KANT: Passions et raison
Publié le 03/05/2005
Extrait du document
«
paradoxe de la passion, c'est qu'elle exècre toute médication : elle abhorre la médication et la repousse.
Kant dirad'ailleurs un peu plus loin dans le même texte que la passion est une gangrène incurable, car le malade ne veut pasêtre guéri.
À la différence des mouvements passagers de l'esprit, faisant naître le projet de rendre meilleur, lapassion est de l'ordre de l'ensorcellement, de l'enchantement, de l'envoûtement.
C'est une sorte d'envoûtementfasciné, de fascination magique qui se sont emparés du passionné.
Nous voici dans la magie pure, mettant àdistance toute sortie hors du mal, du négatif.Maladie de l'âme et envoûtement, emprise d'un sorcier, la passion est mal, négatif pur.
À vrai dire, seul un palliatifpeut atténuer le mal, faute de remède véritable.
3.
Intérêt philosophique du texte
Si le texte est intéressant parce qu'il souligne la destruction spirituelle liée à la passion (A), toutefois le procès de lapassion doit être relativisé (B).
A.
La passion comme destruction spirituelleCe texte de Kant est riche parce qu'il souligne, à juste titre, les côtés noirs de la passion: le père Goriot finit ruinépar amour pour ses filles, qui le délaissent jusque dans la mort.
Werther, le héros de Goethe, pris dans sestentations morbides et l'attrait de la mort, est animé d'un amour sans espoir pour Charlotte et il se trouve finalementacculé au suicide.
Dostoïevski, accablé de dettes, n'est-il pas victime de sa passion du jeu? Ô passions fatales,dont la noirceur et la souffrance semblent signaler la vérité de l'analyse de Kant, soulignant la dimension négative dela passion! L'alcool, la drogue, la jalousie minent l'âme du passionné; une force dévorante le détruit.
Mais on pourraitaussi songer à Wilde et lord Douglas: le premier ne va-t-il pas connaître, en raison de sa passion pour le second,deux ans de travaux forcés ? Le grand prêtre du Beau que fut Oscar Wilde, le dandy qui fréquente Sarah Bernhardt,l'auteur admiré du Portrait de Dorian Gray, dont le succès fut immédiat, connaît l'horreur et la laideur de la geôle deReading, après avoir expérimenté le banc d'infamie et avoir été reconnu coupable.
Ainsi la passion semble avoir étéchez lui une maladie de l'âme, qui l'éloigne de ce Beau qu'il chérissait.Les lignes de Kant soulignent donc magistralement que la passion est mal, destruction spirituelle et grave trouble del'âme.
L'intérêt philosophique et littéraire du texte doit donc être noté.
B.
Une maladie de l'âme parfois fécondeToutefois, ne faut-il pas nuancer les analyses de Kant et les relativiser? Joueur de roulette, Dostoïevski perdbeaucoup d'argent, mais gagne sa verve romanesque.
Verlaine connaît la fureur de boire, mais ses lendemainsd'alcool débouchent sur d'admirables poèmes.
« Le ciel est par-dessus le toit/si bleu si calme/un arbre par-dessus letoit/berce sa palme» (Sagesse).
Et Goriot, n'est-il pas quelque peu sublime, à travers son amour pour ses deux filles? Balzac lui-même ne voit-il pas en Goriot, selon ses propres termes, un «Christ de la paternité» ? Proust, quiconnaît la passion amoureuse et la jalousie, écrit la Recherche.
Le cousin Pons collectionne les antiquités et «chine»avec passion: ici encore, la passion dévoile son visage d'amour et de beauté.
Si la passion finit généralement mal,elle manifeste aussi un caractère de grandeur, que Kant ne nous donne pas à voir.
Même Emma Bovary, couverte dedettes, nous bouleverse: comme elle est loin de la médiocrité quotidienne! Prise dans l'amour et le culte de labeauté (madame Bovary, c'est moi, dit Flaubert), n'est-elle pas infiniment plus grande que monsieur Homais, lepharmacien décoré et reconnu, mais si dérisoire?Oui, la passion est enfer, mal, magie, mais elle est aussi grandeur spirituelle et folie créatrice: transcendance et élande l'âme.
4.
Conclusion
Quelle est l'essence de la passion ? Mal et négativité, elle pousse aussi à réaliser de grandes choses.
La forcedévorante de la passion conduit jusqu'à l'impossible ou au sublime.
KANT (Emmanuel). Né et mort à Königsberg (1724-1804).
Fils d'un sellier d'origine écossaise, il fit ses études à l'Université de Königsberg, et s'intéressa davantage à la physique et à la philosophie qu'à la théologie.
En 1755, ilest privat-dozent de l'Université de sa ville natale, puis il est nommé professeur extraordinaire de mathématiques etde philosophie.
En 1770, il devient titulaire de la chaire de logique et de métaphysique.
Il vécut dans une demi-retraite pendant onze ans ; puis, commença la publication de ses grands livres, les trois Critiques.
La Révolution.
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