La découverte de la vérité peut-elle etre le fait du hasard ?
Publié le 26/09/2005
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Est-ce que le fortuit, l'imprévisible, l'aléatoire peuvent permettre à l'homme de découvrir la vérité ? La recherche de la vérité n'est-elle pas toujours le fruit d'une démarche méthodique et rationnelle ? Le hasard est-il constructeur, fécond ? Par exemple, le cogito cartésien, première vérité et vérité première, aurait-il pu jaillir sans le doute méthodique et hyperbolique des "Méditations métaphysiques" ? Illustrons plus précisément cette problématique par un exemple emprunté à la physique. Qu'est-ce qui conduisit Newton à la formulation de la théorie de la gravitation universelle ? La pomme que, paraît-il, il reçut sur la tête n'explique évidemment rien, mais on peut remarquer qu'ici comme souvent la légende de la science rejoint l'inductivisme en invoquant les « faits «, fussent-ils imaginaires, à l'origine de la théorie. Il faut en vérité comprendre la nature des problèmes que la physique du temps de Newton pouvait se poser, et leurs présupposés théoriques. Pour ce faire, un aperçu de l'histoire des théories physiques du mouvement n'est pas inutile. Pour l'antiquité grecque, avec Aristote, le mouvement est par nature passager, transitoire. Son essence est de finir. Ce n'est pas un état de la matière. L'univers n'est en ordre qu'à l'état de repos. Le mouvement est alors l'indice d'un désordre –soit comme la cessation de l'état naturel d'ordre (lancer une pierre en l'air)- soit comme tendance à rétablir l'ordre naturel (quand la pierre retombe). Cette théorie semble, il faut le souligner, tout à fait correspondre à certaines données évidentes de l'expérience : chacun peut constater qu'aucun mouvement ne dure indéfiniment. A partir du XVII ième siècle, les théories modernes du mouvement vont promouvoir celui-ci au rang de passage à celui d'état. Leur principe fondamental est le principe d'inertie, selon lequel un corps a tendance à conserver tout état nouveau qui lui est communiqué : lorsqu'un corps en mouvement s'arrête, c'est donc dû, non comme le croyait Aristote à des causes inhérentes, mais à des facteurs extérieurs, tels les frottements, la résistance de l'air, etc. Or ce principe d'inertie va poser des problèmes nouveaux. Par exemple, comment se fait-il que la Terre tourne autour du soleil, puisque, selon ce principe d'inertie, elle devrait se mouvoir d'un mouvement rectiligne correspondant à une tangente de son orbite ? Pour Copernic qui, au XVI ième, ne connaissait pas le principe d'inertie, le problème ne se posait pas, et Copernic pouvait considérer alors, comme les Grecs, le mouvement circulaire des planètes comme un mouvement naturel et auto-explicatif. A l'époque de Newton au contraire compte tenu de l'état nouveau des théories du mouvement, ce qui n'était pas un problème cent cinquante ans plus tôt en devient un. Il faut expliquer le mouvement orbital des planètes, qui ne s'explique plus de lui-même. La théorie de la gravitation sera cette explication
Notre rapport à la vérité est il nécessairement engagé dans une quête, une enquête ? Ne peut-on pas rencontrer la vérité comme on rencontre la foi, la peur ou l’amour c'est-à-dire par hasard ? L’accès à la vérité n’est pas essentiellement tributaire d’une démarche rationnelle et assumée, théorique et inquisitrice, l’histoire des sciences témoigne de découvertes purement circonstancielles, contingentes, parce que délivrées par un heureux hasard au détour d’une erreur de protocole par exemple. Cependant il faut se garder de faire la part trop belle au hasard. En effet dans ces cas où la vérité semble liée à un heureux hasard, il n’en reste pas moins que celui qui en bénéficie est toujours un chercheur de vérité, un homme de science.
«
chercher la vérité (il y a aussi l'art, la psychanalyse, la philosophie…), elle reste la seule dont les critères permettentune moindre ambiguïté : la valeur de vérité est attestée par des critères objectifs, reconnus par la communautéscientifique présente ou à venir.
Disons que la science se donne les moyens d'entretenir un rapport critique avecson propre rapport à la vérité (par le moyen notamment des expériences cruciales qui décident de la validité d'unethéorie ou bien permettent de l'infirmer).
Or, l'histoire des sciences est féconde de cas où la vérité semble avoir été découverte par hasard.
Souventce hasard peut être lié à un concours de circonstance (Newton recevant une pomme sur la tête, Archimède dansson bain) or on nous objectera que ces cas sont certainement davantage mythiques que réels, donnant l'image(naïve ?) de la révélation comme sortie de nulle part, arrivant littéralement comme un coup sur la tête.
C'estpourquoi il vaut mieux retenir les cas objectifs et dont la réalité historique est attestée : Pasteur découvrantl'immunité en 1880 suite à une faute technique (cf.
Canguilhem La connaissance de la vie pp.
37-38), de même Canguilhem signale que la découverte de la fonction régulatrice du pancréas ne fut découverte que par hasardlorsque des scientifiques décidèrent pour d'autres raisons de procéder à l'ablation de cet organe sur un chenil.
Mais si la science, et en particulier évidemment la science expérimentale, est ouverte à ce genre d'heureuxhasard (encore faut-il savoir interpréter ce qui n'était pas prévu), c'est parce justement la science est empirique et donc faillible et aventureuse : le hasard heureux est toujours une erreur de protocole humaine ou bien un résultatimprévu qui surgit alors que l'on s'intéressait à tout autre chose.
C'est parce que la méthode expérimentale(thématisée par Claude Bernard mais existant avant lui) est toujours plus ou moins tâtonnante que la vérité peutsurgir par hasard, chose certainement inconcevable pour le philosophe, ici plus rationnel que le scientifique (imagine-t-on Platon, Descartes, Kant, Hegel ou Husserl attribuer leur doctrine de la vérité à un léger hasard ?).
II-Le hasard est-il vraiment en jeu ? Il y a une réserve essentielle à formuler, puisque en effet tout se passe comme si le hasard était provoqué,appelé par la circonstance, n'est-il pas contradictoire de penser qu'il y a un territoire privilégié pour l'émergence duhasard ? Le hasard comme tel n'est-il pas nécessairement inconditionné, d'ordre acausal ? Plutôt qu'un hasard, la découverte heureuse d'une vérité serait tributaire d'erreurs, de méthodesincertaines, bref causée par l'homme.
Or l'homme n'est pas maladroit ni faillible par hasard mais constitutivement,non pas seulement en fait mais en droit (sinon nous serions des anges ou des dieux).
La découverte de véritésscientifiques sur le rôle physiologique d'un organe, la valeur thérapeutique d'un inducteur chimique ou la causalitépathologique d'une habitude alimentaire peuvent être dues à des erreurs humaines mais non à de purs hasards ; lesrésultats inattendus sont provoqués, certes ils diffèrent de l'intention de départ, mais il faut remarquer que cesheureuses découvertes auraient pu être faites à partir d'hypothèses correctes.
La rencontre de la vérité est donc comme anticipée lors de rencontres heureuses mais rien ne dit que seulun concours de circonstances pouvait nous la délivrer.
De plus le scientifique lorsqu'il procède expérimentalementsait consciemment qu'il doit guetter toute réaction inattendue et à la limite on peut dire que c'est la possibilité d'unerencontre inattendue qui motive la recherche elle-même.
La recherche n'est ce qu'elle doit être que si elle n'est pascomplètement planifiée, que si le plan inclus une part d'aventure et d'incertitude.
La recherche ne consiste passeulement à vérifier des hypothèses mais encore à formuler des hypothèses à partir de faits imprévus.
Le hasard estdonc comme recherché et de fait cela revient à le dénaturer, ce n'est un hasard que pour un point de vue extérieur.
III- Réhabilitation du hasard. Il faut se demander rigoureusement ce qu'est le hasard et ne pas se contenter d'une acception trop lâche.Le hasard c'est selon Cournot la rencontre de deux séries causales indépendantes, en ce sens le hasard lorsqu'ilabouti à la découverte d'une vérité coïncide avec la chance.
Lors du tirage du loto il y a rencontre de deux séries :le tirage officiel dont la cause est mécanique (les boules sont tirées par un robot) et la série que moi j'ai choisi, dontla cause est donc liée à un choix personnel, le hasard peut être malheureux ou heureux (et caractérisé commechance).
Il est indéterminable mais statistiquement quantifiable, dans la mesure où l'on sait que les probabilitésn'ont aucune efficience (quoiqu'il y ait une chance de gagner sur 14 millions il y a tout de même quelques gagnantsparmi les joueurs).
Or c'est bien cette configuration que l'on retrouve dans nos précédents exemples, en cherchant à évaluerquelque chose on provoque autre chose, c'est-à-dire que l'on provoque par une intention déterminée une réactioncausale inconnue.
Le hasard est d'autant plus certain que le chercheur cherchait précisément autre chose que cequ'il a trouvé (ce qui n'était pas le cas dans les mythes de Newton et d'Archimède qui eux ne cherchait rien oudu moins rien d'autre).
Le hasard n'existe pas comme pur miracle tombé du ciel, il renvoie toujours à la rencontre de deux sérieschacune étant conditionnée ; Kandinsky eu l'idée de sacrifier l'objet dans ses tableaux lorsqu'il vit une toileretournée, ne sachant pas qu'elle n'était pas dans le bon sens il resta un moment surpris, le temps que naisse chezlui une impression esthétique.
On a là encore un hasard (une série causale qui fait que Kandinsky est un peintre quicherche son propre style et une autre qui fait qu'il avait mal rangé le tableau).
L'important est de voir que le hasardne suffit pas à révéler la vérité, encore faut-il y être attentif, savoir lire les signes de ce qui était imprévu et resteinvisible à d'autre.
Conclusion : Ce serait un préjugé que d'écarter le hasard comme chemin vers la vérité, celle-ci se donne tout autantdans le calcul, la réflexion que dans la rencontre sous forme de signe.
Il faut se défaire d'une conception magique duhasard, celui-ci a une structure tout à fait rationnelle ; le hasard n'est pas non plus efficace de lui-même, encore.
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