La morale n'est-elle qu'un ensemble de convention ?
Publié le 05/02/2004
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«
[C.
La question de leur origine]
En accumulant ainsi les exemples de normes variables, on doit néanmoins se demander d'où elles proviennent.
Onconstate, lorsqu'il s'agit ainsi cerner leur origine, que les théoriciens des moeurs en privilégient deux: d'un côté, la,société elle-même, de l'autre, la religion.
On peut en effet concevoir qu'un groupe social impose à ses membres desconduites qui vont dans le sens de son intérêt global, de sa cohésion et de son maintien.
S'inscrivantprogressivement dans les habitudes, de telles conduites donneraient naissance à une conception « locale » du bienet du mal, de ce qu'il faut faire et ne pas faire.
Cette explication sociologique tire argument de la nature dessanctions suscitées par les conduites jugées immorales : elles confirment en général que c'est bien toute lacollectivité qui se juge atteinte par le « mal », même si ce dernier paraît d'abord d'ordre « privé ».La référence aux croyances religieuses comme source des valeurs a par ailleurs; l'avantage de rendre compte de ladimension, non seulement collective, mais éventuellement transcendante, des valeurs en question : lorsqu'ellesémanent de la volonté de divinités ou de quelque esprit « supérieur » aux hommes ordinaires, elles sont d'autantplus respectables.
[II — Défauts des conventions]
[A.
Des conflits possibles]En admettant que la morale est un ensemble de conventions, on s'apprête toutefois à devoir accepter d'éventuelsconflits entre ces ensembles, comme étant normaux, sinon obligatoires.
Et d'autant plus si l'on conçoit que la moralen'est que le résultat des besoins d'une société, ou de ses croyances religieuses.La multiplicité des morales ne peut être synonyme d'harmonie ou de paix que si les groupes sociaux qui lesadmettent demeuraient sans contact.
Mais tel n'est évidemment pas le cas.
Dès lors, c'est-à-dire dès que desensembles différents de conventions se côtoient ou s'affrontent, ne s'offrent que deux solutions : ou bien l'undomine, parce que la société qui l'affirme est la plus forte ; ou bien les ensembles cohabitent, laissant à chacun laliberté de choisir en quelque sorte celui qui lui convient le mieux.
Dans le premier cas, il faudrait admettre qu'unemorale peut s'imposer par la violence, ce qui paraît difficile.
Dans le second, on aboutit à long terme à une tellemultiplication des ensembles de valeurs que la formule « à chacun sa morale » semble devoir s'imposer, ce qui paraîtêtre la négation même de la morale.
[B.
Mises en cause d'une morale dominante]Sans même qu'il soit besoin d'envisager une tel naufrage de l'idée même de morale, il peut suffire de considérerl'existence de deux ensembles de conventions différents pour retrouver des analyses qui montrent combien ladéfinition de la morale comme simple ensemble de conventions reste problématique.Lorsque Marx inscrit la morale dans l'idéologie, c'est pour signaler, non seulement qu'elle évolue comme tous les domaines idéologiques en fonction de l'infrastructure économique, mais aussiqu'elle se constitue nécessairement au service de la classe dominante, dontelle sert les intérêts en les dissimulant plus ou moins : l'histoire ferait passerd'une dissimulation prononcée (dans l'Antiquité et au Moyen Age) à uneabsence de dissimulation lorsque s'instaure le pouvoir de la bourgeoisie.
Unetelle morale « de classe » trouve nécessairement, en face d'elle, une autremorale « de classe » : il y a, comme l'affirme un titre de Trotski, « leur moraleet la nôtre », et il y a aussi conflit entre les deux, la seconde, celle quis'affirme révolutionnaire, n'hésitant pas à considérer que « la fin justifie lesmoyens ».
L'histoire réelle du XXe siècle a hélas montré que la fin en question(la libération du prolétariat), si elle a en effet « justifié » bien des moyens (quiont fait le stalinisme), n'a pas été atteinte.
Concevoir la morale comme unensemble de conventions (issues de la lutte des classes) semble bien mener àune impasse qui n'est pas seulement théorique.Soupçonnant lui aussi la morale dominante (d'origine chrétienne) de n'êtrequ'un ensemble de conventions imposé aux « forts » par les « faibles » grâceà la ruse, Nietzsche envisage une « inversion des valeurs » : que les « forts »en finissent avec la pseudo-morale, contraire au dynamisme de la vie, et qu'ilsrevendiquent à nouveau fièrement leurs valeurs ! Même si Nietzsche prendsoin d'affirmer que la vraie morale aurait ainsi l'avantage de retrouver l'élancréateur en même temps qu'une sorte de fondement naturaliste, il n'en restepas moins qu'il ne s'agit, dans l'opération projetée, que de remplacer unensemble de conventions par un autre..
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