La liberté est-elle inaliénable ?
Publié le 21/01/2004
Extrait du document
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C'est dans le « Contrat social » que l'on trouve l'une des affirmations les plus radicales de Rousseau concernant la liberté comme bien inaliénable, définissant l'homme en propre.
L'idée que la liberté est un bien inaliénable, et que nul ne peut consentir à yrenoncer pour appartenir à l'Etat, est une thèse centrale de la penséepolitique de Rousseau .
Elle sous-tend tout le « Contrat social », où il s'agit de déterminer comment les hommes peuvent véritablement s'associer, obéir àun pouvoir commun, à des lois valant pour tous, sans abdiquer leurimprescriptible liberté.
Cette fameuse formule s'inscrit dans un contexte polémique.
Rousseau vient de montrer, en accord avec Hobbes et les partisans de l'école du droit naturel, que toute société, tout Etat, ne peut reposer que sur desconventions :
« Puisqu'aucun homme n'a une autorité naturelle sur son semblable, etpuisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conventions pourbase de toute autorité légitime parmi les hommes. »
Rousseau entend maintenant se démarquer de ses prédécesseurs en refusant toute espèces de pacte de soumission qui lierait le peuple à des gouvernants, qui soumettrait la liberté des hommes à celle d'un autre.
C'est pourquoi il entendprouver que renoncer à sa liberté conduit à se détruire en tant qu'être humain, et que, par suite, nul ne peut le vouloir.
Mais sans doute faut-il comprendre que la liberté pour Rousseau est constitutive de l'humanité : être humain, c'est être libre.
On peut aller jusqu'à dire que la liberté pour Rousseau prend la place du cogito chez Descartes . Descartes considérait les animaux comme de simples automates, des machines, et la pensée seule assurait l'homme de sa différence essentielle avec les bêtes.
A cela Rousseau rétorque, faisant sienne les thèses sensualistes : « Tout animal a des idées puisqu'il a des sens [...] et l'homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus oumoins. »
Mais, alors que l'animal est régi par l'instinct, par des règles de comportement innées, fixées par la nature, l'hommeest libre : « et c'est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme ».
Ce qui fait la grandeur de l'homme , sa spécificité, sa spiritualité, ce qui le définit en propre, ce n'est plus la raison, c'est laliberté.
A partir de ces fondements, mis à jour dans le « Discours sur l'origine et les fondements parmi les hommes » (1755), Rousseau va s'employer à démontrer tous les arguments qui tentent de justifier l'esclavage privé et la sujétion politique.
Il entend d'abord réfuter le parallèle établi par Grotius (1583-1645) entre l'esclavage privé et la soumission des peuples.
Si l'on pouvait comprendre qu'un homme se vende pour pouvoir survivre, il n'en resterait pas moinsincompréhensive qu'un peuple se donne à un maître qu'il devra nourrir.
Rétorquer que le peuple gagne au moins sasécurité revient à dire, selon Rousseau , que les compagnons d' Ulysse étaient en sécurité dans l'antre du Cyclope : ils attendaient tranquillement d'être dévorés chacun à leur tour.
Enfin, même si u peuple pouvait se donner, il ne pourrait en aucun cas engager la liberté de ses enfants, nés libres, car en admettant que l'on puissedisposer de sa liberté, on ne peut engager celle des autres.
Rousseau commence ici à démontrer les arguments fallacieux qui justifient l'emprise du pouvoir sur les hommes, et les privent de leur bien le plus précieux au nom d'une prétendue sécurité.
Mais il va plus loin en montrant que même un contrat de soumission est, en fait, juridiquement nul,moralement inconcevable.
Un contrat suppose un échange de biens entre contractants, or renoncer à sa liberté, c'est renoncer à tout, c'estéchanger un bien un bien infini (ma liberté) contre un avantage qui sera par définition disproportionné.
Si je donnetout, que pourra-t-on me restituer en échange ? Ce contrat est un contrat de dupe.
Je renonce à tous mes droits,je les donne à une autre qui en use à sa guise.
Qu'aurais-je à réclamer contre lui ? Que pourrais-je faire s'il veut menuire ? « C'est une convention vaine et contradictoire de stipuler d'une part une autorité absolue et de l'autre une obéissance sans borne.
»
Renoncer à ma liberté revient à promettre d'obéir inconditionnellement à un autre, donc à me considérer comme unsimple instrument, un simple objet, une chose dont l'autre peut disposer à sa guise.
Or, vouloir être un objet, unesclave, est impossible Je n'abdique pas alors simplement mes droits, mais que je renonce aussi à mes devoirs, queje me détruis comme être moral.
Si celui auquel j'ai promis d'obéir m'ordonne de faire une action que je juge atroce,de deux choses l'une, ou bien j'obéis, mais alors j'abdique tout jugement, me considère comme une machine, et menie comme être moral, je ne suis alors (à mes propres yeux) qu'un instrument animé, ou bien je refuse d'obéir etdans ce cas je fais éclater au grand jour que ce contrat de soumission est intenable, que je n'ai jamais puvéritablement vouloir obéir inconditionnellement..
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