Dans ce sens la beauté de l'art
ne consisterait pas tant à enrichir le réel qu'à l'appauvrir, pour nous le rende
visible dans ce qu'il a de plus remarquable. Par la beauté de l'art on verrait
peu des choses, mais ce qu'il y a de plus remarquable en elles.
II. La beauté de l'art enrichit le réel de la
puissance créatrice de l'imagination
On peut se demander dans quelle mesure la conception hégélienne de
la beauté de l'art, ne manque pas la dimension sensible de la beauté de l'art,
en l'écrasant sous le concept (car la forme essentielle dont parle Hegel n'est
pensable que par le concept). Pour comprendre en quoi la beauté de l'art ne peut
être pensée seulement par un processus d'abstraction, on peut se référer à ce
que Kant appelle les idées esthétiques dans la Critique de la faculté de
juger, livre II § 49. Les idées esthétiques sont des attributs esthétiques
d'un objet (pour Jupiter, l'aigle avec la foudre dans ses serres) qui
contrairement aux attributs logiques ne représentent pas ce qui est contenu dans
les concepts de sublimité et de majesté (mais permettent à l'esprit de tourner
son regard sur un champ infinis de représentations apparentées). Cela signifie
que voir une statue de Jupiter, ce n'est pas penser au concept de roi des Dieux,
mais c'est imaginer tout un ensemble d'images qui sont liées à Jupiter (la
rapidité de l'aigle, la vitesse et la puissance de la foudre, etc.). Les idées
esthétiques sont donc des images qui débordent le concept par excès, et par là
donnent beaucoup à penser sans qu'aucune pensée déterminée (un concept), ne
puisse leur être adéquate. Or puisque l'idée esthétique de l'imagination élargit
le concept de manière illimitée, on voit que la beauté de l'art enrichit le réel
de toute la richesse de l'imagination.
La beauté désigne ce qui provoque le sentiment esthétique, et l’on peut considérer que l’objet sera jugé beau lorsqu’il correspond à un type idéal qu’il exprime pleinement. En ce sens un beau cheval est un cheval qui exprime pleinement l’essence du cheval, c'est-à-dire qui possède au plus haut degré ses qualités intrinsèque (la rapidité, l’endurance, la noblesse de la course, etc.). Mais la beauté de l’art ne se distingue-t-elle pas de la beauté naturelle ? Il semble en effet que si le beau cheval exprime le type idéal du cheval, la beauté du cheval peint donne ce type à voir en tant que tel, en réalisant un travail d’épuration, qui gomme tous les détails inessentiels. En ce sens on devrait plutôt considérer que la beauté de l’art appauvrit la perception du réel, mais que cet appauvrissement est justement la condition pour que ce révèle les types idéaux qui structurent le réel. Pourtant une telle conception revient à écraser le jugement esthétique sur un jugement d’entendement, puisqu’il s’agit toujours d’évaluer la qualité d’une œuvre en la comparant au type idéal compris comme concept. Or le propre de l’art est sans doute de nous donner à percevoir du réel plus que le concept ne peut en extraire. La beauté de l’art enrichirait donc le réel en le restituant dans son foisonnement par-delà l’aridité du concept. De plus l’œuvre d’art nous donne également à voir non pas seulement un objet isolé, mais comment un monde vient à l’existence pour nous. En ce sens elle enrichit le réel, car elle nous donne à voir comment ce réel se fait monde pour nous.