KARL POPPER, La société ouverte et ses ennemis (explication de texte)
Publié le 01/09/2012
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« Il en va en politique comme dans les sciences : le rationalisme ne consiste pas à établir une vérité unique et définitive – une idée unique du bonheur : il consiste à admettre la possibilité de critiques. Vouloir le bonheur du peuple est, peut-être, le plus redoutable des idéaux politiques, car il aboutit fatalement à vouloir imposer aux autres une échelle de valeurs supérieures jugées nécessaires à ce bonheur. On verse ainsi dans l’utopie et le romantisme ; et, à vouloir créer le paradis terrestre, on se condamne inévitablement à l’enfer. De là l’intolérance, les guerres de religion, l’inquisition, avec à la base, une conception foncièrement erronée de nos devoirs. Que nous ayons le devoir d’aider ceux qui en ont besoin, nul ne le conteste ; mais vouloir le bonheur des autres, c’est trop souvent forcer leur intimité et attenter à leur indépendance. Tels sont les arguments qui m’amènent à soutenir la thèse opposée, celle du rationalisme critique, étroitement apparentée, je l’ai déjà dit, à la méthode scientifique par son recours au raisonnement et à l’expérience. Elle part de l’idée que nous pouvons commettre des erreurs et les corriger nous-mêmes ou permettre aux autres de les corriger en acceptant leurs critiques. « KARL POPPER, La société ouverte et ses ennemis (1962).
La phrase « vouloir le bonheur du peuple est peut-être le plus redoutable des idéaux politiques « (ligne 4) met en évidence le paradoxe total du dogmatisme politique que nous nommions « bienveillant «. En effet, les meilleures intentions du monde peuvent alors conduire aux pires catastrophes, et les désirs de bonheur au malheur absolu. Pourquoi ? Comment analyser ce fait ? Popper va montrer d’abord la contradiction interne qui mine le dogmatisme : cela revient à anéantir toute liberté (condition du bonheur) au nom d’une idée unique que l’on veut imposer. Qui a le droit de dire qu’il possède la seule bonne conception du bonheur ? Et surtout, peut-on imposer des formes globales d’existence, alors même que le bonheur est par nature la satisfaction des désirs singuliers les plus fondamentaux d’un individu ? Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas de bonheur collectif, mais que celui-ci résulte plutôt de la conjonction des désirs individuels, de leur imbrication, de leur renforcement mutuel, plutôt que de leur imposition violente par le haut. Le pouvoir politique a la charge de veiller aux conditions pour que chacun soit responsable de son bonheur (au premier rang desquelles la liberté), mais certainement pas d’assister et de formater les individus pour faire leur bonheur malgré eux.
«
Le bonheur se définit comme la satisfaction complète des désirs les plus fondamentaux d'un individu singulier.
Il est donc propre à chacun, et chacun en est à la foislibre et responsable.
En ce sens, il semble impossible d'être entièrement responsable du bonheur des autres (sauf s'ils ne sont pas autonomes comme les enfants).Chacun doit œuvrer à son propre bonheur, relatif à ses désirs, et nul autre ne peut se substituer à lui.
C'est pourquoi vouloir diriger quelqu'un pour qu'il soit heureuxest absurde et ne fait que l'asservir.
Sur le plan politique, le dogmatisme dérive toujours en intolérance dangereuse, comme le démontre Popper dans son texte.Cependant, il n'est pas possible d'un autre côté d'envisager un réel bonheur accompli seulement centré sur soi et ses désirs égoïstes.
Le bonheur doit nécessairementintégrer la question du rapport à l'autre, le proche, mais aussi à tous les autres en général (c'est-à-dire la politique).
Le bonheur n'est jamais une forteresseindépendante d'autrui et des circonstances.
Les sages de l'Antiquité, épicuriens ou stoïciens, qui définissait pourtant le bonheur comme « tranquillité de l'âme etabsence de souffrance » (ataraxie), insistaient sur l'importance de l'amitié.
On pourrait aller plus loin et affirmer que nul bonheur personnel n'est possible dans unecité injuste ou totalement misérable.
Aussi est-il du devoir et de l'intérêt de chacun de travailler au bonheur politique de la société à son échelle, en même temps qu'àson bonheur propre.
Il est donc nécessaire d'œuvrer à la réalisation du bonheur de ses proches, comme à celui de la société, qui font intégralement partie de notrebonheur.Les deux d'ailleurs ne vont-ils pas dans le même sens : les autres hommes ne sont-ils pas ce qui est le plus utile à mon bonheur ? L'homme n'est-il pas, comme l'écritSpinoza, « un dieu pour l'homme » ? C'est ainsi que ce que je désire raisonnablement pour moi, je dois le désirer pour tout autre « Le bien auquel aspire pour soichaque homme qui suit la vertu, il le désirera aussi pour tous les autres hommes… » (Spinoza, Ethique, IV, 37).On pourrait même considérer que la politique est l'art de comprendre qu'il faut dépasser ses premiers désirs, ses premiers intérêts immédiats et son petit bonheurégoïste, pour accéder à un bonheur finalement plus stable et enrichissant, dans le rapport aux autres.
Bien sûr, cela suppose le sacrifice partiel de sa « liberténaturelle » et de ses intérêts propres, contraires à l'intérêt commun.
Mais c'est pour rendre possible une vie sociale et politique faite de coopération et de fraternité.Une sorte de sacrifice de la partie qui finalement est la source de tous les malheurs, un sacrifice joyeux qui permet de se rendre compte que l'on gagne plus à intégrerles autres à son bonheur propre, qu'à les en exclure..
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