La Liberté selon Spinoza
Publié le 23/11/2013
Extrait du document
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2
même quand on prend conscience de sa puissance et de la dépendance qu'elle a occasionnée.
L'alcoolique voudrait bien
s'arrêter de boire tellement il souffre désormais de sa drogue, mais il en est incapable: la passion a pris le pas sur la raison et
c'est le désir qui fait désormais autorité dans son âme en lui dictant ses actes.
Il a ainsi perdu une des facultés qui font la
dignité d'un homme, à savoir l'intelligence de sa raison qui donne le pouvoir d'agir dans son propre intérêt.
D'où la seconde raison de la thèse de Spinoza: la dépendance aux passions est nuisible à l'homme et conduit in fine
au malheur.
En plus d'être un esclavage, elle est le pire qui soit tellement elle abandonne l'homme au vice et au mal, le
déshumanisant progressivement jusqu'à l'abêtir et le rendre incapable de résister à ses pulsions.
On voit bien que l'excès des
désirs, s'il procure d'abord du plaisir, se transforme finalement en souffrance et en servitude.
Il nuit au corps et à l'esprit,
détruisant les facultés physiques et mentales, devenant par ailleurs souvent le motif de la perversion morale ou du crime.
Combien d'actes malveillants ont été commis sous l'empire de la passion ? Et ne parle-t-on pas d'ailleurs des "crimes
passionnels" ? Dans ces états-là, l'homme finit par perdre le contrôle de sa raison et de lui-même.
Devenant inconscient, il ne
sait plus clairement ce qu'il fait et prend le risque de devenir dangereux pour lui-même et pour autrui.
Ses actes lui sont
nuisibles et il n'est pas capable de faire un usage utile de sa raison qui puisse augmenter sa puissance.
C'est donc parce que la
licence des passions rend l'homme mauvais et esclave de ses désirs qu'elle est la négation même de la liberté.
2.
Être libre, c'est obéir volontairement à la Raison.
C'est pourquoi Spinoza affirme que la liberté authentique tient dans l'obéissance à la raison, faculté de l’esprit par
laquelle nous pouvons connaître ce qui utile à notre nature d'homme.
La lucidité de la raison s'oppose à l'inconscience et à
l'irréflexion de l'appétit, qui finit par nuire à l'homme s'il gouverne sa conduite.
La pleine liberté suppose la combinaison de
deux forces: le choix de la volonté qui est "l'entier consentement" du sujet, et l'intelligence de la raison qui est la
connaissance claire et distincte de qui nous est utile.
Chez Spinoza, intelligence et volonté ne font finalement qu'un, car celui
qui connaît sa nature tend nécessairement à son propre bien.
Nul être ne recherchant naturellement son propre mal, il peut
arriver qu'il confonde ce qui lui est nuisible avec ce qui lui est utile par défaut de compréhension.
Tout homme étant
naturellement enclin à persévérer dans son être pour augmenter sa puissance et gagner en sécurité, confort et bien-être, la
raison est la faculté de connaître à partir de laquelle nous pouvons savoir ce qui nous est utile.
Si l'homme tend naturellement
à bien vivre, Spinoza suppose que la connaissance claire du bien détermine nécessairement la justesse de l'action, renouant
par là avec un argument de type socratique selon lequel la connaissance de la vertu rend nécessairement vertueux.
L'homme
ne peut ainsi jamais agir contre lui-même s'il sait où est vraiment son bien.
On objectera alors qu'il ne suffit pas de savoir où
est le bien pour le faire, en prenant pour preuves l'imbécilité ou la criminalité humaine.
Je sais clairement que fumer m'est
nuisible, et pourtant je le fais.
Suivant Spinoza, il faut alors répondre que si l'on continue à agir contre soi, c'est qu'on n'a pas
encore assez clairement compris ce qui est bon pour nous.
On peut cependant raisonnablement douter que la connaissance du
bien et du mal suffise pour déterminer la volonté car on observe bien des hommes qui savent qu’ils font le mal mais qui n’ont
pas ou plus la volonté de faire le bien.
Aristote affirme par exemple que c'est l'habitude du bien qui nous fait devenir bon et
non pas seulement sa science.
Il ne suffit pas de savoir où est le bien pour le faire, mais il faut le faire pour effectivement
tendre au bien-être.
Quoiqu'il en soit, l'homme libre n'obéit pas à une volonté ignorante, déréglée et irrationnelle, mais il
s'oblige à respecter les règles de la raison qu'il a spontanément choisies de suivre.
Pour être pleinement libre, il faut savoir
choisir ce qui nous convient, connaissance qui nous est donnée par l'usage de la raison, en décidant de vivre sous son autorité.
Autrement dit, il est nécessaire d'éclairer le choix de la volonté par la lumière de l'intelligence qui montre ce qu'il faut faire
pour agir en sa propre faveur.
L'homme esclave de ses passions a en revanche l'esprit obscur sur ses véritables intérêts: il confond l'intérêt
immédiat des passions, le faux plaisir de la satisfaction immédiate et éphémère et le bonheur durable de vivre dans la
connaissance de notre nature.
Ne sachant pas la différence entre la contrainte, qui est l'action d'une force extérieure imposée
au sujet indépendamment de sa volonté, et l'obligation, qui est l'action de la raison morale du sujet quand il s'engage
spontanément à être l'auteur responsable de sa conduite, l'opinion commune croit que s'en remettre aux commandements de la
raison est un assujettissement.
Elle prend indistinctement l'obligation pour la contrainte, la contrainte pour la violence, la
violence pour l'obéissance et l'obéissance pour la servitude.
Mais être obligé n'est pas être asservi, et choisir d'obéir à un
ordre raisonnable n'est pas un renoncement mais une augmentation de la liberté.
Le sujet libre est en effet à lui-même sa
propre autorité: il n'est pas contraint et forcé d'être dirigé par une autorité autre dont il ne décide pas, mais il est lui-même et à
lui-même sa propre autorité s'obligeant spontanément à respecter ses devoirs.
Est libre l'homme qui n'obéit qu'à lui-même,
qui s’autodétermine, qui est souverain et directeur de sa propre conduite.
Comme le précise Spinoza, si elle est nécessaire,
cette condition n'est pas encore suffisante (" cela cependant n'est pas absolument vrai») car un homme licencieux peut
encore n'obéir qu'à lui-même sans pour autant être, on l'a vu, pleinement libre.
Il s'agit donc bien de n'obéir qu'à soi, mais plus
précisément encore, à ce qui en soi a le pouvoir de savoir comment être libre: non pas aux passions irrationnelles, qui peuvent
devenir destructrices et tyranniques, mais à la raison qui est la faculté de connaître ce qui nous est objectivement utile.
C'est
la Raison comme faculté de bien juger qui doit faire autorité pour diriger la volonté à bon escient en lui montrant les causes,
les moyens et les fins qui règlent l'action.
La raison permettant d'avoir une idée claire et adéquate de ce qui est utile au sujet,
elle est la condition d'une action vertueuse.
La liberté suppose donc bien ici une volonté libre et capable de choisir par elle-
même les fins et les moyens de son action.
Mais elle suppose aussi nécessairement une intelligence de la raison pour que les
choix soient vraiment utiles au sujet et que la volonté choisisse bien.
On ne saurait être pleinement libre contre soi-même, par
où l'on voit que la liberté suppose non seulement le choix de la volonté mais aussi la qualité morale de ce choix, l'essentiel
n'étant pas ici de choisir mais de bien choisir.
Il n'y a d'ailleurs pas de contradiction ici entre le choix utile et le plaisir, mais
bien au contraire une continuité constructive.
Alors que le plaisir occasionné par la satisfaction des désirs excessifs finit par
une rupture destructrice de la liberté et du bonheur, le plaisir occasionné par la réalisation de la volonté raisonnable conduit à
unir la maîtrise de soi et la satisfaction durable.
Approfondissement
C'est pourquoi Platon insiste notamment sur le divorce moral qui a lieu dans l'âme de l'homme tyrannique en proie aux
désirs irrationnels: sa raison ne parvenant plus à diriger sa volonté et sa volonté n'ayant plus le courage de modérer ses désirs,
il est en contradiction avec lui-même.
En revanche, dans l'âme de l'homme " musical ", âme dans laquelle l'harmonie de la
justice a lieu en accordant ces trois facultés sous le règne de la raison, le plaisir s'associe à la raison.
N'étant pas contraint par
ses désirs, un tel homme fait l'expérience d'une liberté réelle, et le sentiment heureux qu'il éprouve à réaliser ses projets en.
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