La déception est-elle inhérente a la nature du désir ?
Publié le 26/09/2005
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Définition des termes : Nous sommes déçus quand ce qui arrive ne répond pas à nos attentes, à nos espoirs. La déception est donc l’indice d’un hiatus entre la réalité et ce que nous attendons d’elle. Elle est un terme relatif. En effet nous pouvons être déçus par quelque chose ou par quelqu’un. Par exemple quand un ami nous avait fait la promesse d’être présent à un évènement important pour nous, nous sommes déçus qu’il n’ait pas tenu sa promesse. Mais cet ami pouvait avoir de bonnes raisons de ne pas venir, comme le fait de devoir secourir quelqu’un par exemple. Cet exemple nous permet de distinguer deux sources possibles de la déception. Soit le tort provient de la personne ou de la chose qui pouvaient répondre à notre attente (mon ami n’avait rien de prévu, il avait juste oublié sa promesse). Soit le tort provient du sujet de la déception qui avait des attentes irréalisables (mon ami ne pouvait préférer abandonner une personne en danger pour être présent à cet évènement). Dans ce dernier cas nous pouvons parler de mécompte, dans le premier cas nous pouvons parler de désappointement, la déception étant accompagnée de mécontentement. Ce qui est inhérent à est ce qui est lié nécessairement à. Donc le sujet nous invite à réfléchir sur la relation qu’il y a ou qu’il peut y avoir entre la déception et le désir et sur la nature de cette relation. Ce qui caractérise le désir est qu’il vise toujours ce que l’on ne possède pas, en ce sens il est manque, et une fois que l’on arrive à nos fins le désir de l’objet s’éteint et porte sur un autre objet, le désir est donc insatiable. Problématique : Le désir comme manque pose le problème de l’éternelle insatisfaction qui rend l’homme désabusé. Mais si le désir ne provoquait pas cette déception, c’est-à-dire s’il procurait à l’homme satisfaction, il provoquerait alors sa propre extinction. D’autre part si l’homme face au désir n’était habité par aucune attente, et donc ne risquait pas d’être déçu, serait-il encore porté à désirer, n’aboutissons-nous pas, là aussi, à une destruction du désir ?
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Le désir est un affect ambivalent ; le sujet est tout autant porté par son désir que déchiré par celui-ci.
Le désir est à la fois sonmoteur et son fardeau.
Contrairement au besoin, le désir n'est jamais satisfait, tel le tonneau des Danaïdes il n'est rempli que pourmieux se vider.
En essayant de le combler, le sujet creuse en fait son propre désir ; ce paradoxe ne nous conduit-il pas à l'affirmationselon laquelle la déception est inhérente à la nature même du désir ? Nous verrons cependant que l'on peut penser la nature du désirpar delà cette logique de l'attente et de la déception.
I- Le désir ne peut-être comblé.
Le désir peut très bien se manifester par l'intermédiaire de symptômes physiologiques, on pourra se reporter ici à la seulefigure de l'amoureux transi dont la littérature est peuplée.
Or, ce n'est pas pour autant que le désir égale un simple besoin ; dans lebesoin, les symptômes physiologiques sont la trace d'un manque réel : le sujet a besoin d'une piqûre de morphine pour calmer sadouleur, de manger sans quoi il va s'évanouir, le nouveau né a besoin de contacts, de caresses, sans lesquels il peut mourir.
Le besoinest suspendu à un impératif physiologique, et c'est parce qu'il est de nature physique, donc réelle, qu'il peut être comblé.
Le besoin estune épreuve que l'homme partage avec l'animal, ressentir le besoin est une condition même de survie.
Le désir est manque d'un objet imaginaire, autrement dit ce dont manque le sujet c'est d'une représentation qu'il s'est lui-même forgé, c'est le sens d'une expression telle que « l'amour rend aveugle ».
Dans A la recherche du temps perdu le protagoniste principal se remet d'une passion, il se rend compte que la femme qu'il a aimé, n'était en fait « pas son genre », en fait il se rendcompte qu'il avait modelé une image fantasmatique de cette femme, loin de correspondre aux caractère réel de celle-ci.
C'est parce qu'il n'est manque de rien de réel que le désir peut glisser d'un objet à un autre ou bien renaître indéfiniment ;l'épreuve du réel par laquelle le sujet tente d'assouvir son désir est en effet toujours en deçà de ses attentes, ne lui fournissant que lematériau nécessaire à la réalimentation de son désir.
A l'inverse du besoin, le désir ne saurait donc être comblé, autrement dit, le sujetdésirant n'en finit jamais avec son propre désir.
Ce décalage entre le désir et la quête de sa satisfaction nous amène logiquement authème de la déception du sujet désirant.
II- La déception est inhérente à la nature du désir.
La psychanalyse, avec Freud puis Lacan, a montré comment le désir naissant chez le petit enfant était corrélatif de l'épreuvede la déception.
Le très jeune enfant a, jusqu'à un certain âge, une relation fusionnelle avec sa mère, il est triste quand elle l'est, iln'existe pas encore pour lui-même comme sujet réellement distinct d'elle.
Son premier désir est d'être l'objet de sa satisfaction, il désirle désir de sa mère.
Par là, Hegel avait déjà relevé, dans La phénoménologie de l'esprit , la différence de nature du désir humain par rapport au désir animal, le désir humain est toujours désir d'un désir, bref, il correspond à l'épreuve que je fais d'autrui.
Dans un second temps la relation entre la mère et l'enfant est médiatisée par l'irruption symbolique du père ; l'enfant se rendcompte qu'autre chose intéresse sa mère, le désir de celle-ci n'est pas exclusivement tourné vers lui.
L'enfant connaît donc unepremière déception : en lui ravissant sa mère, le père empêche que son désir ne soit assouvi.
L'enfant fait l'épreuve d'un écart entrelui et sa mère, la logique de la fusion s'éteint pour laisser place à celle de la demande.
L'irruption du père permet à l'enfant de sedistinguer de sa mère, puisqu'elle correspond à la fin de la fusion entre les deux.
C'est parce qu'il conçoit le hiatus entre lui et sa mèreque l'enfant accède à la parole, ce hiatus, vécu comme un manque, le motive en effet à exprimer ses demandes.
Tout désir futur n'est en fait qu'un travestissement, une métaphore, du désir originel, qui est d'être l'objet unique du désir de lamère.
Or, de même que ce premier désir ne peut être comblé, sauf à risquer la mort causée par un rapport trop fusionnel, les désirssuivants ne se soutiendront que de la dialectique de l'attente et de la déception.
C'est de droit et non de fait que le désir est déçu, il n'ya pas d'alternative entre désirer et manquer de ce qu'on désir.
Le désir n'est jamais plénitude mais toujours manque, il ne s'annule pasmais glisse d'un objet à l'autre, d'une représentation à l'autre, tour à tour, c'est une multitude d'objets, qui, dans la vie de l'homme,viennent prendre la place de l'objet désiré.
III- Le désir n'est manque de rien.
Inspiré par la conception spinoziste du désir, comme affect positif, confortant l'homme dans son être, Deleuze, en particulierdans L'Anti-Œdipe , livre une conception originale du désir.
Selon lui, le désir n'est pas tant manque que force productrice, ou plutôt, c'est parce qu'il est manque que le désir est force productrice, ce que la psychanalyse a su mettre en évidence en comprenant lesrêves et les fantasmes comme des manifestations de désirs refoulés, ou encore les œuvres artistiques comme les sublimations depulsions liés au désir.
Tout se passe comme si la force du désir était une force physique que l'on peut transformer en diversmatériaux : rêves, poèmes, sculptures, délires.
Mais, en tant qu'il est producteur, de représentations, de délires, de fantasmes, le désir doit avant tout être compris commeusine, comme machine fertile et non pas comme ce par quoi l'on fait l'épreuve du manque.
Au-delà de celle-ci, le désir est forcecréatrice.
Sous le joug du désir, le monde devient une matière plastique dont il use pour créer et inventer de nouvelles formes.
Ledésir ne manque donc pas de son objet, il le crée.
Dans cet ordre d'idée la déception ne peut qu'être reléguée au rang d'affectsecondaire et contingent, ne participant à la nature du désir.
En effet le sujet désirant n'est pas tant un sujet déçu qu'un sujet créateur, non pas un sujet passif mais un sujet actif, emportépar son désir plus qu'il n'est dominé par lui.
Une telle vision appartient à une tradition qui promeut le désir au-delà de sa dimensionnégative.
Le manque inhérent au désir n'en épuise pas la compréhension.
La renaissance infinie du désir n'est dès lors pas cela quicause la souffrance du sujet mais le vecteur directeur d'une créativité jamais repue de ses productions.
Conclusion : Le désir est incontestablement l'épreuve d'un manque, mais la question est de savoir si la nature du désir peut être résumée àune telle épreuve.
Il semble que l'on puisse comprendre le phénomène du désir non pas comme l'éternel retour d'une même déceptionpolymorphe mais plutôt comme la force créatrice immanente à la vie du sujet, au sens où aucune œuvre ne saurait être accompliesans désir.
La problématique de la déception ne paraît plus pertinente dès lors que l'on adopte cette lecture du désir, qui en fait unorgane créateur..
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