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La loi n'est-elle que l'artifice des faibles ?

Publié le 28/01/2005

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Il réaliserait la domination du puissant sur le faible. "Certes, ce sont les faibles, la masse des gens, qui établissent les lois, j'en suis sûr. C'est donc en fonction d'eux-mêmes et de leur intérêt personnel que les faibles font les lois, qu'ils attribuent des louanges, qu'ils répartissent des blâmes. Ils veulent faire peur aux hommes plus forts qu'eux et qui peuvent leur être supérieurs. C'est pour empêcher que ces hommes ne leur soient supérieurs qu'ils disent qu'il est vilain, qu'il est injuste, d'avoir plus que les autres et que l'injustice consiste justement à vouloir avoir plus. Car, ce qui plaît aux faibles, c'est d'avoir l'air d'être égaux à de tels hommes, alors qu'ils leur sont inférieurs.Et quand on dit qu'il est injuste, qu'il est vilain, de vouloir avoir plus que la plupart des gens, on s'exprime en se référant à la loi. Or, au contraire, il est évident, selon moi, que la justice consiste en ce que le meilleur ait plus que le moins bon et le plus fort plus que le moins fort. Partout il en est ainsi, c'est ce que la nature enseigne, chez toutes les espèces animales, chez toutes les races humaines et dans toutes les cités !Si le plus fort domine le moins fort et s'il est supérieur à lui, c'est là le signe que c'est juste. De quelle justice Xerxès s'est-il servi lorsque avec son armée il attaqua la Grèce (1), ou son père quand il fit la guerre aux Scythes ?

« PLATON, Gorgias, 483b-484a, trad.

Canto, Garnier-Flammarion, 1987, pp.

212-213. (1) allusion à la seconde guerre médique conduite par Xerxès, roi des Perses, qui envahit la Grèce en 480 av.JC Le discours de Calliclès (Gorgias 483b - 484a) Introduction Calliclès entend pratiquer une critique " généalogique " des lois en débusquant le type de vie qui se dissimulederrière leur apparente impartialité. Les arguments de Calliclès Faite par la masse, la loi en exprime forcément les intérêts et les valeurs.

Elle n'est donc universelle qu'enapparence.Cette loi est un instrument d'oppression non par la force mais par un mécanisme d'intériorisation.

Elle n'estdonc juste qu'en apparence.Les valeurs prônées par cette loi n'ont pas de réalité propre : elles consistent dans le retournement axiologiquede la réalité de la force, et l'égalité de droit n'est que la dénégation de l'inégalité de fait.

Elle est donc sansconsistance.Les meilleures dispositions sont laminées par l'éducation égalitariste.Le vrai droit est celui de la nature qui est foncièrement inégalitaire.

En effet, il est universel, nécessaire,irrécusable.Cette fausse loi sous laquelle nous vivons est intrinsèquement fragile, puisqu'elle se maintient en s'appuyantsur un verbiage sans répondant, et grâce à l'absence momentanée d'un individu suffisamment fort pour larenverser en lui et hors de lui. Discussion de chaque argument Calliclès confond expression et représentation.

S'il est vrai que les lois représentent la masse, elles ont uneréalité qui ne lui est pas réductible.

La vraie question est donc celle de la spécificité du politique : un ordred'existence que son absence de répondant réel n'autorise pas à qualifier d'illusoire.Calliclès suppose que l'homme est un être sorti tout constitué de la nature, c'est-à-dire qu'il est un simplevivant, alors qu'il est le produit des lois.

Il est donc absurde de considérer que les lois l'oppressent : elles leconstituent comme sujet.L'égalité conditionne l'idée même de loi, à la fois parce qu'elle doit être la même pour tous et qu'elle effectue laforme même de la réflexion, puisque réfléchir revient à se poser soi-même comme un sujet indifférent c'est-à-dire juridiquement égal aux autres.

La loi a la consistance de la réflexion, acceptée par le discours de Calliclèsen tant que c'est un discours et non un pure violence.La cité, dit Aristote, exclut aussi bien ceux qui sont trop inférieurs (bestialité) que ceux qui sont tropsupérieurs (les dieux, les héros), puisqu'il est impossible à l'individu moyen de se reconnaître en eux.

Touteéducation a donc bien une dimension de dressage à la " semblance " (être le même que soi parce qu'on s'estsoumis à ce qui rassemble les semblables) c'est-à-dire à la médiocrité.

Cependant les dispositionsexceptionnelles ne sont pas naturelles mais humaines (l'idée d'un gène de la musique, de la philosophie ou desmathématiques est absurde, puisque ce sont des réalités exclusivement culturelles) : les " dons " sont desattitudes envers le monde et surtout envers soi-même (une éthique) motivées par une situation en fin decompte toujours sociale.

Dès lors si la vie commune peut parfois étouffer de grandes individualités potentielles,elle est cependant le seul lieu de leur possibilité.

En réalité le danger reste très minime : être une personnalitéd'exception étant une question d'éthique et non pas de nature, autrement dit la semblance étant une positionsubjective et non un état objectif, il faudrait des circonstances extrêmement particulières et rares pour qu'unindividu ne soit pas totalement responsable de sa vie.

Donc même si l'on admet cette absurdité que constituel'idée d'un don naturel, l'argument de Calliclès qui attribue cette responsabilité à la société reste sans portéeréelle.Calliclès confond le fait et le droit : la nature atteste de ce qui est, pas de ce qui doit être.

Quand il s'agit deslois de la cité, son invocation est donc nulle par principe.

D'autre part il confond l'universalité des lois de lanature qui est absolue ou a priori (si on ne la pose pas l'idée même de nature n'a aucun sens, et avec elle lasimple éventualité du savoir) et celle des lois de la cité qui est relative ou réflexive (c'est le rapport du peupleà lui-même).

Autrement dit il confond la réalité où s'effectue la nécessité des lois de la nature avec lareprésentation où s'effectue celle des lois de la cité.La culture n'a pas de répondant et c'est précisément en cela qu'elle s'oppose à la nature : l'arbitraire n'est passa faiblesse mais sa force, puisqu'on peut seulement contester ce qui se présente comme fondé.

On n'obéitdonc pas à la loi parce qu'elle est utile, mais simplement parce que c'est la loi.

Voulant fonder la loi dans laréalité, Calliclès l'abolit donc : il n'y aurait plus que la nature.

Mais il réfute lui-même la thèse que cela pourrait. »

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