La diffusion croissante des resultats scientifiques et techniques rend-elle l'homme plus rationnel ? (ou Les progrès de la technique sont-ils nécessairement des progrès de la raison ?)
Publié le 12/02/2004
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- Dans la note IX du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Rousseau écrit : « ce n'est pas sans peine que nous sommes parvenus à nous rendre si malheureux.
Quand d'uncôté l'on considère les immenses travaux des hommes, tantde sciences approfondies, tant d'arts inventés, tant deforces employées (...) et que de l'autre on recherche avecun peu de méditation les vrais avantages qui ont résulté detout cela pour le bonheur de l'espèce humaine, on ne peutqu'être frappé de l'étonnante disproportion qui règne entreces choses, et déplorer l'aveuglement de l'homme qui, pournourrir son fol orgueil et je ne sais quelle vaine admirationde lui-même, le fait courir après toutes les misères dont ilest susceptible et que la bienfaisante nature avait pris soind'écarter de lui.
» - Effectivement, à l'état de nature, l'homme connaît d'après Rousseau la liberté, le bonheur et la justice.
Laliberté et le bonheur à l'état de nature ne font qu'un, carl'homme écoute alors les impulsions de son coeur et c'est entoute bonne volonté qu'il suit ses conseils.
Il est forcémentjuste, car dans son coeur parle sa conscience, cet« instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuréd'un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; jugeinfaillible du bien et du mal, qui rend l'homme semblable à Dieu » ainsi qu'il l'écrit dans le livre IV de l' Emile . - Par contre, les sciences et les techniques font apparaître de nouveaux besoins.
L'homme ne se contente plus des désirs naturels, car les sciences et les techniques repoussent ses besoinsau-delà de ses capacités naturelles.
Ainsi, alors qu'à l'état de nature il pouvait facilementsatisfaire ses désirs (ceux-ci n'étant constitués que de « la nourriture, une femelle et le repos »comme il l'écrit dans la première partie du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes ), par l'effet du progrès, ses désirs se complexifient, et ils deviennent de plus en plus difficiles à assouvir. - Il en résulte donc que, selon Rousseau, le bénéfice que l'on tire de la diffusion des sciences et des techniques ne vaut pas le préjudice qu'il en coûte.
On vit peut-être plus vieux, maisparcouru de souffrances plus sévères et plus fréquentes. La rupture avec la nature est une illusion, car c'est la technique et la science qui est naturelle àl'homme.
3.
- Cette conception du progrès technique semble cependant biaisé, car le postulat rousseauiste de l'état de nature est problématique.
Outre le fait que ce postulat n'est pas avéré, et qu'onimagine mal comment il pourrait l'être, il repose sur le sentiment que l'homme est naturellementstupide et comblé.
Or il semble bien plus probable que l'homme soit naturellement intelligent etinsatisfait.
Cela évite notamment d'avoir à recourir à l'hypothèse d'un état de nature improbable. - L'homme est par nature un être qui est voué à la technique.
C'est d'ailleurs pour cela qu'il est pourvu de mains.
C'est en effet « à l'être capable d'acquérir le plus grand nombre de techniquesque la nature a donné l'outil de loin le plus utile, la main », écrit Aristote dans Les Parties des animaux .
Si l'homme n'avait par nature besoin de maîtriser son environnement, son corps serait adapté à sa situationet il disposerait de moyens corporels pour se défendre etpour chasser.
Or la nature ne lui a donné que ses mains,mais les mains ont pour but de manipuler les outils.
La main n'est « pas un outil, mais plusieurs » (Aristote, IVe siècleav.
J.C, Traité des Parties des animaux).
La main, a écritKant (XVIIIe s.) signale chez l'homme le « congé définitif»que l'intelligence donne à l'instinct.La main, organe doué d'expressivité.
Pensez aussi aucaractère éminemment individuel de la main : empreintesdigitales, graphologie, lignes de la main, expressivité de lamain du musicien, etc.A la différence de l'animal, l'homme crée les moyens de sontravail : les outils.
L'outil est une sorte de ruse de la raison,qui se détourne provisoirement du but à atteindre, pourconstruire un moyen d'action efficace : fabriquer unmarteau, c'est différer d'enfoncer le clou...
pour l'enfoncerplus facilement.
Marx a repris à son compte la définition deFranklin : l'homme, écrit-il, est un toolmaking animal, un «animal fabricateur d'outils » (Le Capital, 1867).
On ditsouvent, dans le même sens, que l'homo sapiens est d'abord un homo faber..
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