La culture nous libère-t-elle
Publié le 07/10/2012
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I. La culture comme expression de l'esprit d'un peuple 1. La culture comme manifestation d'un préjugé de classe La culture au premier sens, c'est ce que nous nommons la « culture générale «, celle qui distingue l'homme « cultivé « de l'homme « inculte «. Comme telle, la culture établit d'emblée une hiérarchie non seulement entre les œuvres, mais aussi entre les individus : il y a ceux qui la maîtrisent et ceux qui ne la maîtrisent pas. On peut alors se demander s'il n'y a pas là un rapport de cause à effet : la culture ne classe les œuvres (il y a celles qui doivent être connues par les gens instruits, et celles qui n'ont aucune valeur culturelle) que parce qu'elle permet de hiérarchiser les gens. Telle est du moins la thèse du sociologue Pierre Bourdieu, selon laquelle « la « culture est en fait un instrument de discrimination sociale : la classe dominante érige ses goûts et préjugés en normes culturelles, car cela lui permet de faire de ses enfants autant d'héritiers qui seront favorisés dans leur parcours scolaire, parce qu'ils sont les seuls dont la culture familiale est la même que la culture transmise à l'école. En somme, la « culture « décrète que Baudelaire vaut mieux que le rap, parce que cela permet à la classe dominante (celle dont les enfants connaissent Baudelaire avant de le découvrir au lycée) de favoriser son auto-reproduction : pour faire partie des classes supérieures de la société, il faut avoir réussi son parcours scolaire ; mais ce parcours sera d'autant plus aisé à réussir qu'on sera déjà initié par la culture de ses parents à ce qui sera effectivement enseigné par l'institution éducative. La culture, loin de nous libérer du préjugé, permet alors à la classe qui concentre tous les pouvoirs (financiers, politiques, symboliques) d'asseoir sa domination : c'est un préjugé, et même un préjugé intéressé, que de croire que Baudelaire est un grand poète et que le rap est un genre mineur. 2. La connaissance des œuvres comme enrichissement de soi N'est-ce pas cependant ici prendre proprement les choses à l'envers ? Car enfin, on peut soutenir, comme le...
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2.
La connaissance des oeuvres comme enrichissement de soi
N'est-ce pas cependant ici prendre proprement les choses à l'envers ? Car enfin, on peut soutenir, comme le
fait Alain Finkielkraut, que le rôle de la culture (et de l'institution scolaire qui la transmet), c'est justement de
nous sortir de notre classe sociale d'origine et d'établir peu à peu un territoire commun qui dépasse nos goûts
et dégoûts individuels.
La culture est en ce cas bien un héritage, mais en un tout autre sens que ne l'entendait
Pierre Bourdieu : elle est une invitation à nous libérer de ce qu'à présent nous sommes (et que nous n'avons
pas choisi d'être) en nous confrontant à l'altérité.
L'inactualité des grandes oeuvres de la culture n'est pas alors
le signe qu'elles ne nous disent plus rien, et n'ont plus rien à nous dire : c'est au contraire la preuve qu'elles
disent quelque chose que notre présent lui-même ne dit pas, le signe qu'elles enrichissent le discours de notre
temps et permettent de le mettre à distance.
Comme le disait Nietzsche, les oeuvres de l'art et de la pensée
grecs ont quelque chose d'infiniment dépaysant, et quiconque les fréquente non seulement s'approprie son
propre passé, mais se libère de ses préjugés présents en les faisant apparaître comme préjugés.
3.
La mort de la culture
La question toutefois se pose : pourquoi sommes-nous à présent tentés de voir la culture comme quelque
chose de mort, d'encombrant, d'inutile, bref, comme constituée d'autant de préjugés qui nous emprisonnent et
dont il faudrait se libérer ? C'est ici sans doute qu'il faut songer à ce que disait Hegel de la mort des vieillards :
les vieillards meurent contents, ce qui ne signifie pas qu'ils sont contents de mourir, mais qu'ils cessent de
vouloir vivre parce qu'ils ont obtenu de la vie le contentement, c'est-à-dire qu'ils n'en attendent plus rien.
Or il
en va de même pour la culture : la culture, c'est l'ensemble des oeuvres par lesquelles un peuple a transformé
son monde et l'a fait à son image.
L'esprit du peuple grec se reflète parfaitement dans la statuaire grecque ou
dans la tragédie ; en d'autres termes, l'esprit grec s'est parfaitement objectivé dans des oeuvres qui
l'incarnaient exactement.
Or, précisément, une culture n'est productive que pour autant qu'elle demeure
insatisfaite de son monde, pour autant que le réel lui semble devoir être transformé ; du coup, quand une
culture a peuplé ce monde d'objets dans lesquels elle se retrouve sans reste, elle finit par s'éteindre, parce
qu'elle devient incapable d'inventer encore.
Les cultures ne meurent pas d'indigence, mais de richesse : au.
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