KANT: Toute opposition au pouvoir législatif suprême
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
Toute opposition au pouvoir législatif suprême, toute révolte destinée à traduire en actes le mécontentement des sujets, tout soulèvement qui éclate en rébellion est, dans une république, le crime le plus grave et le plus condamnable, car il en ruine le fondement même. Et cette interdiction est inconditionnelle, au point que quand bien même ce pouvoir ou son agent, le chef de l'Etat, ont violé jusqu'au contrat originaire et se sont par là destitués, aux yeux du sujet, de leur droit à être législateurs, puisqu'ils ont donné licence au gouvernement de procéder de manière tout à fait violente (tyrannique), il n'en demeure pas moins qu'il n'est absolument pas permis au sujet de résister en opposant la violence à la violence. // En voici la raison : c'est que dans une constitution civile déjà existante le peuple n'a plus le droit de continuer à statuer sur la façon dont cette constitution doit être gouvernée. Car, supposé qu'il en ait le droit, et justement le droit de s'opposer à la décision du chef réel de l'Etat, qui doit décider de quel côté est le droit ? Ce ne peut être aucun des deux, car il serait juge dans sa propre cause. Il faudrait donc qu'il y eût un chef au-dessus du chef pour trancher entre ce dernier et le peuple, ce qui se contredit.
«
Pistes possibles pour une perspective critique
La réflexion critique pourra se tourner vers la question de conception de la légitimité du peuple dans les autresthéories du contrat social, afin de mieux saisir les enjeux critiques, voire polémiques, du propos de Kant (voir lesdeux textes ci-après) : Kant cherche en effet à rectifier la compréhension du concept de contrat social, et à limiterrigoureusement l'idée d'une souveraineté du peuple, ou même celle d'un droit de regard du peuple sur la qualité del'exercice du pouvoir auquel il est soumis.
Peut-être pourrait-on opposer à cela une conception du peuple commeinstance plus autonome, moins soumise, qui existerait en elle-même avant d'exister comme sujet d'un pouvoir(« Avant donc d'examiner l'acte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon d'examiner l'acte par lequel un peupleest un peuple.
Car cet acte étant nécessairement antérieur à l'autre est le vrai fondement de la Société »)
Rousseau
« Il y aura toujours une grande différence entre soumettre une multitude et régir une société.
Que des hommesépars soient successivement asservis à un seul, en quelque nombre qu'ils puissent être, je ne vois là qu'un maître etdes esclaves, je n'y vois point un peuple et son chef : c'est, si l'on veut, une agrégation, mais non pas uneassociation : il n'y a là ni bien public ni corps politique.
Cet homme, eut-il asservi la moitié du monde, n'est toujoursqu'un particulier ; son intérêt, séparé de celui des autres, n'est toujours qu'un intérêt privé.
Si ce même hommevient à périr, son empire après lui reste épars et sans liaison, comme un chêne se dissout et tombe en un tas decendres, après que le feu l'a consumé.
Un peuple, dit Grotius, peut se donner à un roi.
Selon Grotius, un peuple est donc un peuple avant de se donner àun roi.
Ce don même est un acte civil, il suppose une délibération publique.
Avant donc d'examiner l'acte par lequelun peuple élit un roi, il serait bon d'examiner l'acte par lequel un peuple est un peuple.
Car cet acte étantnécessairement antérieur à l'autre est le vrai fondement de la Société.
»
Kant
« Avant l'éveil de la raison, il n'y avait ni prescription ni interdiction, par conséquent encore aucune infraction, mais,lorsqu'elle commença d'exercer son action et, toute faible qu'elle était, à lutter corps à corps avec l'animalité danstoute sa force, c'est alors que durent apparaître des maux et, ce qui est pire, au stade de la raison cultivée, desvices qui étaient totalement étrangers à l'état d'ignorance et, par conséquent, d'innocence.
Le premier pas hors decet état fut donc du point de vue moral une chute : du point de vue physique, les conséquences de cette chutefurent l'apparition dans la vie d'une foule de maux jusqu'alors inconnus, donc une punition.
L'histoire de la naturecommence donc par le Bien, car elle est l'oeuvre de Dieu; l'histoire de la liberté commence par le Mal, car elle estl'oeuvre de l'homme.
Pour l'individu, qui dans l'usage de la liberté ne songe qu'à lui-même, il y eut perte lors de cechangement; pour la nature, qui avec l'homme poursuit son but en regardant l'espèce, ce fut un gain.
L'individu estdonc fondé à se tenir pour responsable de tous les maux qu'il subit comme du mal qu'il fait, et en même temps, entant que membre du Tout (d'une espèce), à estimer et à admirer la sagesse et la finalité de cette ordonnance.
Decette façon, on peut également accorder entre elles et avec la raison les affirmations si souvent mal comprises, eten apparence contradictoires, du célèbre J.J.
Rousseau.
Dans ses ouvrages Sur l'influence des sciences et Surl'inégalité des hommes, il montre très justement le conflit inévitable de la culture avec la nature du genre humaincomme espèce physique au sein de laquelle tout individu devrait atteindre pleinement sa destination; mais, dans sonÉmile, dans son Contrat social et d'autres écrits, il cherche à nouveau à résoudre ce problème plus difficile :comment la culture doit-elle progresser pour développer convenablement, jusqu'à leur destination, les dispositionsde l'humanité en tant qu'espèce naturelle? Conflit d'où naissent (étant donné que la culture selon les vrais principesd'une éducation formant en même temps des hommes et des citoyens n'est peut-être pas encore vraimentcommencée, ni a fortiori achevée) tous les véritables maux qui pèsent sur la vie humaine et tous les vices qui ladéshonorent, cependant que les impulsions qui poussent à ces vices, et qu'on tient dès lors pour responsables, sonten elles-mêmes bonnes et, en tant que dispositions naturelles, finales; mais le développement de la culture portepréjudice à ces dispositions, étant donné qu'elles étaient destinées au simple état de nature, de même qu'en retourelles portent préjudice à ce développement jusqu'à ce que l'art, ayant atteint la perfection, redevienne nature : cequi est la fin dernière de la destination morale de l'espèce humaine.
»
Pour une piste critique moins historique et plus polémique, on pourra interroger le concept de « devoir de révolte »,inscrit dans le seconde Déclaration des droits de l'homme : cela permettrait de promouvoir l'idée d'un devoird'évaluation du peuple à l'égard des instances qui le gouvernent, et ce pas seulement au moment de la définition deces instances : au contraire, la vigilance à l'égard d'éventuels abus de pouvoir serait un garant du bonfonctionnement d'une communauté politique, et la rébellion violente en cas d'abus serait une solution de dernierrecours acceptable.
Conclusion
Ce texte de Kant, qui s'inscrit dans le cadre d'une réflexion générale sur le concept de contrat social, refuseradicalement que le peuple recoure à la violence en cas de désaccord avec le pouvoir auquel il est soumis.
Ce refusn'admet aucune exception : c'est ce qui fait la singularité de la position de Kant, qui contient en filigrane laconception d'une légitimité absolue de l'Etat en cas de conflit avec le peuple..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- KANT: Toute opposition au pouvoir législatif suprême...
- Pouvoir et droit Texte de Kant.
- Kant : Une propriété de la raison consiste à pouvoir, avec l’appui de l’imagination
- Opposition au pouvoir ?
- La constitution de 1958 Pouvoir exécutif Pouvoir législatif Souveraineté nationale PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE Garant