Kant, Réponse à la question : Qu'est-ce que les Lumières ?
Publié le 18/06/2012
Extrait du document
La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un grand nombre
d'hommes, après que la nature les a affranchis d'une direction étrangère,
restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu'il soit si facile
à d'autres de se poser en tuteurs des premiers. Il est aisé d'être mineur! Si
j'ai un livre qui me tient lieu d'entendement, un directeur qui me tient lieu
de conscience (1), un médecin qui me dicte mon régime ... , je n'ai vraiment
pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n'ai pas besoin de penser,
pourvu que je puisse payer. Que la grande majorité des hommes tienne
aussi pour dangereux ce pas en avant vers la majorité, outre que c'est une
chose pénible, c'est ce à quoi s'emploient les tuteurs qui, très aimablement,
ont pris sur eux d'exercer une haute direction sur l'humanité. Après avoir
rendu sot leur bétail, ils lui montrent le danger qui le menace, s'il s'aventure
seul. Or, ce danger n'est pas si grand; les hommes apprendraient bien, après
quelques chutes, à marcher.
Kant, Réponse à la question : Qu'est-ce que les Lumières?
(1) Un «directeur de conscience« est quelqu'un auquel on a recours pour qu'il vous dicte votre
conduite morale et religieuse.
Questions:
1. Dégagez l'idée principale du texte à partir de l'étude de ses articulations.
2. Expliquez les termes «mineur« et «majorité«.
À quelles conditions, selon Kant, un individu devient-il majeur?
3. La sécurité est-elle liée à la dépendance, et la liberté au risque?
«
CONSEILS
Question 2 _______________ _
Expliquez:
Mineur
Le mot «mineur» ne désigne pas ici celui qui n'a pas
encore atteint l'âge légal de la «majorité» civile ou pénale,
âge à partir duquel une personne devient pleinement res
ponsable d'un point de vue juridique.
Dans ce texte, ce ·
mot a un sens plus général.
Il désigne celui qui, comme
un enfant, mais toute sa vie, demeure soumis à une
«direction étrangère», à la volonté et aux jugements
d'autrui.
Ce mineur est donc l'être dépendant d'autrui,
«aliéné», mais volontairement, puisqu'il est, en dernière
analyse, responsable de son état.
En prolongeant une
indication de Kant, on peut dire que cet être n'est pas un
homme pleinement accompli (cf.
l'allusion au «bétail»).
Majorité
La «majorité», au contraire, désigne l'autonomie, la capa
cité de se diriger soi-même sur tous les plans sans
soumettre ses actes aux directives d'autres hommes.
Si les tuteurs sont éventuellement majeurs en ce sens,
les majeurs ne sont pas nécessairement tuteurs de leurs
semblables.
(On peut noter que dans la même phrase le
mot «majorité» est pris dans son sens quantitatif (la
«majorité des hommes», c'est-à-dire le plus grand
nombre), puis dans le sens particulier que Kant lui donne
ici («le pas en avant vers la majorité»), sens dérivé du
sens politico-juridique.
Mais le contexte exclut ici toute
ambiguïté.)
À quelles conditions, selon Kant, un homme devient-il
majeur?
On voit que, pour passer de la minorité à la majorité, l'être
humain doit nécessairement :
-
d'abord prendre conscience de son état de mineur, de
son «infantilisme», de sa sottise (son intelligence person
nelle n'est pas développée, elle est paralysée par celle
des tuteurs) et aussi de sa responsabilité : sa situa
tion n'est pas déterminée par quelque conditionnement
incontournable ;
-
ensuite, opposer un refus aux tuteurs qui le prennent
en charge «très aimablement», comme dit ironiquement
l'auteur;
- enfin, et cela est le plus important, l'individu doit éci
der librement de devenir vraiment autonome.
Cette déci
sion demande du courage, de la persévérance, le déve
loppement de toutes les ressources morales et intel
lectuelles qui conduisent vers l'indépendance, puis vers
l'autonomie, la maîtrise consciente de sa propre exis
tence.
Question 3.
_______________ _
La sécurité est-elle liée à la dépendance,
et la liberté au risque?
1 es hommes qui, «très aimablement», ont pris sur eux
d'exercer une haute direction sur l'humanité» ont tout
intérêt à souligner qu'il est difficile et dangereux de
s'aventurer seul, autrement dit de se libérer de leur auto
rité.
Mais qu'en est-il en réalité? La sécurité est-elle liée à
la dépendance et la liberté au risque ?
La réponse de Kant à cette question est claire, mais ne
doit pas être simplifiée.
Une lecture hâtive du texte
peut faire croire qu'il lie la liberté au risque, puisque
entreprendre de se libérer, c'est s'exposer à «quelques
chutes», et qu'il lie au contraire la sécurité à la dépen
dance, dans la mesure où le «mineur» cherche la tran
quillité en s'abritant derrière des responsables.
On a alors
l'impression que Kant invite ses lecteurs à devenir libres,
mais, du même coup, à· prendre des risques, à perdre à
la fois la dépendance et la sécurité qui en dépend.
Cette lecture est insuffisante.
Kant attribue en effet la
dépendance des mineurs non à des circonstances exté
rieures déterminantes, mais à la paresse, à la lâcheté
des mineurs eux-mêmes, à des attitudes que les tuteurs
exploitent à leur profit et encouragent, mais dont ils ne
sont pas la source.
Les mineurs ont donc librement voulu
la sécurité et la dépendance qui la préserve; la liberté,
en ce sens, n'est pas liée au risque; les mineurs ont
en quelque sorte décidé de ne plus décider, choisi que
d'autres choisissent pour eux.
Ils sont responsables de
leur situation, radicalement, ce qui fait qu'ils peuvent
.
en changer s'ils le décident réellement.
Ainsi, la liberté 11.
»
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