KANT: Que Rousseau donne bien à penser sur l'avenir de l'homme
Publié le 22/02/2012
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«
d'en méditer la leçon : qu'on se reporte au paragraphe 83 de la Critique du jugement téléologique, qu'on peut considérer comme un résumé de la philosophie kantienne de l'histoire; on y trouvera l'écho insistant de notretexte.
Matière énigmatique, donc, pour la raison aux prises avec ce qu'on appellerait ses effets « pervers »...
Objetmal défini, et pour cause, et sur lequel on ne peut que risquer des conjectures.
Et de fait, que veut direhistoire pour Kant, en 1786? On peut distinguer trois ordres de rationalité dans le processus que Kant analyse :
Une succession simplement temporelle (un avant qui annonce un « après », une séquence d'apparitions :lorsque.., c'est alors que).
Mais notons tout de suite une complication majeure dans cette chronologie : ily a deux commencements — le premier pas accompli avec l'éveil de la raison recommençant autrement ce qui avait commencé avant.
Donc : deux histoires en une ?
a.
Une succession qu'on pourrait dire à la fois logique et causale : l'action de la raison entraîne desconséquences.
Une Raison dans, ou de, l'histoire ? b.
Une succession « génétique », où l'histoire humaine est appréhendée comme genèse, comme développement d'une nature, de dispositions initiales orientées vers une fin (tous ces termes reviennentavec insistance).
Une histoire prescrite (déjà écrite, prévue et projetée, avant le temps de sondéroulement) comme celle d'un organisme, du germe à sa forme adulte ?
c.
Nous touchons ici à l'un des deux « référentiels » (Rousseau mis à part) qui fournissent à Kant les axes de saréflexion : l'histoire naturelle de son époque.
On se contentera de rappeler ici l'opposition (une de plus...) entre les tenants de la préformation et les partisans de l'épigenèse, pour remarquer seulement qu'avec l'émergencede la raison, la réalité d'une épigenèse paraît faire échec à l'intemporalité d'une préformation; sans oublierBuffon (introduisant des causes et des facteurs pour expliquer la « dégénération » de certaines espècesanimales) et, à l'opposé, Linné (faisant pleinement jouer l'idée d'une finalité de la Création pour systématiserl'ordre et l'économie de la Nature)...
Et l'autre « référentiel »? On le tirera sans peine des mentions faites de lachute et de la punition (mais tout ce qui précède, dans l'Opuscule qui nous occupe, l'explicite expressément) : il s'agit cette fois de la Genèse — moins du récit de la Création que de celui du Paradis perdu.
Ainsi, deux « écritures », l'une sainte, l'autre profane, s'entrecroisent dans le texte de l'histoire repensée par Kant.
Deuxdiscours (celui de la tradition biblique, des « Testaments », et celui de l'innovation scientifique) cherchent às'unifier, dont chacun, d'ailleurs, porte témoignage d'un affrontement (la désobéissance à la volonté divinedans l'un, le désaccord sur le statut et le sens des genres et des espèces vivantes, dans l'autre).
Bref : deux« anthropologies », l'une théologique (l'homme est une créature de Dieu), l'autre « physique » (l'homme est membre d'une espèce naturelle), s'efforcent de mettre d'accord leurs raisons.
Comment concilier la raison téléologique qui semble gouverner avec une telle régularité l'histoire physique (la formation et la reproduction des types spécifiques) et la raison providentielle, qui paraît requise pour l'histoire morale, mais de façon inconcevable — à cause du Mal, d'où vient tout le mal...
Entendons ici la difficulté théorique.
3.
Ces considérations expliquent peut-être que tout notre texte ne soit qu'une suite de paradoxes.
Une fois sortis (le premier pas) de l'état d'ignorance et d'innocence d'avant la raison (état négativement définipar des manques — mais ne serait-ce pas plutôt un « plein » non encore entamé par l'interdit?), querencontrons-nous?
Premier « donc », premier paradoxe (mais lorsqu'elle commença...
—> ...
donc...
une chute...
—> ... donc, une punition) : avec l'apparition de la raison, l'homme s'élève au-dessus de l'animalité, mais tombe dans le mal; et plus la raison se cultive, plus le mal s'accroît (qualitativement, si l'on peut dire : les vicesen plus des maux; et quantitativement : une foule).
La raison est donc originairement ambivalente : source de la moralité (par sa lutte contre l'animalité) et donc du Bien, et cause de « déchéance », par lemal qu'elle fait (au sens le plus actif).
Deuxième donc, deuxième paradoxe (L'histoire de la nature...
—> ...
l'oeuvre de l'homme) : au tour de la liberté de devenir ambivalente; c'est par elle que l'homme se soustrait à la nécessité naturelle (grâce àquoi il peut être moral) — mais la Nature, oeuvre de Dieu, est bonne; c'est donc aussi par la liberté quel'homme se soustrait au Bien.
Ainsi se trouve-t-elle liée, comme principe et dès le principe, au Mal autantqu'au Bien.
Troisième donc, troisième paradoxe, d'ailleurs redoublé (Pour l'individu...
—> cette ordonnance) : le même événement (la raison, la liberté, le mal) peut être affecté d'un signe contraire, selon qu'on le regarde du point de vue de l'individu ( — , une perte) ou de l'espèce ( + , un gain) ; le même individu est égalementfondé à tenir cet événement pour sa faute (il est responsable d'un désordre) et son mérite (il s'inscrit parlà dans un plan et son ordre : sagesse/finalité d'une ordonnance).
Et pour finir, un quatrième paradoxe (De cette façon...
—> ...
en tant qu'espèce naturelle) : tous ces défis au sens commun doivent rendre rationnelle l'irrationalité (apparente) de la pensée de Rousseau,dans l'opposition de ses deux versants, autrement dit : la contradiction entre son constat d'un conflitinévitable entre la Nature (le Bien) et la Culture (le Mal), et son projet d'une harmonisation indispensabledes fins de la nature et de la culture (le Bien et le Mal s'opposant dans la culture, l'opposition peut êtrelevée par l'éducation).
Toute la fin du texte manifeste la conviction de Kant que la solution réside dans la logique de cette contradiction, c'est-à-dire dans la nature du conflit..
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