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La mémoire des ignorants chez PLATON

Publié le 10/01/2020

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Invention décisive mais un peu mystérieuse, l'écriture s'est souvent vu attribuer une origine divine. Invoquant un mythe égyptien, Platon la présente ici comme le don d'un dieu aux hommes: mais ne s'agit-il pas d’un cadeau empoisonné ?

J’ai donc ouï dire qu’il y avait près de Naucratis en Égypte un des anciens dieux de ce pays à qui les Égyptiens ont dédié l’oiseau qu’ils appellent ibis ; ce démon porte le nom de Theuth ; c’est lui qui inventa la numération et le calcul, la géométrie et l’astronomie, le trictrac et les dés et enfin l’écriture. Thamous régnait alors sur toute la contrée, dans la grande ville de la haute Égypte que les Grecs nomment Thèbes l’égyptienne, comme ils appellent Ammon le dieu-roi Thamous. Theuth vint trouver le roi ; il lui montra les arts qu’il avait inventés et lui dit qu’il fallait les répandre parmi les Égyptiens. Le roi demanda à quel usage chacun pouvait servir ; le dieu le lui expliqua et selon qu’il lui paraissait avoir tort ou raison, le roi le blâmait ou le louait. On dit que Thamous fit à Theuth beaucoup d’observations pour ou contre chaque art. Il serait trop long de les relever. Mais quand on en vint à l’écriture : « L’enseignement de l’écriture, ô roi, dit Theuth, accroîtra la science et la mémoire des Égyptiens ; car j’ai trouvé là le remède de l’oubli et de l’ignorance. » Le roi répondit : « Ingénieux Theuth, tel est capable de créer les arts, tel autre de juger dans quelle mesure ils porteront tort ou profit à ceux qui doivent les mettre en usage : c’est ainsi que toi, père de l’écriture, tu lui attribues bénévolement une efficacité contraire à celle dont elle est capable ; car elle produira l’oubli dans les âmes en leur faisant négliger la mémoire : confiants dans l’écriture, c’est du dehors, par des caractères étrangers, et non plus du dedans, du fond d’eux-mêmes qu’ils chercheront à susciter leurs souvenirs ; tu as trouvé le moyen, non pas de retenir, mais de renouveler le souvenir, et ce que tu vas procurer à tes disciples, c’est la présomption qu’ils ont de la science, non. la science elle-même ; car, quand ils auront beaucoup lu sans apprendre, ils se croiront très savants, et ils ne seront le plus souvent que des ignorants de commerce incommode, parce qu’ils se croiront savants sans l’être.

Platon, Phèdre, 274d-275b, Gamier-Hammarion, trad. É Chambry, 1966.

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« trouvé là le remède de l'oubli et de l'ignorance.» Le roi répon­ dit : « Ingénieux Theuth, tel est capable de créer les arts, tel autre de juger dans quelle mesure ils porteront tort ou profit à ceux qui doivent les mettre en usage: c'est ainsi que toi, père de l'écri­ ture, tu lui attribues bénévolement une efficacité contraire à celle dont elle est capable; car elle produira l'oubli dans les âmes en leur faisant négliger la mémoire: confiants dans l'écriture, c'est du dehors, par des caractères étrangers, et non plus du dedans, du fond d'eux-mêmes qu'ils chercheront à susciter leurs souve­ nirs ; tu as trouvé le moyen, non pas de retenir, mais de renouve­ ler le souvenir, et ce que tu vas procurer à tes disciples, c'est la présomption qu'ils ont de la science, non la science elle-même; car, quand ils auront beaucoup lu sans apprendre, ils se croiront très savants, et ils ne seront le plus souvent que des ignorants de commerce incommode, parce qu'ils se croiront savants sans l'être.

PLATON, Phèdre, 274d-275b, Garnier-Flammarion, trad.

É.

Chambry, 1966.

POUR MIEUX COMPRENDRE CES TEXTES Comme les héros de la fiction imaginée par Garcia-Marquez, le dieu Theuth, père de l'écriture*, présente son invention comme le plus sûr moyen de lutte contre l'ignorance et l'oubli.

Le roi Thamous, à l'opposé, prétend que l'artifice est trompeur: la consultation des traces écrites permet de « renouveler le sou­ venir » de connaissances acquises à un moment donné, mais la possibilité de retrouver de telles traces ne garantit pas à coup sûr la possibilité de maîtriser à nouveau ces connaissances.

La ruse des gens de Macondo présente le même inconvénient : à quoi sert-il de lire sur une étiquette que tel animal est une vache ou un cochon, si l'on ne sait plus ce que sont vaches et cochons, ni à quoi ils servent ? La réalité ne peut être que partiellement et « momentanément retenue captive par les mots>>.

Contre l'oubli, l'écriture ne serait ainsi qu'un remède inutile.

Pour Platon, le remède pourrait même être un véritable poi­ son.

Sa méfiance à l'égard de l'écriture a trois fondements:. »

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