KANT: MAXIME ET LOI DE LA RAISON
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
La question surgit d'une affirmation de Kant : « la raison ne cesse de tendre vers la liberté «. En d'autres termes, la raison est, en tant que telle, exigence de liberté. Tant qu'elle n'est point libre, elle n'a de cesse d'avoir découvert et formulé des espaces au sein desquels elle peut penser librement. En effet, être libre, pour la raison, ne renvoie à rien d'autre qu'à la liberté de penser. L'affirmation kantienne semble donc bien légitime : la raison, pour s'exercer et juger, doit être dégagée de toute contrainte. En premier chef, de toute contrainte irrationnelle : celles de la sensibilité, de l'imagination, du penchant, du préjugé, etc. ou encore de contraintes politiques qui, en nous empêchant d'échanger nos pensées avec d'autres, peuvent nous couper pour nous mêmes de toute pensée. Mais n'y a-t-il pas, en second lieu, des contraintes rationnelles, des contraintes issues de la raison elle-même, et qui pourraient nuire à sa liberté de penser? La simple formulation de cette question nous montre à qu'il est nécessaire de tâcher de définir la liberté de penser, c'est-à-dire de fixer le sens et la manière selon lesquels la notion de liberté peut être rapportée à celle de pensée. Qu'est-ce qu'une pensée libre? La pensée consiste dans l'exercice du jugement. Elle est connaissance d'un objet, ou maxime d'une action, dans la seule mesure où elle met en relation du particulier et de l'universel, c'est-à-dire dans la mesure où elle rapporte objet ou action à des lois. En d'autres termes, la raison est législatrice. On voit alors le paradoxe que le texte que nous commentons se propose de résoudre. Si la raison est essentiellement en rapport avec des lois, comment peut-elle, par le même rapport, tendre vers une liberté propre? En d'autres termes, comment une raison libre se rapporte-t-elles aux lois?
«
Enjeux du texte
Le texte concerne manifestement la question de la métaphysique.
C'est pourquoi la perspective kantienne est dansce texte, comme vis-à-vis de tous les problèmes métaphysique, une perspective critique.
Le texte est extrait d'unopuscule de 1786, Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée .
Sa publication s'inscrit directement dans le contexte que la querelle du panthéisme, un débat philosophique majeur à l'époque en Allemagne.
La querelle opposaitprincipalement Jacobi, philosophe irrationaliste fondant tous ses travaux sur la notion de foi, et Mendelssohn, unphilosophe des Lumières ( Aufklärung ) prônant un rationalisme dogmatique.
Dans notre extrait, c'est Jacobi qui est directement critiqué, sous la figure du génie.
Retraçons rapidement les grandes lignes du débat.
Concernant lemonde sensible, la raison possède pour s'orienter tout un réservoir d'informations : l'expérience.
De même, face auxobjets dont elle peut avoir l'intuition, la raison s'oriente sur cette intuition même.
En revanche, lorsqu'il s'agit dumonde suprasensible, dont nous n'avons aucune intuition, la raison est sans repères, la pensée doit s'orienter.Comment procède-t-elle? A partir d'un principe subjectif : elle édicte une maxime, une loi concernant la manière laplus rationnelle de juger compte tenu des incertitudes, de la désorientation qu'induit le monde suprasensible.
Laquerelle concernait le choix de la maxime la plus rationnelle.
Selon Jacobi, la raison ressent sur ces sujets de tellescontradictions, qu'elle doit se nier elle-même, nier le recours à toute loi, et s'en remettre à une révélation intérieure,la foi.
Selon Mendelssohn, au contraire, la raison devait conserver toutes ses lois, et raisonner de manièredéductive, à la manière des géomètres.
Kant critique ici ces deux perspectives, et montrent qu'elles sont les deuxpôles contradictoires de la raison, entre lesquels il s'agit justement de s'orienter.
Sa perspective critique se relèveici dans le thème de la liberté de penser : c'est en la niant que Jacobi et Mendelssohn s'enferment dans leursapories respectives.
La portée rhétorique du texte est donc la défense d'une valeur, d'un principe : nier enphilosophie la liberté de penser ne peut conduire qu'à d'inlassables et insolubles disputes.
Le chemin de la raison estau contraire pour Kant celui de la liberté.
Thèse du texte
La thèse du texte est que la pensée libre est celle qui ne se soumet à aucune autre loi que celle qu'elle se donne àelle-même.
Il s'agit d'une critique directe de Jacobi (le génie ) selon qui la raison doit se soumettre à la foi.Cette soumission, en ce qu'elle coupe la raison de toute loi, n'est qu'un mauvais reflet de la liberté de penser : elle sembleen effet affranchir la raison.
Au contraire, elle asservit bien la raison à la loi particulière de l'intuition enl'affranchissant de ses propres lois.
La thèse du texte est donc, plus profondément, que la raison doit tâcher d'être la source pure de ce qu'elle pense.Plus les critères de la raison seront seuls retenus par la pensée, plus celle-ci sera libre.
Mouvement du texte
1.
1-2 : signification de la liberté de penser : la raison n'obéit qu'à ses propres lois
2.
2-7 : démonstration du fait que la raison ne peut pas penser sans lois
3.
7-10 : conséquences quant à la liberté de penser : il faut que ces lois soient toutes rationnelles ou issues de la raison
Elaboration du commentaire
L'objet du commentaire est de suivre pas à pas le texte, d'expliquer ses thèses, ses exemples, et d'expliciter lesallusions, présuppositions et implications éventuellement contenues dans l'extrait.
Ceci étant fait, le commentairepeut proposer une perspective critique.
Celle-ci ne doit pas être comprise comme un débat d'opinions : laperspective critique doit servir la totale mise en lumière du texte et de ce qui, en lui, est implicite.
Parcourons letexte pour voir ce qui demande des éclaircissements, et ce qui, éventuellement, appelle un regard critique.
« que la raison ne se soumette à aucune autre loi que celle qu'elle se donne à elle-même.
».
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