La conscience que j'ai d'exister peut-elle être remise en doute ?
Publié le 11/02/2004
Extrait du document
«
Il y a un fait qui échappe au doute ; mon existence comme pensée.
Que ce que je pense soit vrai ou faux, je pense.Et si je pense, je suis.
Le néant ne peut pas penser.
La première certitude que j'ai est donc celle de mon existence,mais comme pure pensée, puisque, en toute rigueur, je n'ai pas encore de preuve de l'existence de mon corps.Quand bien même je nierais que le monde existe, que mon corps existe, que je puisse penser correctement, je nepourrais remettre en cause ce fait : je pense, et par suite, je suis.
La volonté sceptique de douter de tout, l'idéequ'aucune vérité n'est accessible à l'homme, se brise sur ce fait : je pense.
Voilà le roc, voilà l'argile.
Voilà le pointferme grâce auquel j'échappe à la noyade dans l'océan du doute, par lequel je retrouverai la terre ferme de lascience vraie.La difficulté provient de l'interprétation à donner à ce « je ».
Il n'est pas l'individu concret.
Ce n'est pas Descartes,homme du XVIIième siècle, c'est tout individu pensant qui peut dire « je pense donc je suis », pour peu qu'il refasse,pour lui-même, l'expérience entreprise.Ce « je » est, par définition, désincarné ; tout ce que je peux affirmer, à ce moment, de l'itinéraire cartésien, c'estmon existence comme pensée, puisque, répétons-le, je dois encore, temporairement, nier l'existence du corps.Les deux conséquences majeures que Descartes tire de sa découverte sont d'une importance cruciale pour l'histoirede la philosophie.
D'une part Descartes montre que la nature de la pensée et celle de la matière sot différentes.
Ce qu'on nommedualisme : « Je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser [...]En sorte que moi, cad l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps.
» Le corps, eneffet, n'est qu'une portion de matière, ayant une forme, et susceptible de recevoir du mouvement.
La pensée estradicalement différente, c'est la faculté de concevoir, imaginer, sentir, vouloir.
Descartes ne nie pas que –enl'homme- il y ait interaction du corps et de la pensée, et il consacrera même un ouvrage, « Les Passions de l'âme »(1649), à ce qu'on nommerait aujourd'hui biologie des passions.
Mais il jette grâce au dualisme les bases de lascience moderne, en limitant la physique à l'étude de la matière et de ses propriétés.
Il faut se souvenir qu'Aristoteconsidérait l'étude de l'âme comme le couronnement de la physique, et que Pascal aura à batailler contre l'idée quela « nature a horreur du vide », comme si la matière était animée d'intention.
D'autre part, dans l'expérience du « cogito », du « je pense », je prends conscience de moi-même commepensée.
Cela amènera notre auteur à identifier pensée et conscience, ce que contestera, outre Leibniz & Spinoza,Freud.Avec le « je pense donc je suis », Descartes place la conscience, le sujet, à la racine de toute connaissancepossible.
La conséquence essentielle est le primat de la conscience, et sa différence d'avec la matière.
Redonner àl'homme une place dans un univers infini et vide de Dieu, assurer la dignité de la conscience, et jeter les bases de lascience moderne, tels sont les objectifs que la métaphysique cartésienne s'est assignée.
Les qualités de la conscience.
1) La transparence de la conscience.
Ce qui est présent dans la conscience semble directement accessible.
Un simple regard, une simple introspectionsuffisent.
De plus, le sens de ce qui est présent dans ma conscience est là en sa totalité.
Avec la conscience, onest donc de plain-pied dans la signification.
Bref, la conscience est transparente à elle-même.
Et ce qui seprésenterait comme une zone d'ombre ne serait que la conséquence de l'inattention ou d'une attention insuffisante.En cela le rapport de la conscience avec elle-même diffère de son rapport avec l'objet.L'objet est une zone d'opacité pour la conscience.
Quand je m'engage dans la connaissance du monde extérieur, jequitte le domaine de la certitude.Seule la transparence de la conscience avec elle-même ouvre la sphère de la certitude.
Autrement dit, je lis dansma conscience à livre ouvert.
La certitude n'est jamais que l'adhésion de la conscience à une vérité reconnue parelle avec évidence comme telle.
2) L'immédiateté de la conscience.
D'autre part, ce qui fait l'originalité du rapport de la conscience à elle-même, c'est l'immédiateté.
Nul intermédiaire,nulle médiation, la conscience se donne immédiatement.
Pour Descartes, la vérité se saisit dans le présent et plusprécisément dans l'instant.
En effet, c'est au moment où je prononce « je suis, j'existe » que cette proposition estvraie.
C'est dans l'instant où elle se donne que je l'éprouve dans sa vérité.
Le présent est la seule chose quiéchappe au doute.
Il se distingue du passé qui, en tant qu'il suppose la mémoire, dépend de la fiabilité de cettedernière et de la reconstruction qu'elle implique.
Seul, le présent est ce qui peut signifier cette immédiateté.
Leprésent est le temps de la vérité de la conscience.
3) L'unité de la conscience.
Par-delà la multiplicité de ses affections, la conscience est ce qui se présente comme quelque chose d'unique.
Levécu peut se présenter sous des formes multiples, les réactions devant des situations diverses, voire identiques,peuvent être différentes, mais en dépit de ces différences, il s'agit de mon expériences, de mon vécu.
La multipliciténe prend sens que sur fond d'unité de la conscience.
Ainsi Descartes, dans la « Deuxième Méditation » reconnaîtqu'il existe des facultés diverses et multiples : l'entendement, la volonté, l'imagination, la sensibilité.
Mais cesfacultés sont toutes déduites à partir de l'unité du cogito.
La conscience s'apparaît donc à elle-même commefondamentalement unique & identique.
Elle joue comme pouvoir unificateur.
C'est cette unité de la conscience quiassure l'accès à la personne.
Kant écrit : « Posséder le JE dans sa représentation : ce pouvoir élève l'hommeinfiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre.
Par là, il est une personne ; et grâce à l'unité de.
»
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