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La contemplation de l'oeuvre d'art

Publié le 15/01/2004

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Une oeuvre comme L'homme qui marche de Giacometti est à cet égard typique. Aucun homme n'a jamais marché à la façon de L'homme qui marche : les deux pieds à terre, bien à plat. Combien d'erreurs volontaires pour donner l'illusion esthétique du vrai ! Voyez l'Odalisque d'Ingres : le peintre le plus classique de l'histoire du XIXe siècle s'est rendu coupable d'une contre-vérité anatomique puisque cette Odalisque a treize côtes au lieu de douze (cette transformation de la nature objective étant nécessaire pour donner une impression « réaliste » de nonchalance et de langueur). Même les philosophes qui croient, comme Bergson, que l'art n'a pas d'autre fin que de nous révéler la réalité, pensent précisément que cette réalité est d'abord cachée - l'objet immédiat étant défiguré par les conventions et les préjugés utilitaires de la perception ordinaire.* L'art est donc un autre monde que la nature : on ne devient pas musicien en écoutant le chant des oiseaux, mais en allant au concert ; on ne devient pas peintre en regardant des couchers de soleil mais « la peinture s'apprend au musée » (Renoir). L'artiste, nous dit Malraux dans Les Voix du silence (1951), commence par imiter les toiles de ses maîtres (et non la nature), pour ensuite découvrir sa manière propre. L'art se conquiert toujours sur l'art lui-même.LA CRÉATION ESTHÉTIQUEN'est-il pas paradoxal de prétendre expliquer la création artistique ? Expliquer, c'est ramener le nouveau à l'ancien, l'inconnu au familier. Expliquer une création, c'est d'une certaine façon nier son originalité.

« A.

L'oeuvre d'art et l'inconscient L'oeuvre d'art joue en nous des scènes que nous ne savons voir nicomprendre ; elle nous émeut d'autant plus que nous ne comprenons paspourquoi.

Les processus qu'elle met en oeuvre sont inconscients : l'oeuvred'art a précisément pour effet de solliciter l'inconscient.

L'oeuvre est comme le jeu des enfants, création d'un monde imaginairesatisfaisant mieux que le monde réel les exigences du principe de plaisir.Comme l'enfant, l'artiste prend son jeu très au sérieux, s'y investissant toutentier.

Il s'agit donc, pour la psychanalyse, de comprendre l'oeuvre d'art à lalumière de l'état d'esprit de l'artiste en création.

L'effet de l'oeuvre est de reproduire l'émotion créatrice de l'artiste dansl'âme de celui qui contemple sa réalisation.

Produisant ainsi une véritablecommunication des inconscients, l'art a le pouvoir de créer des archétypes del'affectivité humaine, à l'image des Vierges de Raphaël, ou du Hamlet deShakespeare.

L'interprétation de l'oeuvre par le psychanalyste n'y trouve rien que l'artisten'y ait mis : ce que le premier observe de l'extérieur, à lalumière de son expérience des névroses et des phénomènes de l'inconscient,le second l'exprime, souvent sans le formuler ni le savoir explicitement, par unformidable pouvoir de concentration sur ce que l'âme humaine recèle de plusprofond. B.

Les limites de l'interprétation psychanalytique de l'art À la « satisfaction imaginaire de désirs inconscients » que procure l'art s'ajoute une « prime de séduction »,constituée par la perception du beau.

Le beau ne se réduit pas, pour Freud, à une explication psychanalytique parl'inconscient : c'est un phénomène autonome, à part, sur lequel la psychanalyse n'a rien à dire.

L'activité artistique est un moyen de déviation et de satisfaction de pulsions refoulées, qui sont souvent d'une rareviolence chez l'artiste.

Pourtant, la névrose n'entraîne pas automatiquement le talent artistique, puisque denombreux névrosés ne le possèdent pas : il est donc une marge de liberté, que la psychanalyse est impuissante àréduire.

L'art dans sa nature reste hors de la portée de la psychanalyse. Selon les marxistes, la création artistique correspondrait à une transposition voilée et « mystifiée » des conflits declasses sociales à une époque donnée.

Nous ne pouvons contester que les drames de Diderot, la comédielarmoyante du XVIIIe siècle puissent être éclairés de façon fructueuse par la connaissance de l'essor économique dela bourgeoisie. B.

La création artistique défie toute explication Cependant, l'étude des « sources » psychologiques ou sociales d'une oeuvre d'art laisse de côté l'essentiel, c'est-à-dire la valeur de l'oeuvre, ce qui fait d'elle, précisément, une oeuvre d'art.

La psychologie, ou la sociologie de l'art,n'expliquera de l'art que ce qui, en lui, n'est pas artistique.

On n'expliquera pas le génie de Rembrandt à partir de laHollande de son époque, puisqu'après tout, le dernier des petits maîtres hollandais reflète aussi son temps (mais iln'est pas Rembrandt).Le secret de la création artistique n'est pas dans les matériaux, dans les sources de l'oeuvre mais, tout aucontraire, dans l'élan mystérieux qui emporte ces matériaux, ces sources, et les métamorphose en oeuvres d'art.Aussi tourmenté que soit un art authentique – on pense aux poèmes de Rimbaud ou aux peintures de Van Gogh –, ilrévélera un ordre, une unité, la métamorphose du chaos original des passions et des servitudes en une harmonieoriginale, en une cohérence souveraine.

Comme l'a bien vu Malraux, le style imprime la marque de l'homme libre sur lavie qui d'abord l'écrase, et chaque oeuvre d'art témoigne d'une servitude domptée : « L'art est un anti-destin ». LA CONTEMPLATION DE L'OEUVRE D'ART A.

Caractère original du plaisir esthétique Une étude philosophique de la contemplation esthétique, c'est-à-dire du plaisir éprouvé par l'amateur d'art, serasymétrique à l'étude de la création artistique.

Autrement dit, il convient ici de montrer la spécificité du plaisiresthétique que l'on ne saurait, sans le trahir, réduire à autre chose que lui-même.

Dire, avec Stendhal, que « labeauté est une promesse de bonheur », c'est ne rien dire, car assurément la contemplation esthétique est une joie,mais pas n'importe quelle joie.

Et si on sous-entend qu'il s'agit d'un plaisir sensuel, voire d'une émotion sexuelle, onconfond la contemplation esthétique avec autre chose qu'elle-même.D'autres «réductions », opposées à la «réduction sensualiste» du plaisir esthétique, ne sont pas plus convaincantes.Ramener par exemple la contemplation esthétique à la simple reconnaissance d'un ordre rationnel, d'une logiquecachée, ne respecte pas davantage la spécificité de l'émotion esthétique.

« La musique, disait Leibniz, est unexercice d'arithmétique d'un esprit qui ne sait pas qu'il compte.

» Mais l'émotion qui saisit l'auditeur d'un concert nese confond pas avec le sentiment d'avoir résolu un problème mathématique ! B.

Contemplation et ravissement. »

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