KIERKEGAARD ET DON JUAN
Publié le 27/02/2008
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L’idée et l’universel (l’idée de l’homme, ou de la femme, etc.) sont souvent associés à l’abstraction, tandis qu’on place le désir du côté de la singularité et du monde concret. Il s’agit ici, dans ce texte de Kierkegaard, de mettre en question ces présupposés, en interrogeant le rapport entre l’idée et les sens, entre la passion et l’universel, à partir d’une ré-interprétation de la figure de Don Juan.
Dans une première partie (de l’incipit à « tout ce qui est féminin est sa proie «), Kierkegaard problématise le rapport du désir à l’universel : comment est-ce que le désir singulier de Don Juan peut-il être mis en rapport avec l’universel de la féminité ? Dans une seconde partie (de « Ecoutez Don Juan « à l’excipit), employant un langage davantage poétique que conceptuel, Kierkegaard affirme que nous ne saurions avoir d’idée de Don Juan sans écouter l’opéra que Mozart lui a consacré.
Comment donc s’articulent ces deux parties, l’une consacrée à expliquer la nature du désir de Don Juan, et l’autre à nous inviter à nous faire une idée de lui en écoutant Mozart ?

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désir séducteur, Kierkegaard semble changer de sujet, rupture évidente par le ton du style adopté, qui nous faitpasser d'un registre conceptuel au registre poétique (usage abondant des métaphores, répétition de l'injonction à« écouter » l'opéra de Mozart) destiné à nous faire entendre, par la médiation du texte, la force séductrice de lamusique par laquelle seule nous pouvons accéder à « une idée » de Don Juan.
L'auteur met donc en question lapuissance de l'entendement qui, traditionnellement, devrait nous permettre de nous faire des idées, c'est-à-dired'abstraire des choses réelles et particulières quelque chose d'universel.
Du même coup, c'est le statut du textephilosophique lui-même qu'il interroge, puisque si celui-ci peut développer des concepts nous permettant de rendrecompte du réel, il ne parvient pas, contrairement à la musique à nous porter à la puissance de l'idée.
Le philosophese fait donc ici poète pour nous enjoindre à écouter Mozart afin d'accéder à l'idée.
Ceci n'implique pas un rejet de la philosophie, puisque Kierkegaard fait usage des deux registres, conceptuels etmétaphoriques, poétique et philosophique, mais plutôt d'une ré-élaboration du rapport de celle-ci à la poésie et à lamusique, et donc du rapport entre les concepts, les sens et les idées.
L'explication conceptuelle du mécanisme nonpsychologique de la séduction don juanesque nous permet de comprendre et de revaloriser ce personnage immoral ;mais ce n'est qu'en écoutant l'opéra qu'on parviendra à se faire une véritable idée de ce personnage.
Le primat de la musique s'explique en effet par le rapport privilégié qu'elle entretien avec l'instant, image de l'éternitépar rapport à la succession des moments présents.
Don Juan « se dépasse » dans « sa précipitation », le« tourbillon de la séduction » et « l'allégresse du plaisir » dépeinte par les violons remet en cause l'image d'un DonJuan calculateur et réfléchi pour en faire un homme entraîné par et dans sa propre passion à se dépasser lui-même.
Ce passage poétique nous invite à relire la première partie du texte : si Kierkegaard a pu élaborer une nouvelleconception d'un personnage archétypique, Don Juan, c'est en écoutant Mozart qui lui a permis de briser avec laconception littéraire de Molière.
C'est par l'écoute que l'auteur est parvenu à se faire « une idée » de Don Juan, quilui permet de bouleverser le champ philosophique des concepts en associant ainsi la puissance sensuelle du désir àl'idée, et en déjouant le cliché d'un rapport accidentel et conjoncturel de Don Juan aux femmes pour faire aucontraire de ce personnage l'image d'un rapport essentiel entretenu avec chaque femme en particulier, enrehaussant celle-ci à l' « être femme » universel.
Conclusion Kierkegaard subvertit donc dans ce texte la conception chrétienne du désir qui en ferait une puissance particulièreet singulière nous attachant à la chair, et s'oppose à la conception idéaliste des philosophies qui placent lapuissance d'abstraction dans l'entendement.
Pour lui, la véritable puissance d'abstraction réside dans le désir, quiloin de nous attacher à la partie animale de notre être, par opposition à l'âme qui serait la seule puissancespirituelle, possède une véritable force « idéalisante ».
Ce n'est que par le désir que Don Juan entretient un« rapport essentiel » et non accidentel et méprisant à chaque femme.
Or, seul l'opéra de Mozart peut nous faireaccéder à cette idée de Don Juan, qui permet au philosophe de transformer les concepts du champ philosophiqueclassique.
La musique légère et joyeuse de Mozart induit en effet un rapport spécifique à l'instant, image del'éternité, par laquelle seule on sort d'une conception de Don Juan comme personnage calculateur.
Ce n'est doncqu'en laissant place à l'idée que le philosophe parvient à une conception adéquate de Don Juan et du désir d'unséducteur ; mais ce n'est que par le plaisir de l'écoute qu'il peut accéder à l'idée de ce personnage : c'est donc àune véritable réhabilitation de la passion et du désir, de la poésie et de la musique, à l'intérieur même du champphilosophique que Kierkegaard nous invite en nous enjoignant d'écouter Mozart.
KIERKEGAARD (Soeren-Aabye).
Né et mort à Copenhague (1813-1855).Sa vie fut très calme.
De faible santé, il fit des études de théologie à l'Université de sa ville natale, et passa sathèse de doctorat en 1841.
Mais il renonça à devenir pasteur.
Après quelque temps d'une vie de dissipation, survintun événement familial, sans doute le 19 mai 1838, que Kierkegaard appela « un tremblement de terre », sur lequelaucun éclaircissement n'a été donné, et qui « obligea à une nouvelle et infaillible interprétation de tous lesphénomènes ».
Kierkegaard revient à la foi, se fiance à Régine Olsen, puis rompt ses fiançailles un an après.
« Celuiqui combat pour l'existence suprême doit se priver des joies suprêmes de l'existence.
» D'octobre 1841 à mai 1842, ilfait un séjour à Berlin, où il retournera, pour peu de temps chaque fois, en 1843, 1845 et 1846.
En 1848, il entra enlutte contre l'Église danoise, et particulièrement contre l'évêque Mynster.
Il mourut à l'hôpital.
Kierkegaard, dontSocrate et le Christ furent les deux maîtres à penser, pose, d'une part, que la vérité est dans la révélation duChrist, et, d'autre part, que « la subjectivité est la vérité».
Il se dresse contre Hegel, fait le procès del'intellectualisme, nie que l'homme soit la mesure de toutes choses et entre en lutte irréductible contre l'Église.
La.
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