LA JOIE REND ELLE LE BONHEUR INUTILE
Publié le 07/04/2005
Extrait du document
«
"Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! il perd pour ainsi dire tout ce qu'ilpossède.
On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère, etl'on n'est heureux qu'avant d'être heureux.
En effet, l'homme avide etborné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une forceconsolante qui rapproche de lui tout ce qu'il désire, qui le soumet à sonimagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre enquelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce,le modifie au gré de sa passion.
Mais tout ce prestige disparaît devantl'objet même; rien n'embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ;on ne se figure point ce qu'on voit; l'imagination ne pare plus rien de cequ'on possède, l'illusion cesse où commence la jouissance.
Le pays deschimères est en ce monde le seul digne d'être habité et tel est le néantdes choses humaines, qu'hors l'Être existant par lui-même, il n'y a riende beau que ce qui n'est pas.Si cet effet n'a pas toujours lieu sur les objets particuliers de nospassions, il est infaillible dans le sentiment commun qui les comprendtoutes.
Vivre sans peine n'est pas un état d'homme; vivre ainsi c'estêtre mort.
Celui qui pourrait tout sans être Dieu, serait une misérablecréature ; il serait privé du plaisir de désirer ; toute autre privationserait plus supportable." ROUSSEAU
La représentation ordinaire du désir nous amène à penser que le désir est un manque, et donc une souffrance : toutau moins un état qui tend à la jouissance, mais ne la contient pas et l'exclut.
Car la jouissance suppose lapossession qui doit marquer en même temps la disparition du désir.
On devrait alors dire : tantôt je désire, tantôt jesuis heureux.
Or ce texte de Rousseau repose sur le paradoxe suivant : ce n'est pas celui qui n'a plus rien à désirerqui est heureux, ne plus désirer est au contraire un malheur.
Celui qui a obtenu ce qu'il désire ne désire plus ; ilsemble alors qu'il possède, et pourtant Rousseau affirme qu'avec la disparition du désir il a en vérité tout perdu : ilest dépossédé au moment même où il possède ce qu'il désire.Le désir désire possession et jouissance : la possession me permet de goûter ce que je possède.
Mais si l'onpossède sans être heureux, posséder n'est rien, je possède un objet du désir, mais je ne possède plus mon bien oumon bonheur en lui.
Or ce n'est que dans le désir même que mon bonheur est lié, adhérent à l'objet.
La seulejouissance dont l'homme soit capable est donc une jouissance in absentia.
Alors que le besoin ne peut être satisfaitqu'in proesentia.
L'imagination, qui étend pour nous la mesure des possibles, et creuse par là notre désir, est aussiune force consolante puisqu'elle nous donne non seulement la représentation mais comme l'équivalent imaginaired'une présence effective.
Elle me fait désirer, mais elle me livre imaginairement ce que je désire.
Je ne me contentepas d'y penser ; c'est comme si c'était là.
Il y a un bonheur de l'imaginaire, une jouissance de l'objet dansl'imagination et donc en son absence que ne viennent pas ternir les vicissitudes liées à l'objet réel (la servitude dupouvoir, les caprices de la femme, la puanteur de Venise).
Au contraire, dans l'imagination, la chose est soumise àma puissance ; elle ne peut me décevoir.
C'est la raison pour laquelle l'imagination se nourrit de l'absence.
L'objetdevient ce que je veux qu'il soit.En fait, la jouissance suppose ce que Rousseau nomme beauté de l'objet.
Mais la présence est exclusive de labeauté ; pour nous, seule l'absence et donc le désir « embellissent » l'objet.
La vraie jouissance est pour nous unejouissance dans l'illusion, dans la présence illusoire de l'imaginaire.
Schopenhauer - dans Le Monde comme volonté et représentation - décritbien cette contradiction du bonheur comme une finalité qui s'annule dans saréalisation même.
En effet, quand l'être humain obtient enfin ce qu'ilcherchait, c'est le sentiment d'ennui qui l'habite plutôt que le bonheur tantvanté.
Sitôt prise, la proie prisée est méprisée.
La vie n'admet point de félicité vraie, elle est foncièrement unesouffrance aux aspects divers, un état de malheur radical...
La célébrité tardive et posthume de Schopenhauer est due non à l'armaturethéorique de son système philosophique, mais à son fameux pessimisme, quis'exprime dans Le Monde comme Volonté et comme Représentation (1818 et1844, trad.
A.
Burdeau, revue et corrigée par R.
Roos, PUF, 1966) à traversses propos sur l'art et surtout sur l'éthique et qu'on ne saurait mieuxcaractériser que par cette phrase :« On peut se convaincre a priori à cette conviction que, par nature, la vien'admet point de félicité vraie, qu'elle est foncièrement une souffrance auxaspects divers, un état de malheur radical.
»Que la souffrance existe est un fait.
Affirmer qu'elle est « le fond de toute vie» relève du pessimisme, car cela signifie que la douleur tient à l'essence mêmede la vie et qu'elle est donc inévitable.
Autrement dit, elle accompagne chaque moment de notre existence et les effort s incessants que nous faisons pour la chasser sont vains.
Ils n'ontd'autre effet que de la faire changer de figure :.
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