LA FONCTION DE L'ÉMOTION : PROBLÈME DE LA FINALITÉ

« On a signalé chez l'homme et l'enfant des peurs instinctives analogues : devant des animaux grands ou même desanimaux petits s'ils se meuvent rapidement comme les insectes et les reptiles; peur de l'obscurité, peur de l'inconnu,ou plutôt du changement d'aspect des personnes et des choses familières, peur des changements brusques (lumièrevive, bruit soudain). Mais si les émotions se rapprochent des instincts, si on explique par là leur origine, elles ont souvent perdu dans denouvelles situations leur valeur primitive : ce sont des vestiges, des survivances. a - Darwin l'admettait déjà lorsqu'il expliquait certaines expressions émotionnelles par le principe de l'association deshabitudes utiles : ce qui a fait partie d'un acte utile peut lui survivre : l'acte de relever la lèvre supérieure dans lacolère s'explique comme une phase préliminaire de l'acte de mordre qui fait à son tour partie de l'acte d'agressiondont la colère est un vestige.En généralisant ce principe, on peut admettre avec Wundt que des réactions fondées dans un cas particuliers'étendent à l'expression d'émotions analogues dans lesquelles elles n'ont plus par elles-mêmes de raison d'être : desexpressions passent des situations physiques aux situations morales : la nausée, le vomissement, expressions dudégoût alimentaire et de la répugnance morale. b - Cette origine indirecte explique qu'on ait pu nier toute finalité dans l'émotion.

L'acte émotionnel paraît souventabsurde, mal adapté à la situation particulière dans laquelle il est accompli.

L'homme irrité par une épigramme fermele poing, démasque les dents, son cœur s'accélère : ces actes n'ont plus de sens comme préparation d'un combatqui n'aura pas lieu.

Ils étaient mieux adaptés à une situation plus simple, plus grossière, devenue rare dans la viehumaine. Mais alors, pourquoi reparaissent-ils? S'adapter, ce serait savoir répondre au railleur, avoir de l'esprit, de la mémoire,accomplir un acte nouveau, individuel, mettant en jeu des fonctions supérieures et délicates.

A cet acte qui nes'accomplit pas se substitue un acte inférieur, instinctif : la réponse du sujet se fait à un étage inférieur.

Valablepour les situations grossièrement analogues, elle est en un autre sens l'échec de l'adaptation supérieure,intellectuelle, qui exclut l'émotion.

Il y a donc souvent antagonisme entre l'action réussie et l'émotion.

L'actionabsorbe l'émotion, tandis que son échec développe comme phénomènes de compensation les vieux automatismesémotionnels, de moins en moins exactement adaptés, les « grossières agitations viscérales » (Janet).

C'est uneréponse instinctive, là où l'instinct ne suffit plus; c'est, dit Larguier des Bancels, « un raté de l'instinct ». On s'étonne parfois d'avoir accompli sans émotion, dans une situation grave, un acte réussi, énergique,généralement simple.

En réalité, on n'était ni calme, ni indifférent : l'énergie d'une grande tension émotionnelle sedépensait en actes efficaces.

Au contraire, dans l'attente d'une situation — ou quelquefois dans son souvenir —l'émotion se développe, parce que les énergies ne trouvent pas leur emploi, se dépensent en phénomènes desubstitution.

Sartre a considéré l'émotion comme une conduite magique dont la finalité serait psychique plus encoreque biologique.. »