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La musique en France de Gounod à Ravel

Publié le 26/02/2010

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A la mort de Rameau, en 1764, l'École française commence à décliner. Elle perd sa vigueur créatrice. Sous la plume élégante et sèche de nos petits maîtres la musique en vient à se figer. Les formes se stratifient, la composition ressortit à un jeu de symétrie, cependant qu'à Vienne, nouvelle métropole de la musique européenne, les forces vives de l'Allemagne et de l'Italie s'affrontent et se composent. De ce conflit va naître, à travers ce qu'on est convenu d'appeler les grandes formes classiques, un art essentiellement dynamique où l'âme germanique exalte et multiplie son goût de l'éternel devenir. C'est en vain que chez nous Hector Berlioz embouche la trompette du romantisme : sa révolution est toute littéraire qui ne porte que sur les éléments accidentels de la musique ­ sur la couleur et non sur la structure : "C'est une chance que ce garçon ne sache pas la musique, déclare cette bonne langue de Rossini, car il en ferait de bien mauvaise". Berlioz crée précisément, avec le poème symphonique, la seule forme qui impose à son art des lois étrangères à son essence.

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« ou d'un paysage choisi.Cette musique, si française, l'est au point de mettre en défaut notre fameuse volontéd'universalité, car il parait bien que Fauré n'est pas souvent prophète hors de son pays.Donc, en dépit du Sturm undDrang, la musique française s'est ressaisie.

La voici rétablie dans ses privilèges.

Rentrée dans ses limites, réinstalléedans ses cadres concis, rien n'autorise à penser qu'elle puisse s'arracher à une commodité si conforme à son génie.C'est alors que, par un prodige sans précédent dans l'histoire de notre art, un homme paraît, le plus français desFrançais, le mieux et le plus instinctivement accordé aux idéaux traditionnels de notre culture.

Le plus éloigné aussides travers qui nous gâtent parfois.

Discret, mais sans sécheresse ; limpide mais profond ; lyrique etmagnifiquement, mais d'un lyrisme intime, net de rhétorique.

Rigoureux certes, et logique selon sa nature, qui al'horreur du vide des systèmes.

Rigueur cachée ; logique secrète et certaine de l'arbre étageant ses ramures.

Etvoici que sans bruit, sans manifestes, sans défi à ses rivaux, sans appel à la justice immanente, Claude Debussy,solitaire dédaigneux, bouleverse la conscience musicale du monde entier et donne soudain à la France la primauté dela musique.C'est ici qu'on mesure l'importance du fait debussyste : à écouter Debussy sans préméditation depastiche, à l'imiter en opérant comme il opère, la plupart des Écoles étrangères ont retrouvé le sens et l'esprit deleurs traditions propres et le moyen d'utiliser les valeurs naturelles de leur art.

En brisant les abstractions quitenaient la musique captive, depuis deux siècles, d'un système fondé sur la gamme d'ut majeur et soumis à latyrannie des fonctions tonales, en retrouvant le son sous la note et la sensation sous la notion, ces Écolesmusicales ont à leur tour délivré leurs princesses endormies.Sans doute, Debussy n'a-t-il pas accompli tout seul, nitout d'un trait cette transmutation des valeurs.

Chabrier l'avait précédé dans cette voie, et deux compositeurs, leRusse Moussorgsky et le Français Erik Satie, dont le génie avait guidé la main qu'une heureuse ignorance éloignaitdes solutions offertes par le métier.Il reste que la date du 30 avril 1902 marque, avec la "première" de Pelléas etMélisande, le plus beau moment de la musique française.

Cette Oeuvre providentielle a brisé pour nous les sortilègesde Elingsor.

Elle nous a débarrassés de l'Art-Religion et de ce même idéalisme symboliste à quoi Debussy avait toutle premier emprunté son sujet et les éléments de sa propre culture.L'admirable est que ce maître de la fluidité ne selaisse jamais entraîner dans le tourbillon du multiple dont chacun de ses imitateurs devient immanquablement laproie.

Ce Franciscain qui s'ignore ne s'égare pas plus que Saint François dans le Vestige qu'il découvre au cOeur deschoses fraternelles.

Car ce lyrique est obsédé par le rêve de saisir, comme il dit, "les concordances mystérieusesentre la nature et l'imagination et de déchirer", comme il dit encore, "la musique inscrite dans la nature".Par delà lesapparences, il entrevoit les réalités dont elles sont les signes.

Il capte les vertus sensibles de l'objet ; il les mène enpure musique et suggère une présence au cOeur d'une délectation.On fut naturellement tenté, au temps de Pelléaset des Nocturnes, d'expliquer la suprématie soudaine de la musique française par l'effet d'une heureuse fortune, unbel accident sans lendemain.

On pouvait craindre qu'un Debussy suscitât seulement des épigones et qu'il épuisâtpour longtemps toutes nos ressources.Dans le fait, cet homme unique, s'il n'a pas fait de disciples, a entraîné desrivaux : un Paul Dukas, un Albert Roussel, un Ravel, enfin, qui ne lui ressemblent pas plus qu'ils ne se ressemblententre eux et qui témoignent de l'intensité et de la fécondité du renouveau français.La gloire d'un Ravel, que desliens plus visibles et plus serrés attachent à notre tradition, le dispute aujourd'hui à celle de Debussy dont il diffèreautant qu'un Mallarmé d'un Paul Verlaine.Leurs premières compositions sont exactement contemporaines car Ravel,musicien-né, s'est découvert du premier coup.

Si leur culture les unit, leurs natures les séparent.L'art de MauriceRavel nous met en présence d'une vertu congénitale, d'un don naturel si puissant, qu'ils paraissent insensibles àl'homme qu'ils inspirent, et qu'on voit uniquement occupé à résoudre les problèmes du métier, ambitieux seulementde réussir ces pastiches secrets qui font toujours oublier leurs modèles.

La poésie dont son Oeuvre est pleine, etcette veine mélodique inépuisable qui situent un Ravel si haut dans son art et dans son époque, le gouvernent à soninsu.

Cet horloger suisse son père était originaire de la rive du Léman est le maître d'un paradis artificiel que garde legénie rigoureux de la tradition française.

Une technique vigilante détient la clé des songes ravéliens et nousentrouvre les portes de corne ou d'ivoire du royaume nocturne.Notre École, parfois encline, au témoignage deClaude Debussy, à rétrécir son univers, aime à compter, au côté d'un Ravel, quelques compositeurs de tout pointdifférents cette fois et par la nature et par la culture comme Albert Roussel.

Ce dernier, papille émancipé de Vincentd'Indy, est un grand romantique qui a su trouver en lui-même une sérénité, une harmonie secrète et profonde queles plus grands princes de l'art n'ont découverte que dans une étroite soumission à l'objet.

Le contraste avec l'artde Ravel est saisissant.La guerre de 1914 avait brisé l'élan de notre musique.

En 1918, la génération montante sedevait de repartir sur de nouveaux frais.

C'en est fini de la douceur de vivre des années 1910.

Tandis qu'un Ravelpoursuit sa voie toujours resserrée dans un esprit plus cruel et plus clair, les nouveaux venus, attentifs à l'exempled'Igor Stravinski, comme à la voix d'Erik Satie, précurseur éternel de toutes les audaces, refusent hardiment, toutau moins dans le principe, l'héritage de leurs aînés.

On s'avise à ce moment que le génie français ne tient pas toutentier dans les tragédies de Racine, les jardins de Versailles et les grâces de Lancret.

Par ailleurs, on réagit contre lanuance verlainienne, contre cette espèce de flou qui s'est introduit dans les arts et dans la pensée sous l'influencedes impressionnistes.

Nos jeunes musiciens ont de nouvelles invectives à l'adresse de Wagner.

Mais leurs griefss'étendent aux cinq Russes et à Debussy.

Un inventaire cruel et légitime de nos valeurs propres nous incite à neplus prendre pour bornes de la France l'horizon de nos coteaux modérés.

Rabelais n'est pas à la mesure des coteauxmodérés qui l'ont vu naître et mourir, ni Berlioz, ni Victor Hugo, ni Paul Claudel ni Charles Péguy, ni Darius Milhaud.Cesont là d'anciennes vérités.

Ce qui est significatif, c'est le besoin de les redécouvrir.

Et ce même besoin estfrançais.

On reconnaît ici, avec Rivarol, cette France éternelle, "changeante dans ses manières et ne pouvant sefixer elle-même, qui parvient pourtant à fixer tous les goûts".. »

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