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John Stuart Mill, La nature

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

Si le cours naturel des choses était parfaitement bon et satisfaisant, toute action serait une ingérence inutile qui, ne pouvant améliorer les choses, ne pourrait que les rendre pires. Ou, si tant est qu'une action puisse être justifiée, ce serait uniquement quand elle obéit directement aux instincts, puisqu'on pourrait éventuellement considérer qu'ils font partie de l'ordre spontané de la nature ; mais tout ce qu'on ferait de façon préméditée et intentionnelle serait une violation de cet ordre parfait. Si l'artificiel ne vaut pas mieux que le naturel, à quoi servent les arts de la vie ? Bêcher, labourer, bâtir, porter des vêtements sont des infractions directes au commandement de suivre la nature. [...] Tout le monde déclare approuver et admirer nombre de grandes victoires de l'art sur la nature : joindre par des ponts des rives que la nature avait séparées, assécher des marais naturels, creuser des puits, amener à la lumière du jour ce que la nature avait enfoui à des profondeurs immenses dans la terre, détourner sa foudre par des paratonnerres, ses inondations par des digues, son océan par des jetées. Mais louer ces exploits et d'autres similaires, c'est admettre qu'il faut soumettre les voies de la nature et non pas leur obéir ; c'est reconnaître que les puissances de la nature sont souvent en position d'ennemi face à l'homme, qui doit user de force et d'ingéniosité afin de lui arracher pour son propre usage le peu dont il est capable, et c'est avouer que l'homme mérite d'être applaudi quand ce peu qu'il obtient dépasse ce qu'on pouvait espérer de sa faiblesse physique comparée à ces forces gigantesques. Tout éloge de la civilisation, de l'art ou de l'invention revient à critiquer la nature, à admettre qu'elle comporte des imperfections, et que la tâche et le mérite de l'homme sont de chercher en permanence à les corriger ou les atténuer. John Stuart Mill, La nature

La Nature est un texte de philosophie morale, c’est-à-dire qui cherche selon quels principes orienter la conduite humaine. Mill s’y applique en particulier a rejeter un principe communément admis par la tradition philosophique comme par le sens commun: nous devrions « suivre le cours de la nature «. Pour bien agir, nous devrions respecter l’ordre spontané de la nature, érigé par là même au rang d’organisation parfaite. Or Mill constate que notre attitude est souvent plus paradoxale. En effet, à la fois nous accordons de la valeur au cours naturel des choses, et nous faisons l’éloge des œuvres et des productions humaines qui viennent pourtant perturber celui-ci. Comment comprendre cette contradiction manifeste? La thèse de Mill dans cet extrait est que le cours de la nature ne peut être ériger en norme de ce qui est  « parfaitement bon et satisfaisant «.

Pour la démontrer, il utilise un raisonnement à contrario. Il s’agit de poser l’hypothèse inverse de celle que nous voulons soutenir, et à en déduire des conséquences contradictoires. Nous montrons ainsi que cette hypothèse est manifestement erronée, et donc que c’est celle que nous voulions soutenir est qui est juste.

- Dans une première partie (de « Si le cours naturel « à « suivre la nature «), Mill opère le premier temps du raisonnement a contrario. Il pose l’hypothèse qu’il souhaite rejeter, à savoir que « le cours naturel des choses est parfaitement bon et satisfaisant «, et en déduit la conséquence qui s’impose: les arts humains n’ont aucune valeur.

- Dans une seconde partie (de « Tout le monde déclare « à « son océan par des jetées «), il montre maintenant que cette conséquence est fausse. Pour cela il fait appel au sens commun: tout le monde accorde de la valeurs aux arts humains.

- La troisième partie (de « Mais louer ces exploits « à « les corriger ou les atténuer «) conclue la démonstration en posant la thèse de Mill: C’est donc que le cours naturel des choses ne peut être érigé comme norme du bon et du satisfaisant.

 

« Transition: Dans cette première partie, Hume a donc poser la thèse qu'il souhaite en réalité réfuter: le cours naturel des chosesest bon.

La conséquence qui en découle est une condamnation de toute entreprise et de tout art humain.

Laseconde partie poursuit le mouvement du raisonnement a contrario en montrant que cette conséquence ne peutêtre tenue.

II) Nous valorisons les arts et les entreprises humaines: - Cette seconde partie commence par un appel au sens commun: « Tout le monde déclare approuver et admirernombre de grandes victoires de l'art sur la nature ».

La conséquence précédemment établie n'est doncmanifestement admise par personne.

Par exemple: nous sommes tous d'accord pour estimer bon l'art de la médecinequi permet de modifier le cours naturel des choses en nous sauvant de nombreuses maladies, de même pour l'art duvulcanologue qui prévoit une irruption volcanique.

Nous croyons à un progrès possible dans ces domaines et nous ytravaillons parce que celui-ci nous apparaît comme un bien.

D'ailleurs, les hommes qui s'illustrent dans l'avancée desarts humains sont estimés et non blâmés.

Nous leur en sommes reconnaissant (pensons, par exemple, à Pasteur).

Leterme de « victoire » de l'art sur la nature n'est pas neutre, il renvoie au champs lexical de la guerre: l'art et lanature sont envisagés par Mill comme deux puissances capables d'établir des lois différentes: au cours naturels'oppose un monde proprement humain, dans lequel les arts sont parvenus à modifier l'organisation première desphénomènes.

Ces deux puissances législatrices se combattent parce qu'elles cherchent à régir un même territoire.- Le verbe « déclarer » a lui aussi son importance.

Mill relève un fait manifeste: une parole publique.

Il va ensuitemettre en lumière le jugement qui se cache derrière cette déclaration, mais qui lui n'est pas toujours consciemmentassumé.

En effet, une affirmation pose également tout ce qui la sous-tend.

Dans notre cas, le jugement implicitequ'elle présuppose est que l'ordre naturel n'est pas bon en lui-même.

A travers cette démonstration, c'est donc à lacohérence que Mill nous engage.

Nous ne pouvons pas déclarer une chose sans affirmer en même temps ce qu'elleprésuppose.

A fortiori, nous ne pouvons pas déclarer en même temps un jugement qui infirme ce présupposé.- La suite de cette seconde partie est constitué par une énumération de différentes productions de l'art humain:« joindre par des ponts des rives que la nature avait séparées, assécher des marais naturels, creuser des puits,amener à la lumière jour ce que la nature avait enfoui à des profondeurs immenses dans la terre, détourner safoudre par des paratonnerres, ses inondations par des digues, son océan par des jetés ».

Le point commun de tousces exemples est leur évidente utilité, autrement dit leur valeur.

Mill prouve ainsi par le sens commun que la naturene produit pas spontanément un ordre satisfaisant et que la modification de cet ordre peut s'avérer bénéfique pourl'intérêt de tous.

Transition: Dans cette seconde partie, Mill constate que nous ne soutenons manifestement pas la thèse selon laquelle les artshumains sont inutiles.

Il semble au contraire que nous les valorisions.

C'est donc que notre hypothèse de départselon laquelle il faut « suivre le cours de la nature » n'est pas soutenable.

C‘est ce que conclue Mill dans la dernièrepartie de notre texte.

III) L'éloge de l'art et de la civilisation équivaut à une critique de l'ordre naturel: - « Mais louer ces exploits et d'autres similaires, c'est admettre qu'il faut soumettre les voies de la nature et nonpas leur obéir ».

L'estime que nous portons pour les arts humains implique une conception sous-jacente de notrerapport à l'ordre naturel.

En effet, celui-ci n'est alors pas conçu comme une fin en soi, comme un ordre idéal quenos actes viserait à maintenir et auquel nous devrions « obéir ».

Au contraire, il est conçu comme un moyen quenous devons utiliser en vue de nos propres fins qui, elles, ne sauraient nous être prescrites par la nature.

Les voiesde la nature sont donc à notre service et non l'inverse.

Nous devons les « soumettre » au sens où nous devons lesfaire servir nos intérêts humains.

Par exemple le courant d'un fleuve ne nous oblige en aucun cas à laisser lesobjets être emportés.

Au contraire, il est bien plus utile de dompter sa force et de nous en servir à l'aide d'un moulinà eau.- De plus, louer les arts a une seconde implication quant à notre conception du cours naturel des choses.

En effet,si nous devons nous efforcer de le dompter, c'est que nous reconnaissons que « les puissances de la nature sontsouvent en position d'ennemi face à l'homme, qui doit user de force et d'ingéniosité afin de lui arracher pour sonpropre usage le peu dont il est capable ».

Il faut donc rompre avec le mythe d'une nature nourricière et bienfaitrice.En effet, celle-ci s'oppose plus souvent aux projets humains qu'elle ne les sert.

C'est en cela qu'elle est pour nousune véritable « ennemi »: nous pouvons définir l'ennemi comme celui qui s'oppose à la satisfaction de nos désirs.

Iln'en est alors pas de plus grand que la nature: elle limite nos possibilités d'action en nous imposant une condition etdes lois que nous n'avons pas choisies.

La force de gravité, par exemple, est l'ennemi de celui qui veut voler; demême la sécheresse est l'ennemi de l'agriculteur.

La force de la nature étant infiniment plus grande que les nôtres,l'homme doit donc employer pour lutter de l'arme qui lui est propre, à savoir l' « ingéniosité ».

L'ingéniosité est cettecapacité non pas d'annuler une force par une force supérieure et de même ordre, mais de l'utiliser et de la faireservir à ses propres fins.

Grâce à elle, nous pouvons développer les arts qui nous permettront d'obtenir satisfactionmalgré l'opposition des forces de la nature: l'aéronautique pour celui qui veut voler, et l'irrigation pour l'agriculteur.

- «et c'est avouer que l'homme mérite d'être applaudi quand ce peu qu'il obtient dépasse ce qu'on pouvait espérerde sa faiblesse physique comparée à ces forces gigantesques.

».

Mill souligne ici la disproportion entre la puissancehumaine et la puissance naturelle.

Peut-être est-ce une manière de signaler qu'il est de toute façon impossible pourl'homme de subvertir totalement l'ordre de la nature.

Le risque de « dénaturation » est inenvisageable.

Ainsi toute. »

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