Karl Heinrich MARX et l'art
Publié le 16/04/2009
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Ce fragment sur le problème de l'art appartient à un texte de 1857 Introduction générale à la Critique de l'économie politique que Marx ne fit pas publier. Marx écrira deux ans après dans l'Avant-propos de la Critique de l'économie politique. « J'avais ébauché une introduction générale, mais je la supprime. Réflexion faite, il serait gênant d'anticiper sur des résultats non encore établis. « Le texte a été publié pour la première fois par Kautsky en 1903. Le problème de l'art est, nous allons dire pourquoi, un des plus épineux qui puissent se poser à un marxiste. Les marxistes contemporains qui s'y sont attaqués (Georg Lukacs, professeur d'esthétique à Budapest, Henri Lefebvre en France, Contribution à l'esthétique, Ed. Sociales) ne l'ont pas eux-mêmes pleinement résolu. Pour aborder ce texte sur l'art il faut d'abord rappeler le principe général de la philosophie marxiste, c'est-à-dire du matérialisme historique. Les forces productives (l'état des techniques et des moyens de production économiques, à tel moment de l'histoire) et les rapports de production (c'est-à-dire les relations et les conflits des classes sociales qui en dérivent) constituent l'infrastructure de la société. L'état et l'évolution de cette infra-structure déterminent en dernier ressort l'état et l'évolution des superstructures culturelles : les institutions politiques, juridiques, les idées philosophiques et religieuses, les créations artistiques par lesquelles la société prend une conscience plus ou moins déformée d'elle-même, ne constituent pas des domaines autonomes mais traduisent de façon plus ou moins complexe l'évolution de l'infrastructure économique et sociale. Marx signale quelques lignes avant le fragment que nous proposons que l'un des points délicats à examiner est celui du « rapport inégal entre le développement de la production et celui de l'art «. Les choses ne sont pas simples et « il ne faut pas concevoir l'idée de progrès dans son abstraction vulgaire «.

«
générale des chefs-d'oeuvre artistiques peuvent être produits par une société qui se trouve à un degré inférieur dedéveloppement économique.
Henri Lefebvre écrit à ce propos : « Lukacs semble avoir interprété ce texte de Marx enun sens contestable.
Une société économiquement supérieure pourrait avoir un art et une culture inférieure.
Marx aseulement voulu dire qu'une société économiquement inférieure peut avoir une supériorité dans certaines formesd'art (l'épopée d'Homère par exemple) qui peuvent connaître à un stade inférieur une floraison qu'elles neconnaîtront plus ».
« ...
La seule difficulté est de formuler une conception générale de ces contradictions...
»N'oublions pas que le matérialisme marxiste est un matérialisme dialectique pour lequel, précisément, lescontradictions sont le moteur de l'histoire.
L'autonomie apparente des superstructures, les distorsions et lescontradictions qui peuvent apparaître dans leur évolution, constituent une objection décisive à un matérialismemécaniste pour lequel la superstructure serait de façon simpliste toujours parallèle à l'infrastructure qui la produit.Mais le marxisme a toujours affirmé l'interdépendance complexe, riche de contradictions, entre infrastructure etsuper-structure.
Le problème des superstructures artistiques, même s'il n'a pas reçu de solution marxistesatisfaisante, peut en tout cas, en tant que problème, être assimilé par la philosophie dialectique du marxisme.
Iln'en présente pas moins des difficultés propres.
Le marxisme explique assez bien, en effet, le retard fréquent dessuperstructures qui se maintiennent souvent, malgré l'évolution de l'économie, dans leur état antérieur : soit parceque leur forme très structurée leur assure une longue survie (c'est le cas du droit romain dont l'essentiel persistelongtemps dans les institutions juridiques de civilisations plus développées), soit parce que la classe dominanteparvient à maintenir des pouvoirs et des privilèges (à travers les formes culturelles qui les traduisent et lesdissimulent) qu'un état ancien des forces productives, aujourd'hui dépassé, avait jadis suscités.
Mais quand il s'agitde l'art le problème est inverse.
C'est le paradoxe d'une superstructure qui, avec des oeuvres géniales, parait enavance sur l'infrastructure matérielle!
«...
La mythologie grecque fut non seulement l'arsenal de l'art grec mais aussi sa terre nourricière...
» Hegel dansson Esthétique avait déjà insisté sur les rapports de la sculpture grecque avec la religion : « Une religion quis'adresse aux sens comme la religion grecque doit produire sans cesse de nouvelles images.
» Hegel ajoutait : « Pourle peuple, la vue de pareilles oeuvres n'était pas un simple spectacle, elle faisait partie de la religion elle-même et dela vie...
L'art grec n'était pas un simple ornement mais un besoin vivant, impérieux.
» Hegel signale même que l'artromain sera inférieur parce que ce « souffle intérieur » a disparu.
Marx qui pense surtout à Homère dit que « l'artgrec suppose la mythologie grecque, c'est-à-dire la nature et les formes sociales, déjà élaborées au travers del'imagination populaire d'une façon inconsciemment artistique ».
La mythologie d'Homère n'est pas une allégorieartificielle, péniblement élaborée par quelque érudit; c'est une création collective des masses populaires.
Marxinsiste donc sur l'aspect social et vivant de l'art grec.
Les mythes expriment à leur manière la vie réelle descampagnards, des soldats ou des marins, même s'ils sont ensuite élaborés par des artistes géniaux qui ont mis enoeuvre ces matériaux concrets.
«...
Toute mythologie dompte, domine, façonne les forces de la nature, dans l'imagination et par l'imagination, elledisparaît donc au moment où ces forces sont dominées réellement ...» La disparition de la mythologie et des formesesthétiques qui lui sont liées n'a rien de mystérieux.
La mythologie est une conception magique du monde qui reculeet finit par disparaître avec le progrès des sciences, des techniques efficaces.
Dans le monde industriel moderne,façonné par le rationalisme technique, la mythologie ne saurait évidemment ressusciter.
Elle est incompatible « avecles métiers à filer automatiques, les locomotives et le télégraphe électrique ».
De même les héros de l'épopée «nesont plus possibles à l'âge de la poudre et du plomb ».
Tandis que Marx évoque ici brièvement les conditionstechniques, économiques des aventures guerrières épiques, Hegel avait parlé de leurs conditions politiques.
Dansl'épopée la volonté des héros s'affirme avec une grande liberté, ce qui n'est plus possible lorsque l'État estfortement structuré : « Un État régularisé et organisé, avec une constitution et des lois positives, une juridiction quis'étend à tout, une administration complète, une police, ne peut fournir qu'une base tout à fait impropre audéveloppement de l'action épique.
»La disparition de l'épopée, de la poésie mythologique n'est donc pas un phénomène inexplicable.
Ces superstructuresculturelles disparaissent avec les conditions matérielles qui leur ont donné naissance.
Donc « la difficulté n'est pasde comprendre que l'art grec et l'épopée sont liés à certaines formes de développement social ».
Marx ajouteaussitôt « la difficulté, la voici : ils nous procurent encore une jouissance artistique et à certains égards ils serventde norme, ils nous sont un modèle inaccessible ».
Nous expliquons rationnellement la disparition du genre épique.
Ceque nous n'expliquons pas c'est comment ces oeuvres qui sont liées à des civilisations disparues, qui ne pourraientpas être produites aujourd'hui, sont encore goûtées, ont gardé leur puissance d'émotion.
La valeur esthétique, labeauté des grands oeuvres survit aux circonstances qui ont autrefois conditionné la production de ces oeuvres.
Or,comme dit Henri Lefebvre, « ce fait sert d'argument à l'idéalisme : Puisque certaines oeuvres se détachent de leurtemps c'est qu'elles se rattachent à quelque chose d'éternel ».
La valeur esthétique apparaîtrait en quelque sortecomme un donné irréductible, comme une norme transcendant l'espace et le temps.
Un marxiste peut répondre àcette objection en invoquant à travers l'évolution des civilisations des éléments de continuité : « les réalitésnationales et populaires exprimées...
l'essence même de la lutte séculaire de l'homme social pour vaincre la nature etpour organiser ses rapports essentiels avec lui-même » (Lefebvre).
Nous avons vu plus haut que la puissance del'épopée grecque tenait selon Marx à ses liens étroits avec une religion populaire et vivante.
Mais Marx nouspropose, pour expliquer la valeur éternelle de l'oeuvre d'Homère une autre solution : « ...
Pourquoi l'enfancehistorique de l'humanité au plus beau de son épanouissement n'exercerait-elle pas l'attrait éternel du moment qui nereviendra plus? » Auguste Comte avait déjà signalé l'existence d'un certain parallélisme entre l'évolution de.
»
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