L' avenir du monde occidental
Publié le 10/05/2021
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KENNEDY ET L'ALGÉRIE Article extrait de la revue Recherches contemporaines, n° 3, 1995-1996 Maxime de PERSON D ans la rapide notice biographique que consacre le Petit Robert à John Fitzgerald Kennedy, on peut apprendre que, pendant ses années de jeunesse, i l "milita" pour l'indépendance de l'Algérie. L'information peut surprendre. Alors même que l'historiographie ne cesse de montrer, depuis bientôt vingt ans, le cynisme et l'absence de scrupules de l'homme, il aurait accompli cet acte désintéressé ? L'explication est naturellement tout autre : les historiens ont surtout porté leur attention sur la personnalité du 35e président des États-Unis ou sur les grandes crises qui ont agité le début des années soixante. A propos de l'Algérie, l'image façonnée par ses premiers biographes nous est restée pratiquement intacte. Se pencher sur l'histoire de Kennedy et l'Algérie est pourtant riche d'enseignements1. Elle éclaire le problème fondamental de l'internationalisation du conflit2, les premières dissensions entre la France et les États-Unis, ainsi que le passage "à l'Est" des pays non alignés. Enfin, elle nous informe sur la personnalité de celui qui est encore de nos jours le plus populaire – et de loin – des présidents. Trois grands problèmes dominent l'histoire de Kennedy et l'Algérie. Kennedy a-t-il soutenu l'indépendance de l'Algérie par conviction ou par intérêt politique ? Quel a été le poids de la question algérienne dans les 1. Voir, en fin d'article, la mise au point sur les sources et la bibliographie du sujet. 2. Longtemps négligé par l'historiographie, le problème de l'internationalisation du conflit est absolument fondamental et prend le pas sur les autres phénomènes qui peuvent eux aussi expliquer le désengagement français, notamment la montée des oppositions en France. Un rapide regard sur la chronologie le confirme. Alors que c'est le 16 septembre 1959 que de Gaulle annonce sa volonté de décoloniser - discours sur l'autodétermination–, ce n'est que postérieurement que débutent les grandes manifestations dans l'opinion (janvier 1960 : semaine des barricades ; septembre 1960 : manifeste des 121 ; septembre 1961 : attentat de Pont-sur-Seine, etc.). 208 Maxime de Person dissensions entre la France et les États-Unis au cours de sa présidence ? Les États-Unis, enfin, ont-ils mené, après le départ des Français, une politique impérialiste en Algérie ? Le politicien (1957 - 1960) Kennedy a eu une jeunesse dorée. Très tôt, la fortune du père lui permet de voyager à l'étranger et de prendre conscience des différences internationales. Ainsi, quand il entre à la Chambre des Représentants en 1946, il a déjà, pour reprendre la formule d'un de ses biographes, plus souvent traversé l'Atlantique que le Mississippi. Pourtant, sa conception des relations internationales n'est pas encore clairement définie. Il soutient certes la doctrine Truman, le plan Marshall et l'OTAN mais n'hésite pas, par exemple, à critiquer certains aspects de son fonctionnement, notamment la part très importante prise par les États-Unis dans son financement. C'est en 1951, au cours d'un voyage en ExtrêmeOrient où il rencontre Nehru et Ben Gourion, qu'il prend conscience de la montée des nationalismes. Si ses origines – l'opposition au colonialisme est un des "mythes fondateurs" de la nation américaine, sentiment particulièrement fort chez les "Irlandais" – et ses lectures – notamment Le déclin de l'Occident de Spengler – le prédisposaient à soutenir des positions anticolonialistes, ce voyage semble avoir joué un rôle déterminant. Dès lors en effet, les discours de Kennedy prennent un ton fermement anticolonialiste. Il condamne d'ailleurs régulièrement la présence française en Indochine et met en garde son pays, en avril 1954, contre les dangers d'une intervention. Dans le même esprit, i l prononce en 1956 un discours où il évoque pour son pays "le handicap que lui imposent les alliances avec la Grande-Bretagne, la France et d'autres nations qui tiennent encore sous leur joug de larges portions du globe". Pourtant Kennedy reste étonnamment muet sur la question algérienne. Selon Ronald J. Nurse, un historien américain, Kennedy était plutôt favorable à la présence française et tendait à mettre en avant le bénéfice de la colonisation. D'ailleurs, alors qu'il proclamait, lors de ses discours, la fin de l'ère coloniale, il ne se privait pas d'évoquer aussi "l'avenir des importantes minorités européennes établies en Afrique du Nord et légitimement inquiètes ainsi que l e manque de préparation aux affaires de populations impatientes de se gouverner elles-mêmes"1. Pourtant, le 2 juillet 1957, le sénateur Kennedy monte à la tribune de l a chambre haute pour y prononcer ce qui reste sans doute le discours le plus important de sa jeune carrière. Son thème – la guerre d'Algérie – et son contenu 1. Washington (Maurice Couve de Murville) à Paris (Christian Pineau), Archives du ministère des Affaires étrangères (MAE), Série Etats-Unis, 25 mai 1956. Kennedy et l'Algérie 209 en étaient déjà connus des diplomates français depuis un peu plus de trois jours : la guerre d'Algérie a cessé de représenter un problème purement français, et les Américains sont directement concernés par le conflit. Et ils le sont d'autant plus que la guerre d'Algérie "met les États-Unis dans l'impasse diplomatique la plus grave qu'ils aient connus depuis la crise d'Indochine" et qu'elle "dépouille jusqu'à l'os les forces continentales de l'OTAN". Et pourtant, d'après Kennedy, aucune question de politique étrangère n'a été autant négligée. Aussi exhorte-til son pays à s'engager en faveur de l'indépendance. Pour ce faire, il adresse à l'administration un projet de résolution pour qu'elle intervienne dans le conflit. Le projet se noiera dans les procédures du Sénat américain. Pourquoi ce discours ? Depuis peu, le contexte à changé aux États-Unis, et la guerre d'Algérie vient de sortir du relatif anonymat qui était le sien depuis son déclenchement. Début 1957, plusieurs éléments ont transformé l a guerre d'Algérie en question d'actualité. Le ton a été donné par le viceprésident. Du 28 février au 21 mars, Richard Nixon s'est en effet rendu en Afrique, à l'occasion de l'indépendance du Ghana. Et si, à son retour, il remet au président Eisenhower un rapport sans surprise sur le continent noir, le bruit commence à se répandre, dans les milieux bien informés, qu'il s'accompagne d'un volet très critique sur la politique française en Algérie – et favorable à l'indépendance. Dans le même temps, le FLN mène aux États-Unis une campagne de propagande intensive, orchestrée par deux hommes, Mohammed Yazid et Abdelkader Chanderli, maîtrisant parfaitement les techniques de communication occidentales, et par laquelle l'organisation combattante cherche à attirer la sympathie du public américain. La stratégie des Algériens est simple, mais efficace. Tout d'abord – et c'est essentiel dans un contexte de guerre froide –, ils cherchent à récuser toute collusion avec le communisme. Ensuite, ils tentent de montrer un parallélisme entre la révolution algérienne et l a révolution américaine. Le troisième élément est sans doute, en termes d'impact médiatique, le plus important. Le 31 mai, les populations de Wagram et de Mélouza, deux villages MNA, sont massacrées par le FLN. Les réactions dans l a presse américaine sont immédiates et les plus grands organes, New York Times et le New York Herald Tribune, y consacrent leur éditorial. Si les méthodes du FLN sont condamnées sans ménagement, l'ensemble de la presse émet de sérieux doutes sur la politique menée par les Français. Enfin, et le dernier événement est contemporain du discours, il faut ajouter à cette liste le cinquième congrès de l a CISL, la Confédération Internationale des Syndicats Libres. Au milieu des années 1950 les syndicats américains atteignent le sommet de leur popularité. Et au sujet du colonialisme, les syndicats, et notamment le plus puissant d'entre eux, l'AFL-CIO, soutiennent une position sans équivoque. Pour eux, en effet, l a domination coloniale fait le lit du communisme. Aussi leur apparaît-il urgent d'y mettre en terme. Ce congrès de la CISL se tient à Tunis au début de juillet 210 Maxime de Person 1957 – le lieu est évidemment d'une extrême importance – et, à lire la presse de l'époque, la guerre d'Algérie est le thème central de la conférence. L'...
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