La liberté peut-elle être prouvée ?
Publié le 25/01/2005
Extrait du document
«
douée de conscience, tandis qu'elle continue à se déplacer, elle croirait être libre, et être l'auteur de la poursuite deson déplacement, alors qu'elle est en réalité ignorante de la cause véritable (l'impulsion première qui l'a mise enmouvement).Bien sûr, les pierres ne pensent pas, mais l'homme est pris dans une situation de ce genre, et l'illusion qui en résulteconstitue ce qu'il appelle sa liberté : « Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d'avoir » etqui n'est que la conscience de nos désirs doublée de l'ignorance de leurs causes véritables.Quelles sont alors ces causes ? Toutes les causes qui s'enchaînent pour déterminer chacune de mes actionsrenvoient, en dernière analyse, à un principe que Spinoza appelle en latin conatus, et qui désigne l'effort, la «poussée » (on dirait aujourd'hui : la « pulsion »), par lesquels chaque être tend à continuer à exister et à augmentersa puissance d'agir.
Cette « poussée » n'est pas un choc physique comme dans le cas de la pierre, mais cetteénergie qui est le vrai foyer de mon être, cet appétit que j'appelle, lorsque j'en ai conscience, mon désir.
La psychanalyse, plus tard, reprend cette même logique.
En effet, elle étudie les processus inconscients, constituéspar les refoulements des fantasmes et des désirs, qui influent que la vie consciente du psychisme à son insu.
Si la liberté ne peut être prouvée, elle doit être recherchéeCe n'est pas parce que la liberté ne peut être prouvée qu'elle n'existe pas et ne doit pas être recherchée.La liberté est plutôt un processus, le résultat d'un combat, d'une lutte contre des entraves.
Elle s'éprouve dans larévolte contre la servitude.On peut trouver des signes de la liberté dans la lutte de chaque humain pour la conquérir.Ainsi, pour Spinoza, la seule possibilité de devenir libre, c'est de connaître nos déterminations et nos pensées.Comme le dit Sartre, c'est au sein de projet déterminés que je rencontre desobstacles à leur réalisation, des impossibilités, des contraintes.
Ma libertés'enracine dans ses situations et c'est la façon dont je les accepte, lestransforme ou m'en libèrent qui définissent ma liberté.
L'homme est « condamné à être libre », mais il n'est pas seul au monde ; il nepeut être libre qu'avec ou contre les autres.
Si l'existence est absurde, si lesvaleurs ne sont qu'illusion ou mystification pour qui ou pour quoi agir ?L'expérience de la guerre et de ses atrocités, la découverte du totalitarisme,la présence dans le monde dit « libre » de formes ouvertes ou dissimuléesd'exploitation de l'homme — du prolétaire aussi bien que du colonisé —,révèlent la présence massive et incontournable du mal.
La bonne conscience,la fuite dans l'anonymat du « on » n'est plus possible à moins de se rangerdans la catégorie des « salauds », ces « gros pleins d'être » qui feignent detrouver l'existence naturelle et qui continuent à vaquer à leurs affaires et àleurs amours.
Certains choisissent — à titre individuel — de faire le bien :accomplir scrupuleusement leur devoir de père, de citoyen, voire secourir unvoisin dans la détresse, mais cela n'empêche aucunement la mauvaise foi.
Leshommes ne sont pas placés côte à côte comme des petits pois dans uneboîte : ils entretiennent entre eux des relations étroites, même si elles sontmasquées par l'idéologie individualiste, même si elles sont exposées à uneréification.Sartre reprend ici les analyses du marxisme qui sont focalisées sur la pleine conscience des réseaux multiples dedétermination constitutifs de la trame sociale de l'existence.
Toutefois le marxisme privilégie l'action et la prise deconscience collectives : je ne peux modifier la situation de l'homme dans le monde pour rendre chacun maître de sonexistence que si je m'engage consciemment dans une action collective (la révolution) qui transformera les bases dela société, par exemple en supprimant la propriété privée des moyens de production.
En définitive, je devrais pourréaliser cette fin, utiliser tous les moyens à ma portée, y compris le mensonge et la violence.
Ici éclate le paradoxede la morale que l'oeuvre littéraire de Sartre, (théâtre, romans, essais) s'attache à exprimer : ou bien je vais traiter(selon l'expression kantienne) quelques-uns de mes proches comme des fins et je vais garder les « mains pures »,mais je me condamne à accepter tout ce qui ne dépend pas de moi ; ou bien je vais m'engager dans un partistrictement révolutionnaire et par-là même je me condamne à traiter tous les hommes en moyens pour une fin (lasociété sans classe, réconciliée) dont je ne verrai jamais la réalisation effective, et ce faisant j'aurai les « mainssales ».
« Celui qui prend conscience en lui de cette contradiction explosive — entre ce qu'il est pour lui-même et ce qu'ilest aux yeux d'autrui — celui-là connaît la vraie solitude, celle du monstre raté par la Nature et la société ; il vitjusqu'à l'extrême, jusqu'à l'impossible, cette solitude latente, larvée qui est la nôtre et que nous tentons de passersous silence ».C'est dans les situations extrêmes lorsqu'aucun modèle ne vient orienter notre choix que l'homme feraauthentiquement acte de liberté.
Sartre revient à plusieurs reprises dans son oeuvre sur l'exemple de la Résistance.Les résistants, lorsqu'ils étaient pris n'avaient le choix qu'entre le silence (l'héroïsme) et la dénonciation (l'abjection): entre les deux extrêmes de la condition humaine au-delà desquels il n'y a plus rien.
Mais l'existence humaine doit àtout instant être rachetée, sauvée, justifiée contre toutes les tentations de l'existence «brute », naturelle, qualifiée(aussi bien dans « l'Être et le Néant » que dans « Les Mouches ») d'« obscène », « fade » et « visqueuse », quiprocède par classification, distinctions bien tranchées du bien et du mal, du permis et du défendu.L'existence humaine n'a de sens et de valeur que pour autant qu'elle accepte ou du moins qu'elle tente de.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Faut-il limiter la liberté d'expression ?
- LIBERTÉ DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE C.E. 30 mai 1930, CHAMBRE SYNDICALE DU COMMERCE EN DÉTAIL DE NEVERS, Rec. 583
- En quoi consiste la liberté ?
- La Liberté
- La liberté