La diversité des opinions nous empêche-t-elle d'atteindre la vérité ?
Publié le 12/02/2012
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On entend spontanément par vérité une certaine conformité du discours aux choses que ce discours s'efforce d'exprimer, autrement dit, de manière plus philosophique, la conformité de la pensée à l'être. En partant du principe qu'une chose est une réalité déterminée, c'est-à-dire qu'étant par définition ce qu'elle est, et non autre chose, elle a des caractéristiques propres qui l'identifient et la distinguent en même temps de tout le reste, de tout ce qu'elle n'est pas, on parvient aussitôt à l'idée que la vérité de la chose est une, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas une multiplicité de pensées possibles pour exprimer de manière adéquate ce qu'est cette chose. C'est pourquoi il semble assez évident qu'une diversité d'opinions (sur un même sujet) entre en contradiction avec la recherche de la vérité, et ne peut que s'opposer à sa connaissance. Une opinion est un jugement sur les choses qui n'est pas susceptible d'être démontré, soit parce qu'elle procède d'une connaissance insuffisante, soit parce que la chose que l'on se propose de juger ne se prête pas à une connaissance certaine (ainsi une opinion sur ce qu'il convient de faire dans des circonstances données, et qui peut donner lieu à une décision, personnelle ou politique, n'est-elle pas, par exemple, quelque chose dont la pertinence puisse être rigoureusement certaine). De ce fait, l'opinion revêt un double caractère, incertain et subjectif - subjectif parce que dans l'opinion, du fait de son incertitude même, mes préférences personnelles sont toujours impliquées, à un degré ou à un autre : dans l'opinion je juge la chose selon la relation affective que j'ai avec elle. Tous ces traits conduisent inévitablement au fait que l'opinion se décline au pluriel, est par nature diverse, de telle sorte qu'il semble impossible qu'elle puisse dire la vérité des choses. Dans cette perspective, la diversité des opinions serait le signe de leur caractère par principe erroné. Et cependant, on a malgré l'idée que des opinions peuvent se trouver être vraies, fût-ce en quelque sorte « par hasard «
«
y avoir qu'une vérité.
En dernière instance, c'est le principe de non contradiction qui l'atteste : une chose ne peut pas être etne pas être en un même temps et selon un même rapport.
Si donc on peut affirmer diverses propositions d'une même chose,ce ne peut être que selon des rapports divers, ou en des temps divers, à supposer que la chose change dans le temps.
Ainsi, jepuis dire que "Socrate est assis" et que "Socrate est debout", mais pas en un même temps : car en un même temps, Socrate nepeut être que l'un ou l'autre, et donc au temps t une seule des deux propositions sera vraie.
Si toutes choses sont identiquespar ailleurs, un seul jugement correspond à ce qu'est la chose à un moment donné.Partant, s'il peut y avoir des jugements divers sur une même réalité, c'est parce que cette réalité change.
A supposer uneréalité permanente, non muable, un seul jugement pourra lui correspondre, pour un rapport donné.
Dans ce cas-là, touteopinion est exclue, et seule règne la science.C'est ainsi que Platon réservait la connaissance de science à la réalité intelligible permanente et soustraite au changement, etrefusait de faire du monde sensible changeant un objet de science, lui réservant la connaissance par opinion.Dès lors, sera refusée à l'opinion toute connaissance de la structure des choses, au bénéfice des seuls événements ponctuels.Mais, comme ces événements sont pris dans le flux du changement, et qu'il est impossible d'arrêter cet écoulement du tempssans tomber dans l'arbitraire, on ne pourra jamais être certain de la vérité de l'opinion.
Ainsi, pour rester sur le mêmeexemple : à partir de quel moment peut-on dire de Socrate qu'il n'est plus assis ? A partir du moment où il esquisse lemouvement de se lever, ou bien lorsqu'il achève ce mouvement ? Ou bien à un instant quelconque de tout l'entre-deux ? Dèslors, à quel moment la première opinion cesse d'être vraie ? On se rend compte qu'en fait, elle est toujours de l'ordre d'uneapproximation : approximation quant au moment où elle est vraie, au moment où elle ne l'est pas, approximation quant à ladescription même de la position de Socrate, toujours dans le même exemple.
Ce pourquoi on se trouvera toujours confrontéà une diversité d'opinions, même dans un discours descriptif tel que celui pris en exemple.
Car, on pourra toujours exigerd'être plus précis, par exemple, et déjà cela suffit pour modifier les rapports à l'objet, et donc faire varier les opinions.
Celasera à plus forte raison vrai pour tous les jugements axiomatiques (sur le bien ou le mal), qui sont le terrain le plus large del'opinion.Mais une approximation de la vérité n'est pas une vérité : par conséquent, il semble que l'on puisse légitimement affirmerque qui dit opinion, dit erreur.
Que quelque part, l'opinion est toujours arbitraire, du fait de sa radicale imprécision, de sonimpuissance à se montrer exacte.
Là est la racine de la diversité inhérente aux opinions.
Et précisément, l'une descaractéristiques de la science est d'être un discours exact (cf.
les mathématiques) ; au-delà, il semble que cela soit requis detoute connaissance véritable.Donc, la diversité des opinions est bien, dans ce cas-là, un empêchement sur la voie de la vérité.
[Justification par les doctrines des philosophes] Ceci, c'est ce que soutiennent des philosophes aussi divers que lessceptiques, Pascal ou encore Descartes (ou les autres idéalistes modernes : cf.
par exemple Spinoza).En effet, l'argumentation d'un Sextus Empiricus (philosophe sceptique de l'Antiquité) pour étayer son injonction à suspendreson jugement sur la nature des choses, repose bien sur l'idée que la vérité, pour être acceptée comme telle, doit être en toutpoint certaine.
Or, la variation des jugements de l'homme sur toute chose est bien le signe que ces jugements sont desopinions et que donc nous ne connaissons pas vraiment ces choses.
La diversité des opinions est la cheville même del'argumentation sceptique : puisque l'homme n'est jamais d'accord avec lui-même, c'est bien le signe qu'il ne connaît pas lavérité.On trouve une même argumentation, sur bien des points chez Pascal, le savant français du XVIIème siècle.
Son raisonnements'appuie sur l'idée d'infini.
Selon Pascal, tout ce qui nous entoure est marqué du sceau de l'infini : le monde est infinimentgrand, le moindre des êtres dont nous pouvons avoir l'expérience est divisible à l'infini, c'est-à-dire contient en lui uneinfinité de parties.
Posséder la vérité du monde d'un côté, du moindre des êtres de l'autre supposerait donc de pénétrerl'infini.
Or, la raison humaine est quant à elle finie, c'est-à-dire a une capacité finie de compréhension : l'infini lui échapperadonc toujours, et partant l'homme en est réduit aux conjectures – ce pourquoi Pascal affirme qu'il faut se tourner versmieux que la raison, la foi chrétienne.
Là encore, la marque de cette infirmité de la raison humaine est le désaccord perpétueldes hommes entre eux, c'est-à-dire la diversité des opinions.Enfin, Descartes fait reposer sa conception sur la même idée de l'opinion : l'opinion, étant incertaine, changeante, diversesselon les personnes, etc.
est tout le contraire de la vérité.
On ne peut donc pas lui faire confiance.
Mais Descartes pour sa partne renonce pas au travail de la raison et fait pleinement confiance à la raison : seulement celle-ci fera son oeuvre contre lesopinions, c'est-à-dire en ayant d'abord commencé par se débarrasser de ces opinions venues de l'enfance selon Descartes– ce que doit parvenir à parvenir le travail de méditation philosophique présenté dans les Méditations Métaphysiques.
On peut remarquer que toutes ces conceptions ont pour point commun une certaine conception de la vérité qui assimilecelle-ci à la vérité certaine.
Autrement dit, il s'agit pour ces philosophes de soutenir qu'il n'y a pas de degré entre l'erreur et lavérité, ou encore que la vérité a une forme unique, celle de la science.
En conséquence de quoi, les opinions dans leurdiversité ne peuvent qu'égarer l'esprit à la recherche du vrai.
Pour autant, une telle manière de voir n'est pas évidente.
[II.
Critique et renversement de la position] [Les degrés de l'opinion].
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