La connaissance du passé peut-elle nous aider à comprendre le présent ?
Publié le 27/02/2008
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La connaissance du passé peut-elle nous aider à comprendre le présent
La connaissance du passé apparaît comme un véritable tours de force à l'égard précisément de ce passé. Mentionnant d'abord le choix fait par l'historien qui, s'il recueille les faits de l'histoire, fait aussi tout autant l'histoire par cette sélection dont on peut toujours interroger l'impartialité. Dans l'océan des faits passés, il retient ainsi une parcelle plutôt qu'une autre, une parcelle qu'il qualifie de signifiante à l'égard d'un déroulement qu'il croit déceler dans le temps. Ainsi, il retient justement, mieux il choisit ce qui devra être le maintenu. Cependant, comme un peintre qui met en valeur par un subtile jeu de lumière et d'ombre, il fait disparaître tout autant qu'il maintient: le maintenu prend forme sur le fond du disparu. De cette manière, c'est aussi le disparu que l'historien sélectionne, ce qui devra être tu: il délimite le silencieux indirectement. Tours de force donc envers le fait qui devient événement, envers le pourtours qui est écrasé. L'historien modèle, interprète comme le musicien, l'oeuvre qui fût faite uniquement par des hommes. Il devient maître, un maître qui fait violence à la catégorie même de passé. En effet, peut-on dire de la commémoration qui justement arrache le fait de son contexte en le réactualisant cycliquement qu'elle respecte le passé? Ne tend-t-elle pas plutôt à l'annihiler encore une fois par cette puissance en le découpant de l'unique endroit où il fait sens? Le besoin présent de ne pas oublier (ne pas oublier les trains qui fuyaient vers les camps, ne pas oublier le sang et l'aliénation despotique...) se condamne par la même à l'échec: comment arracher la plante de sa terre et tout à la fois souhaiter qu'elle puisse continuer à vivre? L'histoire est toujours histoire contemporaine pourrions-nous dire, soucis du maintenant qui met en relief le passé: la connaissance du passé néantise (disparu), vivifie (maintenu), et génère ainsi une scénographie qui n'a de sens que hic et nunc. Il faut que le regard soit d'aujourd'hui, pour comprendre la lumière qui est jetée sur hier. Le noeud ainsi formé est inextricable: la connaissance du passé ne trouve pas la nécessité dans on objet mais dans les soucis présent du sujet, ce qui est la première injure à son objet. De ce fait, la connaissance passé ne peut guère nous aider à comprendre le présent puisque précisément, de ce présent, elle en vient: cela reviendrait à la tautologie suprême par laquelle on chercherait au fond les réponses que l'on souhaite entendre. La deuxième injure au passé viendrait de cette négation même du passé par sa saisie: en décontextualisant le fait, il n'est justement plus fait passé, mais fait rapporté, fait que l'on porte hors de son temps. Enfin, il apparaît une troisième injure qui, si elle entraîne les mêmes conséquences que la seconde, emploie un chemin différent. En effet, que suppose une connaissance passée qui servirait au présent? Elle suppose une répétition possible, au moins partielle du fait isolé, une répétition peut être même structurelle. Or, l'histoire naît précisément de l'émancipation des grands cycles de la nature, des manèges biologiques qui gravitent autour des mêmes impératifs, de la répétition du même, d'un identique non conscientisé. En cela, prétendre que l'histoire passée fait leçon, c'est tout à la fois nier l'histoire, c'est vouloir conserver le bois que l'on brûle.
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tout comme nous tentons de le préciser au sujet de l'histoire.
La science du XX e siècle a ainsi cessé de creuserl'écart entre sujet et objet, de tenir cette position parodique d'un face à face entre l'homme et le monde (sciencede la matière), entre l'homme et lui-même (sciences humaines).
Pas d'objet sans plan donc, sans une intelligibilitéqui sélectionne ce qui lui semble pertinent.
Le fait ne se propose plus dans sa pure transparence, sa pure neutralité.De l'expérience en science de la nature nous passons à l'expérimentation où la part active du sujet est pleinementassumée.
La science doit donc admettre sa part profondément constructive: elle n'est plus theorein (θεορειν ), contemplation, mais tout à la fois intervention du sujet sur l'objet, implication entre observateur et observé.
En ce sens, l'histoirene fait pas exception.
L'événement est en cela une surdétermination toujours rétrospective qui surimpose le sens àune partie d'un monde toujours vu d'ici.
Il devient symbole ( συμβολων), soit réunion de deux pièces, l'une présentel'autre immanente, où se cristallise le sens.
Jeanne D'Arc devient ainsi symbole tout autant pour ce qu'elle fût quepour ce que nous projetons sur cette figure: l'histoire marque l'intersection des forces entre passé et future.
Cetterencontre ne l'empêche pas d'être un élément actif dans notre connaissance et notre action présente.
Cependant, ilreste à définir sous quelle forme.
Cause et loi dans l'histoire: un problème épistémologique II.
Posons la question: comment surgit l'événement? Y a-t-il une étiologie en histoire? La question est essentiellepuisque la connaissance suppose précisément l'univocité causale, soit le fait que les même causes produisent lesmêmes effets.
C'est ainsi que la connaissance stabilise le réel, qu'elle le rend intelligible et en saisit une partie.
C'estsur cette base épistémologique que s'établit une science comme la physique: ce présupposé lui permet d'effectuerdes lois (généralité stable et abstraite de la singularité accidentelle du réel) et donc par delà-même des prévisions.En effet, la connaissance s'établit toujours sur la base de cette contre-factualité par laquelle elle affirme plus quece qui s'observe à l'instant présent.
L'hypothèse scientifique, quelle soit obtenue par des voies déductives (dugénéral au particulier) ou inductives (du particulier au général), ne s'enracine jamais dans l'expérience ou le grouped'expériences qu'elle encadre.
Elle dit plus, propose de s'émanciper du cadre où elle est née.
L'univocité causale, etmême la structure causale de l'univers est en ce sens une condition sine qua non , à la fois transcendantale (qui permet la connaissance) et transcendant (qui dépasse un simple état de fait).
A partir de cela, il s'agit de trouver un modèle épistémologique propre à l'histoire mais qui tout à la fois, ne fasse pasinjure à un statut possible de connaissance (επιστεμη ).
Le problème est épineux puisque l'histoire exclueanalytiquement la possibilité même d'une répétition, une répétition qui se retrouve par ailleurs dans la notiond'univocité causale.
Cela pousse en ce sens à s'éloigner d'une pensée de la cause, et à y substituer une notionmieux adaptée.
A cela s'ajoute le fait qu'on risquerait de passer à côté même de l'événement historique.
En effet,peut-on dire de manière juste qu'une canicule a causé la famine d'un peuple? Ou encore, de façon plus claire, peut- on dire que l'attentat du prince François-Ferdinand soit la cause de la première guerre mondiale? Ne serait-ce pas faire fi de l'ensemble économique, social, et politique sur lequel fait fond le surgissement de cet événement? Lefacteur est ainsi une catégorie proprement historique à mi-chemin entre nécessité et contingence.
Il provoque pourrions-nous dire, entraine de manière suffisante mais jamais nécessaire, ce qui se situe en aval.
Cependant, iln'est toujours que le maillon d'une chaîne, renvoyant par-là à l'interdépendance d'une guirlande de faits dont on nepeut isoler discrètement chaque partie.
Jamais ces facteurs ne permettent d'isoler véritablement une loi qui brilleraitde sa nécessité: encore une fois, on ne peut transposer la terminologie d'investigation des sciences de la matière.La loi cède la place à une tendance : une certaine conjugaison de faits génère un mouvement global sans pour autant qu'il y ait concertation.
« Le nez de Cléopâtre, s'il eut été plus court toute la face de la terre aurait changé »: cette phrase des Pensées de Pascal nous rappelle le rôle du détail dans l'histoire, faisant de la moindre variation le germe d'un possible cataclysme.
Aucune équation linéaire ne peut venir à bout de l'histoire qui demeure un chaos, non pas au sens d'un grandn'importe quoi, non pas au sens shakespearien « d'une fable pleine de bruit et de fureur et racontée par un fou », mais bien au sens d'un système sensible à la moindre variation.
Le modèle météorologique est en cela un bonexemple où un détail infime, une quantité négligeable peut générer à elle seule des conséquences absolumentdifférentes.
L'espace des phases (l'ensemble des trajectoires, des évolutions possibles d'un système) d'un systèmeatmosphérique est incroyablement complexe de par le rôle que peut y jouer le facteur même le plus infime.
Il s'agitdonc toujours d'un fonctionnement non ergodique, soit un système où son état en un temps t 2 ne reste pas dérivable de son état en un temps t 1.
Il demeure ainsi impossible de déterminer à l'avance l'apparition du cyclone qu'est l'événement historique: il né au sein d'une tendance ou chaque détail peut figurer, préfigurer, défigurer mêmel'ensemble.
Aucun invariant apparaît donc dans l'histoire, aucun ilot stable sur lequel bâtir une investigation sereine,tout au plus des courbes de tendance qui épousent la complexité, les points et contre-points, tout au plus un récitqui accepte et épouse la contrariété d'une réalité dynamique tout en y cherchant la cohérence.
La raison nedisparaît pas de l'histoire, elle doit simplement se forger de nouveaux outils épistémologiques, une nouvelleméthodologie d'approche.
On tirera donc leçon de ce que peut provoquer une certaine combinaison de facteurs, cedont quoi sont porteuses certaines tendances, tout en prenant garde de ne jamais penser au copier-coller qui est.
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