La morale postule la liberté, la science réclame le déterminisme: peut-on concilier ces exigences ?
Publié le 18/02/2004
Extrait du document
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faisons et de ce que nous serons — est la plus pesante servitude : argument à retenir, car il est indiscutable qu'iln'y a de liberté et de morale que dans la conduite consciente de soi.
Mais les Stoïciens, comme Spinoza, ne voient le rôle du rationnel que dans la pure contemplation, dans le domaine dujugement seul, ce qui revient à dire : du jugement inefficace; pour le reste, ilsacceptent le jeu mécanique de l'Univers dans lequel nous sommes enveloppéset entraînés.
On n'assure ainsi qu'une croyance en l'affranchissement desjugements, croyance qui pourrait bien n'apporter qu'une satisfaction illusoireet en tout cas ne saurait produire par elle-même un affranchissement réel.Faire ressortir que d'un côté comme de l'autre, le sacrifice proposé n'aboutitpas ; On ne fait pas la part d'un indéterminisme dans la science pour sauverla liberté, sans nier les conditions efficaces de l'action.
On ne fait pas sa partau déterminisme dans la morale pour sauver la Science, sans laisser l'actiondans le domaine de la servitude, c'est-à-dire de l'irresponsabilité.
(2e Méthode). — Donc chercher une conciliation tout en maintenant les deux valeurs, avec leur caractère propre.
Cet effort va demander que l'onprécise à nouveau les termes du problème qui se pose, puisque celte fois l'onaccepte les exigences en apparence opposées au lieu de tenter le sacrificede l'une ou de l'autre.On vient de se rendre compte et l'on aura fait voir par les discussionsprécédentes, que notre action ne peut se mouvoir que dans le champ d'uneexpérience mise en forme par la science, et cela reste vrai de l'action morale, qui pourtant réclame la liberté.
Comment donc devra-t-on concevoir et comment situer la liberté pour l'accorder àcette conception du monde à laquelle revient invinciblement la science ?Le point critique de la question est ainsi de retrouver les origines de la conception scientifique, pour définir au justeà quoi elle répond, ce qui pourrait du même coup amener à une définition du champ de la liberté.
NOTE.
Le lecteur construira par lui-même le plan qui ressort immédiatement des indications précédentes.Voici maintenant la discussion développée du problème central qui vient d'être défini.
Ce déterminisme dont la science ne saurait se passer répond-il à l'essence des choses ou n'exprime-t-il qu'uneexigence de notre intelligence, qui chercherait à.
retrouver dans les choses sa propre structure ? Il se pourrait dansces conditions que la liberté fut réelle, et que cependant nous fussions toujours ramenés à la conceptiondéterministe, nantis que nous sommes d'une pensée qui ne peut construire l'expérience sous une autre forme.
Ainsià la fois serait sauvée la morale et expliqué le fait d'une science déterministe.C'est une pareille tendance qu'exprime la célèbre solution kantienne, d'après laquelle nous serions libres sur le plande l'absolu, mais inaptes à concevoir cette liberté sur le plan de l'expérience où nous sommes engagés, incapablesque nous sommes d'arracher la représentation notre conduite, et à un déroulement dans le temps, où le précédentdétermine le conséquent, et à la classification des ressorts de nos actes dans les cadres dus catégories.
Et il estparfaitement clair, quand l'on replace cette thèse dans l'ensemble du système kantien, que si une telle forme estimposée par l'esprit aux choses en soi, comme condition qui leur permette d'entrer dans une expérience seulesaisissable pour notre pensée, celle forme ne préjuge pas de leur nature intime.
Nous savons combien Kant insistesur le fait qu'une réalité empirique se double d'une idéalité transcendantale, c'est-à-dire d'une construction parl'esprit de celle expérience même qu'il tiendra ensuite pour donnée à lui du dehors.
Et dès lors rien ne prouve quenos actes ne sont pas libres, dans celle nature profonde, dissimulée au sein d'une expérience, qui en apparence estofferte comme une réalité étrangère à l'organisation de la Pensée, et qui en fait implique la Pensée tout entière.Seulement, celte position si simple en apparence ne présente pas la solide cohérence par laquelle il semble aupremier abord qu'on puisse la caractériser.
Kant réserve la liberté au plan de l'absolu ; mais il peut sembler qu'il n'endonne pas l'affirmation positive ; la discrétion qu'il observe sur ce qui ne doit plus être tenu pour impossible pourraitpasser pour un volontaire oubli.
Aussi ne faut-il pas s'étonner si un certain nombre d'auteurs ont interprété ce rejetvers l'inconnaissable comme un rejet tout court, et ont accusé le kantisme de « couronner de roses la libellé avantde la chasser de la cité.
»Mais, à vrai dire, toute la doctrine morale de Kant perd sa signification, si nous ne supposons pas que l'actionaccomplie par pur devoir est une action libre par laquelle la Raison rejoint un absolu qui lui est interdit dans ledomaine théorique.
— Il n'en est pas moins exact qu'en fait la réalisation de ce devoir où serions censés poser notreliberté, répond à la satisfaction d'une intelligence qui nous interdit la contradiction et impose à notre conduite, envertu de la première maxime, la condition qui caractérise toute loi logiquement valable de pouvoir être universaliséesans absurdité.
Sans doute un kantien répondrait-il que le grand obstacle à la liberté n'est pas la soumission à desexigences rationnelles, mais la localisation des événements dans le Temps.
Mais la réponse serait insuffisante, carde l'aveu de Kant lui-même, nous n'avons pas la moindre idée de ce que pourrait être une activité rationnelles'exerçant hors du temps, et, en l'ait, la lecture la plus attentive des Fondements de la Métaphysique des Moeurs etde la Critique de la Raison pratique ne montre pas ce que l'exercice de la raison dans le domaine de la conduite a despécialement intemporel.
Du reste, il est bien évident que ce qui est inconcevable dans la conduite libre, c'estl'égale possibilité d'être et de n'être pas ; c'est, indépendamment de toute question d'antériorité, la notion d'unévénement qui n'a pas de conditions.
Ce qui est transgressé, ce ne sont donc pas les formes a priori d'Espace et deTemps, ce sont les exigences proprement logiques de la Pensée : les catégories.
Si donc, il ne mérite pas lereproche d'avoir conduit la Liberté dans l'absolu pour l'y perdre, Kant encourt au moins le reproche d'avoir vainementtenté d'apporter à la connaissance intellectuelle une liberté de la conduite qu'il devait tenir pour inconcevable envertu des lois mêmes de l'intelligence..
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