La méthode scientifique exclut-elle l'imagination ?
Publié le 25/03/2011
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Pour que la question ait un sens — et c'est la première chose à faire de donner un sens au sujet — il faut avoir à l'esprit tout ce que les savants eux-mêmes ou des « philosophes de la science « comme G. Bachelard ont dit de la rigueur, de l'abstraction et de l'intelligibilité discursive de la science et des sciences. L'imagination, qui est d'abord définie comme « la folle du logis «, comme aperception floue, concrète, c'est-à-dire vécue, et intuitive au sens kantien de l'intuition, qui ne peut être que sensible, semble exclue de la méthodologie scientifique. Il ne faut pas perdre de vue les termes mêmes du sujet — conseil encore généralement valable — : ici, on vous parle non de l'invention scientifique, mais de la méthode. Cela requiert de vous un certain contenu de connaissances ; il faut savoir les étapes de la méthode expérimentale dont Cl. Bernard dit que, par elle-même, « elle n'enfante rien «. Or, cet enfantement c'est l'invention proprement dite qu'on appelle encore « hypothèse «. La genèse et le développement de la méthode qui va faire un sort à l'hypothèse sont rationnels et une méthode s'apprend. La genèse de l'hypothèse est irrationnelle en ce sens qu' « il n'y a pas de règles à donner pour la faire naître dans un cerveau «. C'est ici que vous allez situer le problème de l'imagination. Si celle-ci n'est que « folle «, elle n'a bien sûr sa place nulle part dans la démarche du savant. Mais Descartes reconnaissait lui-même, malgré « le morceau de cire «, que l'imagination n'était pas seulement passive et pouvait aider l'entendement.
«
qu'elles ne doivent pas être.
L'imagination semble exclue de la science comme le rêveur s'exclut lui-même, soit parfaiblesse, soit par défi, de la communauté des hommes éveillés.
Il est vrai qu'il y a des rêveurs et des rêves de génie.
L'imagination pourrait-elle apporter cette étincelle qui faitprendre le feu partout ? Y a-t-il une imagination géniale qui, loin d'être étrangère à la science, la réveillerait commesouvent celui que l'on croit ce ailleurs » arrive à réveiller de leur veille dogmatique les hommes du commun ?
* * *
Ce n'est pas sous cet aspect qu'on a coutume de décrire cette cc folle du logis ».
Il semble ici qu'il y ait deuxformes d'imagination et que nous ne pourrons envisager la bonne qu'en venant à bout de la mauvaise, celle quiconstitue un cc obstacle épistémologique » essentiel et qui dort en toutes nos croyances et opinions.
L'activité pour l'esprit scientifique ne consiste pas en effet à s'exercer à l'écart pur, à développer sans contrainteses idées et à satisfaire tranquillement ses exigences, cc Quand il se présente à la culture scientifique, écrit G.Bachelard, l'esprit n'est jamais jeune.
Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés.
» Ce n'est donc pas entoute innocence que le savant pose les bonnes questions à la nature, car ces questions doivent être posées contre des réponses déjà données, contre des questions déjà posées, qui se révèlent des faux problèmes à la lumière seulement de celles qu'on leur substitue avec l'effort et l'acharnement que l'on met à se débarrasser de mauvaiseshabitudes.
Nous avons des habitudes mentales, et le savant a, en plus des siennes propres, celles du passé de lascience.
Il s'agit là d'un mécanisme, d'un involontaire au même titre que l'instinct : « Notre esprit a une irrésistibletendance à considérer comme plus claire l'idée qui lui sert le plus souvent » dit Bergson.
Ainsi, la notion d'obstacleépistémologique nous sert à rendre compte de la résistance qu'éprouve l'esprit scientifique de la part, non seulementde l'objet étudié, mais surtout de sa propre pensée quand il cherche à connaître le réel rationnellement etobjectivement.
Rationalité et objectivité sont des conquêtes.
Conquêtes sur qui ou sur quoi ? Nous dirions volontiers : conquêtessur soi, et sur l'imagination.
Celle-ci constitue en effet l'obstacle épistémologique fondamental : toutes lesmétaphores, analogies, images par lesquelles nous nous représentons le réel sont fausses aux yeux de la science.Ce n'est pas qu'elle n'en ait elle-même longtemps abusé : toute science a une histoire et les trois degrés de laconnaissance définis par Spinoza, dont le plus bas est l'imagination, valent pour décrire le passage historique etlogique du concret à l'abstrait qui marque le progrès scientifique.
Par exemple, l'électricité s'est trouvée, au XVIII e siècle, l'objet d'un véritable engouement : elle fascine, c'est l'imagination qui est d'abord sollicitée et celle-ci sedéchaîne devant un phénomène qui lui paraît mystérieux, donc merveilleux : « l'électricité parut rassembler en elletous les agréments de la fable, du conte, de la féerie, du roman, du comique ou du tragique », écrit l'abbé deMangin.
On en donne naturellement les explications les plus fantaisistes.
L'étonnement nous saisit et nous entraîneimmédiatement dans la voie d'hypothèses que nous ne prenons pas la peine de vérifier.
En rester au niveau desimages, c'est s'émerveiller, soit de la complexité des objets, soit de leur simplicité.
L'analogie a ce pouvoir desimplification : « J'estime beaucoup plus l'univers, écrit Fontenelle, depuis que je sais qu'il ressemble à un nombre.
Ilest surprenant que l'ordre de la nature, tout admirable qu'il est, ne roule pas sur des choses si simples.
» Et quandon ne trouve pas d'explication imagée, sous forme d'analogie, on exprime métaphoriquement la profondeur del'inconnaissable, l'irrationnel.
Ce qu'on reproche à l'imagination, ce n'est pas autre chose que de nous figer dans une attitude subjective etquasiment incommunicable d'émerveillement devant les phénomènes extérieurs, de nous offrir des analogiesimmédiates qui satisfont superficiellement notre besoin de généraliser et de comprendre, analogies faussesjustement parce qu'elles sont immédiates et nous confinent aux seules apparences.
Les mathématiques ont permis àla science de trouver ces cc analogies véritables, profondes, que les yeux ne voient pas et que la raison devine ».Trouver un langage scientifique, c'est inventer une autre façon de parler que celle qui véhicule nos images et nospréjugés.
Poincaré écrit : cc L'homme inconnu qui a inventé le mot chaleur a voué bien des générations à l'erreur.On a traité la chaleur comme une substance, simplement parce qu'elle était désignée par un substantif.
»
L'esprit mathématique, qui dédaigne la matière pour s'attacher à la forme pure, permet ce passage du concret àl'abstrait qui est la voie d'une vraie généralisation et d'une induction scientifique génératrice de lois.
La méthode scientifique vise, en effet, pour l'essentiel, à établir des lois.
Mais peut-on parler d'une méthodescientifique ? N'y a-t-il pas une méthode distincte pour chaque science, liée à la spécificité de l'objet qu'elle étudie?
Si l'on doit se passer des images, et même, on l'a vu, se délivrer d'elles pour faire une physique cohérente, peut-ondemander à l'historien de ne pas faire appel à l'imagination, « maîtresse d'erreurs », lui qui doit ressusciter descivilisations et des hommes morts et ensevelis ? Rendre présent l'absent, n'est-ce pas une fonction de l'imagination? En réalité, il paraît nécessaire de parler de la méthode scientifique en général si des connaissances commel'histoire, la sociologie ou la psychologie veulent prétendre au nom de « sciences ».
Quelle objectivité, quellerationalité attendre de l'histoire si l'historien donne libre cours à son imagination et ne cherche qu'une coïncidenceémotionnelle avec les hommes du passé et leurs œuvres ? Il y aura autant d'histoires que d'historiens.
Plus récente,il est vrai, que la physique, à prendre le nom de science, l'histoire n'est pas du roman.
Elle adopte donc la mêmeméthode qui a réussi dans les autres sciences : observation, analyse, explication rationnelle et confrontationconstante de l'hypothèse avec les faits, reconstruits par l'historien, comme le fait physique est reconstruit dans le.
»
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