« La conscience enferme un refus de soi : on ne connaît de soi que ce Qu'on change. » Quelles réflexions vous suggère cette pensée d'Alain ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
«
Troisième partie : La conscience comme formation de soi
• La conscience comme doute.a) Dès lors que nous identifions la conscience à un savoir revenant sur lui-même, il apparaît que « c'est bien lepouvoir de douter qui est la vie du moi.
» En effet, le doute est le premier moment de ce retour du savoir sur lui-même, de sa propre interrogation et remise en question.b) Or ce doute, prélude à la connaissance, implique une séparation du sujet connaissant et de l'objet de saconnaissance, un recul du sujet, une mise à distance de l'objet qui forment d'une certaine manière un « refus » dece dernier.c) De plus, l'éclosion du doute est toujours consécutive à une crise, à un désaccord rompant l'harmonie entre moi etle monde ou, dans le cas qui nous intéresse ici, entre moi et moi.
On voit donc que l'on n'a pas conscience de soi,c'est-à-dire « qu'on ne se connaît point si on ne se condamne, ce qui est se diviser de soi, et en même temps sereconnaître.
Car pourquoi se réveille-t-on, sinon par quelque conflit intérieur? » (Histoires de mes pensées, p.
266.)Transition : La conscience enferme donc un refus de soi.
Mais pourquoi « ne connaît-on de soi que ce qu'on change» ?
• La conscience de soi comme conscience d'un devenir.a) Dans le mouvement de refus de soi par lequel le moi se saisit lui-même, ce soi se trouve rejeté dans le passé.
Unpassé qui est appréhendé comme dépassé : je ne suis plus ce moi que je juge, ne serait-ce que par le simple faitque je le juge.
(« Je ne suis plus cet enfant, cet ignorant, ce naïf.
»)b) La mémoire apparaît alors liée à ce mouvement de dépassement, de changement.
« Se souvenir, c'est sauver sessouvenirs, c'est se témoigner qu'on les a dépassés.
C'est les juger.
Le passé, ce sont des expériences que je neferai plus.
Un artiste reconnaît dans ses oeuvres qu'il ne s'était pas encore trouvé lui-même, qu'il ne s'était pasencore délivré ; mais il y retrouve aussi un pressentiment de ce qui a suivi.
C'est cet élan qui ordonne les souvenirsselon le temps.
L'armature, c'est : ce que je ne savais pas, ce que je sais, ce que je croyais ou prévoyais, ce quej'ai trouvé, ce que je voulais, ce que j'ai fait, qui est toujours autre chose...
Et par opposition, aussitôt uneadaptation, un parti pris, un développement sur nouveaux frais.
On ne se souvient à proprement parler que de cedéveloppement intime et irréversible.
Ainsi le vieillard, qui ne se développe plus guère, oublie ce qu'il vient de faire,et l'enfant n'a pas de souvenirs.
Mais plus tard on retrouve ses souvenirs d'enfant, comme éclairés par ce qui asuivi...
» Finalement, sous la surface, le Moi profond, c'est une nature sur laquelle on compte, riche développable.
Etpuis un pouvoir de la reconnaître, d'en user, de la juger, de la changer un peu, de la délivrer de tout ce qui estparasite.c) Ainsi toute conscience de soi est bien conscience de ce qui a changé, de ce que j'ai changé en moi par refus demoi.
« La conscience de soi est la conscience d'un devenir et d'une formation de soi irréversible, irréparable.
» (Id.)
conclusion
L'être conscient est l'être qui se sépare de lui-même, prend du recul et se juge.
L'être conscient n'est pas le simple• spectateur du monde, mais le spectateur du spectateur, celui qui se regarde comme spectateur.
Telle est, nousdit Alain, l'enseignement de la tragédie grecque.
Car cette ancienne tragédie « donnait au centre le spectacle, et,autour du spectacle, des spectateurs en spectacle, qui formaient le choeur ; ainsi les spectateurs avaient sous lesyeux, non seulement le drame, mais le spectateur tel qu'il ne devait pas être, le spectateur qui ne sait pas qu'il estspectateur.
Image sublime de la réflexion, et véritable école de la pensée.
Voilà, se dit le spectateur du spectateur,voilà ce que je serais si je me laissais être, si je me croyais.
» (Propos, op.
cit., p.
845.).
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