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« La chose inhumaine n'a rien à dire : d'où ce grand scandale que les sciences n'instruisent pas du tout », déclare le philosophe Alain. Expliquez ?

Publié le 20/06/2009

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alain

Introduction. — Les spécialistes des sciences de la nature sont portés à faire peu de cas des recherches sur l'homme et soir les sociétés humaines, recherches auxquelles ils refusent parfois le qualificatif de scientifiques à cause du manque de rigueur de leurs méthodes comme de leurs résultats. Mais parfois les représentants de ces sciences appelées morales prennent leur revanche et, non contents de se défendre, passent vigoureusement à l'offensive; témoin cette réflexion d'Alain : « La chose inhumaine n'a rien à dire : d'où ce grand scandale que les sciences n'instruisent pas du tout. «. On serait tenté de ne voir là qu'un de ces paradoxes que ce philosophe sème si libéralement dans ses « propos «. Mais un paradoxe n'est qu'un artifice pour heurter le sens commun et l'amener à réfléchir sur l'insuffisance d'une thèse généralement tenue pour indiscutable. Aussi ne sera-t-il pas inutile d'expliquer l'assertion de l'auteur des « propos « et de déterminer avec la part manifeste d'exagération, la part de vérité qu'il contient.

I. « La chose inhumaine n'a rien a dire «.

A. Explication. — a) Remarquons-le d'abord, ce terme de « la chose inhumaine « surprend le lecteur. « Inhumain «, en effet, ne se dit guère que des hommes : est considérée comme inhumaine la conduite d'un individu qui se comporte comme une brute; par suite, restant associé au substantif dont il exprime la négation, cet adjectif est implicitement contradictoire. De plus, ce sont surtout les procédés de l'homme à l'égard de ses semblables qu'on stigmatise de l'épithète d'« inhumains « : par suite, être inhumain ne consiste pas seulement à manquer de quelque caractère propre à l'humanité à laquelle on appartient; l'expression évoque principalement un cœur fermé aux peines des autres et même une méchanceté foncière à leur égard.

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« d'escalier, un siège, de vieilles boiseries, une lumière plus ou moins ménagée, sont des parties de notre caractère,comme le corset, la robe, le chapeau ou la cravate.

» (Alain, Esquisses de l'homme, p.

32, Gallimard, 1938).Dans la rigueur des termes, les choses n'ont rien à dire; il n'en reste pas moins qu'à celui qui sait les interrogercertaines d'entre elles disent beaucoup. C.

Retour à l'explication et conclusion.

— Mais quelles sont ces choses si expressives de l'homme ? Ce sont cellesqui sont intimement mêlées à la vie de l'homme, sur lesquelles l'homme a mis sa marque et qui ont mis sa marque surlui.

On peut les appeler « les choses humaines ».Ainsi, la discussion de la pensée d'Alain nous amène à corriger l'interprétation que nous avions cru pouvoir donner duterme « la chose inhumaine ».

Par « la chose inhumaine », il faut entendre, non pas comme nous l'avions dit, lachose tout court, mais la chose qui ne porte pas une empreinte de l'homme ou qui est considérée en faisantabstraction de cette empreinte.A l'inverse des « choses humaines» dans lesquelles l'homme a l'impression de percevoir un écho de l'homme, et unécho d'autant plus clair qu'elles sont plus humaines, les choses en lesquelles rien d'humain ne s'est inscrit, les «choses inhumaines », sont devant lui comme des individus stupides avec lesquels il est impossible d'entrer enrapport, non seulement parce qu'ils ne disent rien, mais encore parce qu'ils n'ont rien à dire,En définitive, sous une force paradoxale, Alain a consigné une expérience psychologique que nous pouvons tousfaire. II.

— « Les sciences n'instruisent pas du tout ». Dans cette seconde partie du texte d'Alain, ce n'est pas l'expression qui surprend et choque — elle paraît fort claire— mais la pensée elle-même.

Aussi nous ne nous attarderons pas à l'expliquer pour passer rapidement à ladiscussion. A.

Explication. — Au sens usuel du terme, « instruire » c'est communiquer des connaissances.

Or « sciences » est synonyme de « connaissance » et par « les sciences » on entend les différents systèmes de connaissances qui separtagent le réel.

Il y a donc contradiction à parler d'une science qui n'instruit pas, et, pour un philosophe, cettenotion constitue un véritable scandale intellectuel, sinon moral. B.

Discussion. — Mais ce scandale est-il réel et peut-on admettre que « ces sciences n 'instruisent pas du tout » ? a) Si nous prenons les termes dans leur sens usuel, on ne saurait évidemment admettre cette proposition : il esttrop indiscutable que les sciences augmentent nos connaissances et qu'il faut les étudier pour s'instruire.

Cetteaffirmation est si indiscutable que nous devons soupçonner qu'Alain donne aux mots une signification quelque peuinsolite.

Laquelle ? b) Nous pourrions distinguer la science qui se fait, celle que pratiquent les chercheurs, de la science faite, cellequ'apprend l'élève.

La première est plus instructive que la seconde.

Néanmoins, même de celle-ci, on ne peut pasdire qu'elle n'instruit « pas du tout ».Aussi c'est sur « instruire » que nous devons nous rabattre pour chercher à ce verbe une signification différente decelle qui vient la première h l'esprit.

« Instruire » ne se réduit pas à « enseigner », « s'instruire » a « apprendre » :au sens usuel, l'« instructeur » n'est pas un professeur; les « instructions » qu'un ministre ou un chef d'entrepriseadressent à leurs représentants n'ont guère pour but d'augmenter leurs connaissances.

Instructeurs et instructionstendent à faire adopter certaines attitudes ou certaines manières d'agir.

« Instruire », dans ce cas, est synonymede « former », d' « éduquer ».

« Les sciences n'instruisent pas du tout » signifierait alors: les sciences n'ont aucune.

valeur pour la formation de l'homme.

Pouvons-nous admettre l'assertion d'Alain ainsi comprise ?Si l'étude de la physique n'avait pour résultat que d'apprendre les lois de la matière, on pourrait accorder qu'elle neserait « pas du tout » formatrice et que, dans ce sens, elle n'instruirait pas.

Mais il n'y aurait pas là le « scandale »que prétend dénoncer Alain : s'il est « scandaleux » de voir une activité humaine manquer complètement son butpropre, il n'y a aucun scandale à constater qu'elle ne le dépasse pas.

Cette remarque nous autoriserait déjà àrejeter le propos du philosophe feuilletoniste.Si les « choses » qui constituent l'objet de certaines sciences sont « inhumaines », la science elle-même esthumaine, car elle comporte un travail vraiment humain.

De plus, la recherche scientifique exige certainesdispositions, non seulement intellectuelles, mais encore morales, qui la rendent vraiment éducative.

Le chercheur estamené à faire la psychologie du savant pour voir comment on tombe dans l'erreur et comment se font lesdécouvertes.

Il est aussi amené à s'observer lui-même pour se maintenir dans l'attitude exigée par l'espritscientifique.

Ainsi, même en faisant d' « instruction » le synonyme d'« éducation », on ne peut pas dire que « lessciences n'instruisent pas du tout ». Conclusion. — Que reste-t-il de vrai dans la boutade d'Alain ? Que les sciences proprement dites, celles qui ont pour objet les « choses inhumaines », ne suffisent pas à « instruire » l'homme au sens du verbe latin instruire, c'est-à-dire à l'équiper pour la vie.

Un grand physicien le reconnaît loyalement :« Dans le domaine intellectuel, le triomphe des méthodes de raisonnement scientifique risque de refouler d'autresformes de pensées et de sentiments qui avaient aussi leur valeur, et ceci peut être d'autant plus grave que c'est enfin de compte toujours dans le domaine des sentiments que l'homme trouve ses motifs d'action et ses raisons devivre.

» (L.

de Broglie, Science et Civilisation, art.

de Civilisation, Collection Chemins du Monde, 1947, I, p.

18.)La leçon vaut d'être retenue, mais elle aurait, été plus efficace, nous semble-t-il, si elle n'avait pas été présentéesous une forme aussi paradoxale.. »

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