Kant, Critique de la faculté de juger, Vrin, 1965, §5.
Publié le 23/03/2015
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L'agréable, le beau, le bon désignent [...] trois relations différentes des représentations au sentiment de plaisir et de peine, en fonction duquel nous distinguons les uns des autres les objets ou les modes de représentation. Aussi bien les expressions adéquates pour désigner leur agrément propre ne sont pas identiques. Chacun appelle agréable ce qui lui FAIT PLAISIR, beau ce qui lui PLAIT simplement ; bon ce qu'il ESTIME, approuve, c'est-à-dire ce à quoi il attribue une valeur objective. L'agréable a une valeur même pour des animaux dénués de raison : la beauté n'a de valeur que pour les hommes, c'est-à-dire des êtres d'une nature animale, mais cependant raisonnables (par exemple des esprits), mais aussi en même temps en tant qu'ils ont une nature animale ; le bien en revanche a une valeur pour tout être raisonnable. Cette proposition ne pourra être complètement justifiée et éclaircie que plus tard. On peut dire qu'entre ces trois genres de satisfactions, celle du goût pour le beau est seule une satisfaction désintéressée et libre ; en effet, aucun intérêt, ni des sens, ni de la raison, ne contraint l'assentiment. C'est pourquoi l'on pourrait dire de la satisfaction que, dans les trois cas indiqués, elle se rapporte à l'inclination, à la faveur ou au respect. La FAVEUR est l'unique satisfaction libre. Un objet de l'inclination ou un objet qu'une loi de la raison nous impose de désirer, ne nous laisse aucune liberté d'en faire pour nous un objet de plaisir. Tout intérêt présuppose un besoin ou en produit un, et comme principe déterminant de l'assentiment, il ne laisse plus le jugement sur l'objet être libre. «
Kant, Critique de la faculté de juger, Vrin, 1965, §5.
Commentaire de texte

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Textes commentés 39
Il s'agit de
distinguer rigoureusement les satisfactions que donnent
l'agréable, le beau et le bon afin d'établir la thèse fondamentale : le
jugement de goût est désintéressé ; il se situe dans un « ordre » propre,
celui, spécifique, de
l'homme qui n'est « ni ange ni bête ».
~ Avec Kant commence le monde moderne :
1) L'alliance traditionnelle entre la science, la vertu et le bonheur mais
aussi entre le sensible et le supra-sensible, entre le
kalos (le beau) et
l'agathos (le bien) a éclaté.
2) Le sujet esthétique est le seul à échapper à cette dislocation, c'est le
seul sujet concret, le seul sujet en qui l'esprit et la chair sont réconciliés.
Voilà pourquoi l'impression de beauté est toujours menacée par un excès
sensoriel (de l'impressionnisme à la musique concrète)
ou spéculatif (du
cubisme à l'art conceptuel*).
3)
Le sujet esthétique est le seul sujet libre entièrement émancipé des
contraintes ou des obligations de la morale (lorsque j'obéis à la loi de
ma
raison mes inclinations sensibles subissent un préjudice) comme de la
tyrannie des instincts, d'où le rapprochement de l'art et du
jeu qui seuls
nous donnent l'idée d'une société où l'homme serait vraiment libre
(Schiller, Lukacs).
4) L'agréable (comme toutes les impressions des sens) est
incommunicable, le bien, lui, est communicable mais il ne concerne que
la raison en nous, seul le beau réalise une communication effective entre
des sujets concrets.
5) Dans la sphère pratique (ou morale) comme dans la sphère
pragmatique (liée à la satisfaction de mes besoins) je porte un intérêt à
l'existence de l'objet ; ainsi, pour reprendre l'exemple de Kant
(§2), je
peux juger beau ce palais même si sa construction a supposé
l'exploitation du peuple (question pratique) et alors que l'idée de l'habiter
pourrait paraître saugrenue (question
pragmatique); à la limite le palais
peut être une représentation imaginaire puisque l'idée d'une appropriation
quelconque de son objet n'entre pas en ligne de compte.
Le rapport
pragmatique aussi bien que le rapport théorique à la chose sont des
rapports de violence
et d'appropriation : seul le rapport esthétique est
innocent au sens étymologique puisqu'il laisse-être la chose sans lui nuire
! (nocere), sans la ruiner ou la sacrifier.
C'est ce rapport privilégié et libre
que Kant appelle contemplation..
»
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