Jean Jacques rousseau les confessions
Publié le 11/01/2013
Extrait du document


«
misères.
Que chacun d'eux découvre à son tour son coeur au pied de ton trône avec la même sincérité, et puis
qu'un seul te dise, s'il l'ose: je fus meilleur que cet homme-là.
Je suis né à Genève, en 1712 d'Isaac Rousseau, Citoyen, et de Susanne Bernard, Citoyenne.
Un bien fort
médiocre, à partager entre quinze enfants, ayant réduit presque à rien la portion de mon père, il n'avait pour
subsister que son métier d'horloger, dans lequel il était à la vérité fort habile.
Ma mère, fille du ministre Bernard,
était plus riche: elle avait de la sagesse et de la beauté.
Ce n'était pas sans peine que mon père l'avait obtenue.
Leurs amours avaient commencé presque avec leur vie; dès l'âge de huit à neuf ans ils se promenaient
ensemble tous les soirs sur la Treille; à dix ans ils ne pouvaient plus se quitter.
La sympathie, l'accord des
âmes, affermit en eux le sentiment qu'avait produit l'habitude.
Tous deux, nés tendres et sensibles,
n'attendaient que le moment de trouver dans un autre la même disposition, ou plutôt ce moment les attendait
eux-mêmes, et chacun d'eux jeta son coeur dans le premier qui s'ouvrit pour le recevoir.
Le sort, qui semblait
contrarier leur passion, ne fit que l'animer.
Le jeune amant ne pouvant obtenir sa maîtresse se consumait de
douleur: elle lui conseilla de voyager pour l'oublier.
Il voyagea sans fruit, et revint plus amoureux que jamais.
Il
retrouva celle qu'il aimait tendre et fidèle.
Après cette épreuve, il ne restait qu'à s'aimer toute la vie; ils le
jurèrent, et le ciel bénit leur serment.
Gabriel Bernard, frère de ma mère, devint amoureux d'une des soeurs de mon père; mais elle ne consentit à
épouser le frère qu'à condition que son frère épouserait la soeur.
L'amour arrangea tout, et les deux mariages
se firent le même jour.
Ainsi mon oncle était le mari de ma tante, et leurs enfants furent doublement mes
cousins germains.
Il en naquit un de part et d'autre au bout d'une année; ensuite il fallut encore se séparer.
Mon oncle Bernard était ingénieur: il alla servir dans l'Empire et en Hongrie sous le prince Eugène.
Il se
distingua au siège et à la bataille de Belgrade.
Mon père, après la naissance de mon frère unique, partit pour
Constantinople, où il était appelé, et devint horloger du sérail.
Durant son absence, la beauté de ma mère, son
esprit, ses talents, lui attirèrent des hommages.
M.
de la Closure, résident de France, fut un des plus empressés.
»
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