La critique de l'humanisme classique - SARTRE
Publié le 22/03/2015
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La critique de l'humanisme classique
On m'a reproché de demander si l'existentialisme est un humanisme. On m'a dit : mais vous avez écrit dans La Nausée que les humanistes avaient tort, vous vous êtes moqué d'un certain type d'humanisme, pourquoi y revenir à présent ? En réalité, le mot humanisme a deux sens très différents. Par humanisme on peut entendre une théorie qui prend l'homme comme fin et comme valeur supérieure. Il y a humanisme en ce sens chez Cocteau, par exemple, quand dans son récit Le Tour du monde en 80 heures, un personnage déclare, parce qu'il survole des montagnes en avion : l'homme est épatant. Cela signifie que moi, personnellement, qui n'ai pas construit les avions, je bénéficierais de ces inventions particulières, et que je pourrais, en tant qu'homme, me considérer comme responsable et honoré par des actes particuliers à quelques hommes. Cela supposerait que nous pourrions donner une valeur à l'homme d'après les actes les plus hauts de certains hommes. Cet humanisme est absurde, car seul le chien ou le cheval pourraient porter un jugement d'ensemble sur l'homme et déclarer que l'homme est épatant, ce qu'ils n'ont garde de faire, à ma connaissance tout au moins. Mais on ne peut admettre qu'un homme puisse porter un jugement sur l'homme. L'existentialiste le dispense de tout jugement de ce genre : l'existentialiste ne prendra jamais l'homme comme fin, car il est toujours à faire. Et nous ne devons pas croire qu'il y a une humanité à laquelle nous puissions rendre un culte, à la manière d'Auguste Comte.
L'existentialisme est un humanisme

«
Textes commentés 57
Dans cet extrait, Sartre répond au dernier reproche que lui font les
adversaires de l'existentialisme, celui d'avoir caractérisé cette philosophie
comme humaniste alors que dans
La Nausée, Sartre avait pris à parti les
différents types d'humanismes et leur culte commun de la
«dignité
humaine».
Or, ce que souligne le philosophe français ici, c'est que le
concept d'humanisme
n'est pas un concept univoque : il faut distinguer
plusieurs sens de la notion d'humanisme.
Le premier sens est celui qui a été repris par l'humanisme classique et
que critiquait justement
La Nausée, à savoir la « théorie qui prend
l'homme comme fin et comme valeur supérieure
» (lignes 4-5) : l'huma
nisme, en ce sens, est la doctrine selon laquelle l'homme est supérieur aux
autres réalités et aux autres animaux, soit parce qu'il est image de Dieu
(cas de l'humanisme chrétien) soit parce qu'il dispose de la raison (cas de
l'humanisme laïc), soit parce qu'il est capable de faire des choses inacces
sibles aux autres êtres, comme des actes
héroïques.
C'est ce dernier cas de
figure que reprend Sartre pour illustrer sa définition : chez Cocteau, on
trouve un humanisme de ce genre, puisque le fait que l'homme, en tant
qu'homo faber, puisse produire des objets techniques comme les avions
fait dire au personnage de l'un de ses récits que
« les hommes sont épa
tants
».
C'est bien là souligner la supériorité de l'homme sur les autres
êtres vivants et considérer que
«nous pourrions donner une valeur à
l'homme d'après les actes les plus hauts de certains hommes
» (lignes
10-11).
Or,
ce que démontre Sartre dans la dernière partie du texte, c'est qu'il
est impossible de tenir ce genre de discours : en effet, affirmer la valeur
supérieure de l'homme, c'est supposer que l'on puisse
« porter un juge
ment d'ensemble sur
l'homme».
Mais c'est précisément ce que l'homme
ne peut faire, sauf à sortir de la condition humaine, ou ce que pourraient
seuls faire le cheval et le chien, bref des êtres vivants qui ne sont pas des
hommes, si le jugement n'était pas une prérogative humaine et s'il ne leur
était pas interdit.
De plus, dire
« l'homme est épatant » c'est penser que
l'homme est fait alors qu'il reste toujours, en vertu des principes mêmes
de l'existentialisme,
« à faire » : aussi ne saurait-il être question de
concevoir une
« religion de l'humanité », comme le philosophe positiviste
Auguste Comte, car ce serait rendre un culte à ce qu'elle a été (à son
essence).
De ce point de vue,
l'existentialisme n'est pas un humanisme..
»
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