La démonstration est-elle la seule méthode pour parvenir au savoir ?
Publié le 17/12/2022
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«
La démonstration est-elle la seule méthode pour parvenir au savoir ?
Introduction
L’histoire des sciences mathématiques et aussi les sciences de la nature montre qu’une démonstration
réussie assure son auteur d’être parvenu à une vérité certaine.
On peut comprendre alors l’intérêt que
suscite cette méthode pour le philosophe.
Parvenir à démontrer une thèse philosophique reviendrait alors
à quitter « le champ de bataille de ces combats sans fin » évoqué par Kant, dans La Critique de la raison
pure.
1
On doit alors s’interroger sur le statut de la démonstration.
Peut-on considérer que la démonstration est
la seule méthode pour parvenir au savoir ? Nous prendrons comme référence principale les mathématiques
car elles sont le paradigme de la démarche déductive.
Il faut préciser quelle est la nature de la démonstration,
mais aussi quel est son champ d’application.
Cette recherche devrait nous permettre de savoir si nous
pouvons utiliser cette méthode en philosophie.
1
1.1
Démonstration et mathématiques
L’invention des mathématiques
L’arithmétique serait apparue au Proche-Orient pour permettre de compter les troupeaux.
À en croire
Hérodote 2 dans son livre, Histoires 3 , l’invention de la géométrie reviendrait aux égyptiens qui trouvèrent les
premiers procédés pour calculer la surface d’un terrain.
Il s’agissait alors d’arpenter les terres agricoles après
les crues du Nil.
Le premier rôle des mathématiques est donc strictement utilitaire.
Dans la Grèce antique,
le développement des mathématiques est plus spéculatif, il n’a pas réellement d’application technique en
dehors de l’architecture.
Parler de développement de la géométrie en Grèce ne doit pas nous faire croire que les procédés mis
en œuvre pour obtenir un résultat mathématique étaient identiques aux méthodes utilisées actuellement
par les mathématiciens.
1.2
La géométrie d’Euclide
Il faut attendre Euclide 4 pour que les mathématiques fassent un usage systématique de la déduction 5 .
Euclide va exposer au début de son ouvrage, Les éléments, livre I, ce qui rend possible la démonstration
en géométrie.
— En premier lieu, il expose les définitions nominales des objets mathématiques.
6
— Il faut ensuite rendre possible la construction de la figure.
Les postulats — la deuxième catégorie
énoncée par Euclide — sont des demandes, en latin postulare, du mathématicien à lui-même et
au lecteur.
Ces demandes consistent à admettre les postulats comme des vérités non démontrées
— et indémontrables — mais nécessaires pour construire la théorie géométrique.
En un sens, ces
postulats rendent possibles la construction de l’objet.
7
— Enfin, Euclide énumère la série des axiomes.
Ces axiomes 8 appliquent à une science particulière,
l’étude des grandeurs géométriques, les notions communes valables pour toutes les sciences.
1.
Kant fait ici référence aux batailles de la métaphysique : Préface de la 1re édition (1781), Paris, Gallimard, Bibliothèque
de la Pléiade, 1980, p.
725-726.
2.
482 avant notre ère - 425 avant notre ère.
3.
Cf.
Hérodote, Histoires, II, 109, Paris, Maspéro - La découverte, 1980, p.
111.
4.
ive – iiie siècle avant notre ère.
5.
Ici, c’est le synonyme de démonstration.
Ce dernier terme a une signification plus ancienne : action de montrer quelque
chose.
6.
Exemple : « Le point est ce qui n’a pas de partie.
»
7.
Postulat 1 : « De tout point à tout point mener une droite.
»
8.
Exemples :
— « Deux quantités égales à une 3e sont égales entre elles ».
Imprimé le 17 décembre 2022
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La démonstration est-elle la seule méthode pour parvenir au savoir ?
On peut donc considérer que les axiomes sont les règles mettant en relation les objets déterminés dans
les définitions.
Les définitions déterminent les objets premiers sur lesquels porteront les démonstrations.
Il faut donc
s’interroger désormais sur la notion de démonstration.
1.3
Quel est le fondement de la démonstration mathématique ?
1.3.1
Logique et mathématiques
Une première réponse se trouve dans le texte même d’Euclide.
Celui-ci utilise le vocabulaire d’Aristote
pour désigner les axiomes et reprend littéralement certaines définitions que l’on trouve dans les ouvrages
de la logique aristotélicienne.
On peut donc légitimement admettre que le principe fondamental sur lequel
repose les mathématiques est le principe de non-contradiction énoncé par Aristote dans la Métaphysique 9 .
Cette réponse nous renvoie à un fondement logique et discursif de la démonstration.
1.3.2
Intuition pure et construction de l’objet mathématique
Nous avions cité Kant au début de cette analyse, il propose une définition de la démonstration, dans la
Critique de la Raison Pure : « Seule une preuve apodictique 10 , en tant qu’elle est intuitive, peut s’appeler
démonstration ».
11 La démonstration est une preuve certaine car elle est intuitive.
Selon Kant, les propriétés
des objets mathématiques ne sont connues que par une intuition pure, qui n’est pas empirique.
L’intuition
empirique donne à notre entendement des objets concrets et donc singuliers.
En revanche, l’intuition pure
est abstraite — donc générale — par rapport à la représentation empirique.
12
L’exemple que prend Kant est révélateur : la définition nominale du triangle ne donne pas l’intuition
que la somme des angles de tout triangle est égale à deux angles droits.
Il faut construire le triangle, c’està-dire se le représenter intellectuellement, et ensuite progresser d’intuition en intuition afin de parvenir à
la démonstration de l’égalité entre la somme des angles du triangle et deux angles droits.
L’analyse de Kant reste tributaire de la géométrie euclidienne, or l’histoire de la géométrie a montré
qu’il a fallu redéfinir le statut des postulats d’Euclide.
Il s’agit plus précisément du 5e postulat.
Le xixe
siècle va révolutionner la science mathématique en montrant qu’il peut exister d’autres géométries.
2
La crise des mathématiques
2.1
De nouvelles géométries
On sait que, dès l’Antiquité, le 5e postulat a été l’objet d’interrogation.
Les mathématiciens ont donc
cherché à le démontrer.
Le 5e postulat avait pour objet les droites parallèles : Une formulation plus simple
que celle d’Euclide est due à Playfair 13 : « Par un point pris hors d’une droite, on ne peut mener qu’une
parallèle à cette droite ».
Les mathématiciens dès l’Antiquité essayent de déduire ce postulat, et donc, de lui donner un statut de
théorème.
Mais ils échouent.
Une autre piste est envisagée par Saccheri en 1733, démontrer que la négation
— « Le tout est plus grand que la partie ».
9.
10.
11.
12.
sibles].
13.
Cf.
Aristote, Métaphysique, Γ, 3, 1005 b 18 - 1006 a 28.
Dont on a conscience de sa nécessité logique.
Op.
cit., Théorie transcendantale de la méthode, chap.
1, 1re section, éd.
cit., p.
1313.
Démontrer en géométrie, c’est raisonner juste [représentation intelligible] sur des figures fausses [représentations sen1748 - 1819.
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La démonstration est-elle la seule méthode pour parvenir au savoir ?
du 5epostulat aboutissait à une absurdité.
Après avoir déduit quelques propriétés, Saccheri renonce à son
projet.
Il faut attendre le xixe pour que Bolyai et Lobatchevski démontrent indépendamment l’un et l’autre
que l’on peut construire une géométrie cohérente en modifiant le 5e postulat pour admettre que par un
point pris hors d’une droite, il passe une infinité de parallèles à la première droite.
Quant à Riemann, il
construit une autre géométrie où le 5e postulat est remplacé par une autre proposition qui stipule que par
un point pris hors d’une droite, il ne passe aucune parallèle à cette droite.
2.2
Le statut des géométries non-euclidiennes
Insistons sur le fait que la création de ces nouvelles géométries ne correspond à aucune représentation
empirique.
La géométrie de Riemann n’est donc pas représentable.
Ces géométries non-euclidiennes ne
pouvaient pas non plus être utilisées dans les sciences expérimentales.
Elles n’avaient donc aucune utilité
technique.
On se retrouvait donc une situation semblable à la Grèce antique : un pur développement
spéculatif.
14
2.3
L’axiomatisation des mathématiques
L’apparition de nouvelles formes de géométrie modifie la distinction établie par Euclide entre les
postulats, les axiomes et les définitions.
Le processus d’axiomatisation consiste à admettre que les définitions
initiales des objets mathématiques sont des définitions opératoires, c’est-à-dire que ces définitions créent
les objets ainsi définis.
À la limite, on invente une mathématique comme on invente un jeu.
Cependant, il
faudra que ces axiomes soient construits de manière cohérente.
Hilbert au XXe siècle établit les principes qui fondent la construction des axiomes :
1.
Compatibilité.
2.
Indépendance (les axiomes ne doivent pas se déduire les uns des autres, autrement ce sont des
théorèmes).
3.
Suffisance : uniquement les axiomes qui sont nécessaires.
Il semblerait donc que le processus d’axiomatisation conduise à considérer la démonstration mathématique comme une structure formelle où les propositions sont démontrées dans la mesure où elles s’enchaînent
parfaitement les unes par rapport aux autres.
Le critère du jugement est donc la validité dans l’enchaînement des propositions.
La démonstration est donc relative à un système donné — l’ensemble des axiomes.
Est-il possible dans ces conditions d’utiliser la méthode démonstrative dans d’autres disciplines, par
exemple, la philosophie ?
3
3.1
Démonstration et....
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