelles de l'individu aux rapports de classede caractère général, etc., est en dernière instance conditionné par la suppression de la division du travail.

» Marx, Engels, in « L'Idéologie allemande ». (c) Le langage et la pensée.Nous en arrivons au dernier point le plus caractéristique : celui de « l'homo loquax » (l'homme qui parle) et de « l'homo sapiens » (l'homme qui pense). Le langage est un instrument de communication spécifique à l'homme.

Sans doute, existe-t-il chez les animaux des modes de communication.

Ainsi dans « Vie & moeurs des abeilles », Karl Von Frisch montre que que les abeilles disposent d'un « système de signes différenciés » leur permettant d'indiquer la distance et la direction d'un gisement de pollen.

Les éclaireuses se livrent pour cela à deux sortes de danse.

L'une se fait en cercle et annonce que l'emplacement de la nourriture doit être cherché à une faible distance dans un rayon de 100 mètres environ dela ruche.

L'autre, que l'abeille accomplit en frétillant et en décrivant des huit, indique que le point est situé à une distance supérieure, au-delà de 100 mètres et jusqu'à six kilomètres.

Il y a donc bien, chez les abeilles, une correspondance « conventionnelle » entre le « comportement » et les « données » (direction, distance) qu'il traduit, donc une certaine « capacité de formuler et d'interpréter un signe qui renvoie à une certaine réalité » ( Benvéniste ) On a relevé depuis longtemps des formes rudimentaires de langage chez les animaux, même chez les insectes, et l'on a établi récemment (expérience de Von Frisch ) de façon indubitable l'existence, chez les abeilles, d'un langage constitué par des figures de danse et grâce auquel une butineuse peut indiquer aux autres membres de la ruche la direction et la distance d'unesource de butin qu'elle a découverte.

Mais, les différences avec le langage humain sont considérables et elles aident à prendre conscience de ce qui caractérise en propre celui-ci.Outre que le message n'est pas vocal, mais purement gestuel et nécessite donc la lumière du jour, ce message n'appelle aucune réponse de l'entourage, sinon une certaine conduite, qui n'estpas une réponse.

Les abeilles ne connaissent pas le dialogue, tandis que nous, nous parlons à d'autres qui parlent.

D'où un nouveau contraste: parce qu'il n'y a pas de dialogue pour lesabeilles, la communication se réfère seulement à une certaine donnée objective.

Il ne peut y avoir de communication relative à une donnée linguistique, déjà parce qu'il n'y a pas de réponse,mais aussi en ce sens que le message d'une abeille ne peut être reproduit par une autre qui n'aurait pas vu elle-même les choses que la première annonce.

Dans le dialogue humain, il en esttout autrement: la référence à l'expérience objective et la réaction à la manifestation linguistique s'entremêlent librement et à l'infini.

Enfin, le contenu du message se rapporte toujours chezl'abeille à une seule donnée, tandis que celui des communications humaines est illimité.

En un mot, le langage des abeilles n'est pas un langage, c'est un code de signaux.D'autres animaux, comme les singes, ont recours à des mimiques, à des gestes ou à des cris.

Mais la communication, chez les animaux, reste sur le plan des connaissances perceptibles ou desimpressions affectives.

Ce qu'il y a de caractéristiques dans le langage humain, c'est qu'il parvient à représenter des symboles et à exprimer des idées. Ainsi, chez l'homme, ce ne sont pas les changements biologiques qui jouent le rôle capital mais ce sont les progrès de l'outil, du patrimoine social, de la pensée.

Et quelquesmillénaires d'histoire sociale ot permis à l'homme de réaliser plus de progrès que les centaines de millions d'années d'évolution biologique des animaux.4) L'enfant de l'homme n'a pas de nature.A la naissance, dit Lucien Malson , tous les enfants naissent « psychiquement prématurés ».

Le cerveau ne contient pas telle ou telle aptitude mais seulement l'aptitude à former des aptitudes.

En outre, de tous les êtres vivants, l'homme est, à la naissance, le plus démuni d'instinct.

Le processus essentiel dans le développement de l'enfant, c'est donc comme l'affirmeLéontiev , « l'assimilation ou appropriation de l'expérience accumulée par l'humanité au cours de l'histoire de la société ».

Ainsi l'enfant doit « s'hominiser », cad qu'il doit assimiler le « patrimoine social » pour accéder à l'humanité.

Il n'y a donc pas de nature ou d'essence humaine « inhérente à l'individu isolé ». Un enfant isolé dès la naissance ne peut pas s'hominiser.

Dans « Les enfants sauvages », Malson relate les cas de deux enfants humains élevés avec des loups : Amala & Kamala .

Ces petites filles ont été capturées par un pasteur, en Inde, le 17 octobre 1920, alors qu'elles sortaient d'un terrier d'un loup.

Ces enfants marchaient à quatre pattes, hurlaient la nuit, lappaient, craignaient la lumière, étaient insensibles au froid et au chaud, avaient une acuité visuelle particulière dans l'obscurité et e pouvaient s'exprimer intentionnellement de manièresatisfaisante.

Amala mourut moins d'un an après sa capture.

Kamala qui avait entre sept ou huit ans vécut jusqu'à l'âge de dix-sept ans.

Il fut très difficile de lui apprendre à marcher sur deux pieds.

Pour la parole, au bout de 7 ans d'effort, elle avait acquis quarante-huit mots.

Ces cas nous montrent que les enfants de l'homme ne peuvent devenir des hommes hors dumilieu social: « L'homme sans la société des hommes ne peut être qu'un monstre » (Malson ).

Comme l'affirme Jaspers : « Ce sont nos acquisitions, nos imitations, notre éducation qui font de nous des hommes du point de vue psychique. » ConclusionLa notion de « nature humaine » reste donc une notion à construire : elle ne devient dangereuse que lorsqu'elle se présente comme déjà achevée. SUPPLEMENT: Connais-toi toi même. »

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