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la crise de monde moderne

Publié le 20/10/2023

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« La crise du monde moderne Le sujet est immense. Quand j'entends parler de la crise du monde moderne, trois impressions se mêlent. D'abord je vois René Guénon, un homme auquel j'étais très attaché, auprès de qui j'ai vécu.

Je pense invinciblement au titre d'un de ses ouvrages et je me retrouve à Duqqi près du Caire, je revois ma jeunesse et ma présence auprès de Guénon. La deuxième impression est beaucoup plus terrifiante.

Quand on parle de crise du monde moderne, je vois le champignon atomique, les possibilités de destruction totale qu'il y a maintenant et qui peuvent tous nous affecter.

Et dans le sujet que j'ai choisi, ce problème n'est pas exclu, il est présent. La troisième impression se situe à un niveau beaucoup plus ordinaire, dans mon expérience de plus de trente ans dans une organisation internationale interculturelle l'Organisation des Nations Unies - où je me suis occupé des droits de l'homme et des rencontres entre les cultures.

D'autre part, à côté de cette expérience, il y avait également la participation à toutes sortes de colloques, de rapprochements entre cultures, entre religions. Que je vous dise immédiatement que cette troisième expérience se solde à peu près totalement par la négative.

J'ai l'impression que nous sommes plus loin du "One World", du "monde unifié"que nous ne l'étions il y a trente ans, et que le dialogue entre les cultures et entre les religions passe avec beaucoup plus de difficulté que lorsque j'ai commencé. Je crois que nous sommes devant des choix.

La situation, loin de s'être clarifiée, s'est aggravée.

A l'issue de la guerre, on avait des illusions, on croyait qu'on entrait dans une ère nouvelle de droits de l'homme, de libertés et on a fondé des institutions auxquelles j'ai adhéré avec quelque enthousiasme, je l'avoue.

Et petit à petit, il est apparu que le monde est très complexe et que l'unité, en fait, se situe à un autre niveau que l'équilibre de la terreur ou que les profits économiques, et même que la tolérance.

Ça va plus loin et plus profond, et je suis beaucoup revenu de l'ouverture à autrui tant qu'on est fermé à soi-même.

Je pense qu'avant d'entamer un dialogue entre musulmans, juifs, chrétiens, athées, marxistes, Africains ou Chinois, peu importe, il faudrait d'abord être de meilleurs musulmans, de meilleurs chrétiens, de meilleurs juifs, de meilleurs marxistes.

Je pense aussi que nous sommes en train de converser sur des idées reçues et sur des à peu près. Pour trouver un angle d'attaque à notre réunion d'aujourd'hui, je prendrai un thème que je crois très holistique, et que peut-être Guénon n'avait pas tellement souligné dans son livre qui date d'une autre génération, c'est que nous vivons dans un monde de désintégration, nous vivons dans un monde de distraction où le spectaculaire domine, nous vivons dans un monde de cloisonnements.

Les trois défauts que je signale : désintégration, dispersion, cloisonnement, sont trois crimes contre le holisme. La désintégration va de la conception du monde avec le champignon atomique jusqu'à la psychanalyse, en passant par un scientisme qui pense que c'est en chiffrant les choses qu'on peut avoir prise sur elles.

Alors que les traditions nous apprennent toutes à lâcher prise, on essaie au contraire d'avoir prise sur le monde.

Donc, cette désintégration, qui est le contraire de l'intégration holistique, fait que notre conception de l'être, notre conception métaphysique, nos conceptions de Dieu, se trouvent atomisées, cloisonnées en opinions, en religions, en sectes et beaucoup plus aujourd'hui qu'à la sortie de la guerre.

Et là, il y a un besoin de recentrage, un besoin de synthèse, et c'est le sens même du mouvement holistique. Dispersion : le monde moderne est un monde de distraction, au sens traditionnel comme au sens ordinaire le plus profane.

D'une part le monde actuel est détourné de la connaissance, des racines, des sources et d'autre part il se tourne de plus en plus vers le spectacle qu'il se donne à lui-même par la télévision, par les émeutes aussi...

Là encore, il y a un crime chaque fois qu'il y a envahissement des émissions par la "pub", chaque fois que l'on s'abandonne au petit écran.

Il y a un abandon et je crois qu'il y a de nouveau là une attaque contre le holisme, qui demande recentrage, ressourcement et c'est pourquoi je suis là avec vous, parce que j'y crois profondément. Cloisonnements : cloisonnement métaphysique, cloisonnement de l'individu...

La partie spirituelle, la partie rationnelle, la partie affective de nous-mêmes sont classifiées et compartimentées séparément ; il y a un travail de dissolution de l'ego et du moi qui se poursuit dans la dissolution de la société.

Vous savez très bien que j'aime les anecdotes, j'ai eu l'occasion de rencontrer un reporter de l'Agence Tass, un Soviétique qui avait participé à la prise de Berlin et je lui posais des questions d'une manière simple et directe.

Nous étions dans une datcha d'une île de la Baltique.

C'était l'un des hommes les plus intelligents que j'aie jamais rencontré. - « C'est curieux, lui dis-je, cet amour des êtres que vous avez, qui n'est pas la fameuse âme slave et que l'on retrouve ailleurs, par exemple chez les Tadjiks.

» Il me répond : - « Nous nous sentons solidaires, parce que, chez nous, autrui est un compagnon d'infortune alors qu'en Occident autrui est un concurrent ou un compétiteur potentiel.

On ne peut pas s'ouvrir à lui, il faut se méfier.

Il ne faut pas le laisser vous dépasser, il faut produire plus que lui, montrer une excellence plus grande que la sienne.

» Ceci m'a été dit il y a assez longtemps et je ne l'oublierai pas : autrui, chez nous est un compagnon d'infortune qu'il faut aimer et consoler. Une autre anecdote : j'étais très jeune et je débutais à l'UNESCO.

Nous avions des sections très développées pour l'éducation des adultes, et il y avait de grandes campagnes contre l'analphabétisme et pour l'éducation des adultes.

J'ai exprimé alors mon étonnement à Madame Montessori que j'avais vue à Florence : - « C'est curieux, l'UNESCO n'a de souci que pour des gens adultes, barbus et analphabètes ». Or il y avait aussi le chef de la section de l'éducation des adultes, un Anglais, qui me dit : - « Mais c'est très simple, notre but est de faire qu'on puisse lire les affiches et lire les indications dans les grands magasins.

Nous sommes là pour faire acheter.

Il faut leur apprendre à lire suffisamment pour qu'ils déchiffrent le mode d'emploi.

Le but n'est pas d'éduquer des petits enfants ou de les former, le but est de promouvoir les achats ». Et il me l'a dit tout tranquillement. - « C'est pour ça que nous sommes là et C'est ce que nous avons à faire.

Il s'agit d'apprendre à lire et à écrire en Haute-Egypte, au Soudan, au Ghana, en Birmanie, que sais-je encore, pour qu'ils puissent acheter la camelote qui leur est produite dans les différents pays industrialisés ». Et il m'a dit cela comme une chose qui allait de soi, pour que je rentre un peu dans le jeu. Enfin, dernière anecdote.

Lorsque je recevais des candidats pour l'UNESCO, le critère essentiel sur les feuilles imprimées que je leur donnais, était l'expérience.

Mot profondément égalitaire, démocratique mais aussi niveleur parce qu'on ne demandait pas « Quelles sont vos capacités ? » mais « Quelle est votre expérience ? ».

On pensait que n'importe quel être en accumulant l'expérience - on ne disait pas la connaissance - pouvait aller plus loin, mais ceci est une conception linéaire où les habitudes, les capacités, la vocation, l'amour ne jouent pas de rôle.

Par exemple un homme qui avait fondé une usine en Union Sud Africaine, que sais-je encore, était considéré comme plus important qu'un homme qui n'avait rien fait.

Ce système égalitaire au démarrage était profondément injuste car il contribuait à ne regarder que ceux qui pouvaient déjà prouver leur efficacité.

On ne tenait pas compte des autres.

Or, il y avait quantité de capacités, de projections dans l'avenir, de possibilités de s'exprimer qui étaient ainsi écartées dès le début. La notion d'expérience a donc remplacé la notion traditionnelle de vocation et de compétence.

Et vous constaterez que dans la civilisation de l'Inde, les choses sont même poussées très loin, jusqu'au système de castes où un prêtre n'est pas un guerrier, qui n'est pas un marchand, et ainsi de suite.

Mais ce système a existé - Dumézil l'a très bien démontré - dans l'antiquité romaine et dans le monde médiéval et c'est maintenant seulement qu'il y a une prime à une efficacité et à un rendement que l'on ne considère que lorsqu'ils se sont déjà manifestés.

Il est très difficile de commencer et de dire « Me voilà, je vais vous faire quelque chose », il faut déjà être connu pour pouvoir être pris au sérieux.

On donne une trop grande place à la spécialisation et à l'expérience et pas assez à la vocation et à l'aptitude. Il y.... »

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