La crise de 1848 et la philosophie sociale

lignes maritimes (canal de Suez), création d’établissements de crédit (Crédit immobilier). Notons le rôle d’un ancien saint-simonien, Michel Chevalier (1806-1879), auteur en 1848 de Lettres sur l’organisation du travail, qui négocie en 1860 le traité de libre-échange avec l’Angleterre. En fait, la prospérité des milieux dirigeants industriels et financiers rend plus aiguë encore la question sociale. Tandis que le spiritualisme, toujours dominant dans l’Université, tente d’arbitrer diversement entre positivistes et théologiens, entre vérité de la science et vérité de la foi, la philosophie sociale en France se réduit à un affrontement entre proudhoniens et marxistes. Pierre Joseph Proudhon (1809-1869) a une origine plébéienne, rare chez les théoriciens du socialisme. Mais brillant boursier du collège de Besançon, il n’est pas vraiment un autodidacte. Devenu ouvrier typographe à dix-neuf ans, il acquiert une vaste culture, surtout en économie politique et en théologie. Par la suite, il dirige de petites entreprises. Son œuvre de publiciste est immense. Rendu célèbre en 1840 par la fameuse formule « la propriété, c’est le vol », il est poursuivi pour ses publications. Député en 1848, il crée une banque du peuple qui abolit l’intérêt et fait circuler gratuitement les valeurs. Poursuivi, condamné à trois ans de prison, il doit s’exiler d’abord à Genève, puis à Bruxelles. Il est difficile de saisir l’ensemble d’une œuvre qui a donné occasion aux interprétations les plus diverses. Son socialisme se veut scientifique, comme tous les auteurs de son temps. Il dit en 1848 : «Je proteste contre la société actuelle et je cherche la science. A ce double titre je suis socialiste. » Rien n’est plus vague, mais ce vague même explique peut-être que tant d’auteurs, partisans ou adversaires de la révolution, aient pu se réclamer de lui, de l’anarcho-syndicalisme à Charles Maurras ou à Péguy. Il n’est évidemment pas le premier à avoir contesté le droit de propriété dans son mémoire de 1840, Qu’est-ce que la propriété ? Le succès de Proudhon est dû à la brutalité de la réponse : la propriété, c’est le vol. Mais pourquoi choquerait-elle davantage, demande Proudhon, que la formule : l’esclavage, c’est l’assassinat ? C’est que la propriété est au fondement de nos institutions : « Réformer la propriété, c’est réformer toute la société, c’est refaire l’homme. » En somme, Proudhon est d’accord ici avec le très libéral Adolphe Thiers qui prétend en 1848 donner une preuve directe, d’une évidence géométrique, que l’« ordre social repose