Jean-Jacques Rousseau, Julie ou La Nouvelle Héloïse (1761), 6e partie, Lettre VIII. ?
Publié le 05/12/2009
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"Tant qu'on désire on peut se passer d'être heureux ; on s'attend à le devenir : si le bonheur ne vient point, l'espoir se prolonge, et le charme de l'illusion dure autant que la passion qui le cause. Ainsi cet état se suffit à lui-même, et l'inquiétude qu'il donne est une sorte de jouissance qui supplée à la réalité, qui vaut mieux peut-être. Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède. On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux. En effet, l'homme, avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel [de Dieu] une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu'il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et, pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l'objet même ; rien n'embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu'on voit ; l'imagination ne pare plus rien de ce qu'on possède, l'illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d'être habité, et tel est le néant des choses humaines, qu'hors l'Etre existant par lui-même [Dieu] il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas." Jean-Jacques Rousseau, Julie ou La Nouvelle Héloïse (1761), 6e partie, Lettre VIII.
Le véritable problème n'est donc pas le désir lui-même, mais l'objet de notre désir. Une fois le désir comblé, l'objet n'a plus de mystère, de surprise, de charme. En effet, l'Homme, curieux par nature, est attiré par ce qu'il ne connaît pas et ce qu'il ne possède pas. Une fois l'objet obtenu, il perd ses caractéristiques attirantes. C'est à ce moment-là que l'Homme, déçu, rencontre la réalité, et c'est peut-être là aussi qu'il se rend compte qu'il préfère son imagination. Certes, on trouve une certaine joie à obtenir ce qu'on voulait, mais ce n'est pas la même joie qu'on avait avant. Il ne s'agit pas d'une différence d'amplitude, mais plutôt d'une différence temporelle. On peut désirer quelque chose pendant des années (une personne aimée qui est déjà mariée), tout comme on peut combler ce désir en un instant (manger un repas alors qu'on avait faim). Toute cette attente pour un moment de jouissance ?
«
se projeter dans le futur pour imaginer un meilleur moment qui pourrait éventuellement avoir lieu.
Même si cetévénement n'a pas lieu, il sera heureux pendant le moment qu'il a laissé son imagination l'emporter.
En effet, Sartrenous dit que l'Homme est totalement libre de choisir sa vie.
Il est libre justement parce qu'il peut s'imaginer dansl'avenir faire ses choix.
Imaginer et désirer, c'est être heureux.Le véritable problème n'est donc pas le désir lui-même, mais l'objet de notre désir.
Une fois le désir comblé, l'objetn'a plus de mystère, de surprise, de charme.
En effet, l'Homme, curieux par nature, est attiré par ce qu'il ne connaîtpas et ce qu'il ne possède pas.
Une fois l'objet obtenu, il perd ses caractéristiques attirantes.
C'est à ce moment-làque l'Homme, déçu, rencontre la réalité, et c'est peut-être là aussi qu'il se rend compte qu'il préfère son imagination.Certes, on trouve une certaine joie à obtenir ce qu'on voulait, mais ce n'est pas la même joie qu'on avait avant.
Ilne s'agit pas d'une différence d'amplitude, mais plutôt d'une différence temporelle.
On peut désirer quelque chosependant des années (une personne aimée qui est déjà mariée), tout comme on peut combler ce désir en un instant(manger un repas alors qu'on avait faim).
Toute cette attente pour un moment de jouissance ? Une telle inégalitésemble injuste à ceux qui ne voient pas le bonheur qu'apporte le désir même.
En plus, achever un désir n'aide guèrecelui qui cherche à ne plus désirer parce que ce désir est immédiatement remplacé par un autre.
C'est un cycle sansfin qui peut donner parfois l'impression qu'il ne vaut pas la peine d'essayer de combler ses désirs.
Toutefois, même siun désir peut toujours être remplacé par un autre, il ne faut pas abandonner le fait de désirer.
C'est en désirant quel'on cherche et que l'on progresse, comme individu ou comme membre de la société.
Désirer et se satisfaire n'est pasautant un cycle qu'une ligne qui avance à l'infini.
Sans ce mouvement, l'Homme ne trouverait pas son bonheur carl'Homme n'est jamais véritablement satisfait, car « il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas », tel que le ditRousseau.
Si chaque Homme était content avec ce qu'il possède, l'Humanité ne ferait plus de progrès.Ainsi, il est vrai que le désir peut être source de peine, mais comme le dit Rousseau plus tard dans sa lettre, « vivresans peine n'est pas un état d'homme, vivre ainsi, c'est être mort ».
On ne peut pas échapper en somme à la peine: mais qui le voudrait vraiment? Sans le sentiment de la peine, on ne reconnaît pas si bien les autres émotions, tellesque la jouissance et l'amour, parce que celles-ci s'y opposent radicalement Si, dès la naissance, tout nous étaitdonné, nous n'aurions pas besoin d'apprendre.
De même, si nous ne voulions que ce que nous avons déjà, nous nechercherions pas à nous améliorer, l'Humanité ne progresserait plus.
Nous ne sentirions pas la peine, mais nous neressentirions pas la joie non plus, qui relève la peine de nos épaules.
C'est le désir qui donne la preuve de notreconscience, c'est le désir qui nous sépare des autres êtres vivants, et c'est aussi le désir qui nous rend heureux.
Ledésir n'est donc pas une faiblesse de l'homme, mais une de ses caractéristiques majeures, une caractéristique quimène au bonheur.
Sujet désiré en échange :
Les grandeurs et les misères de l'homme sont tellement visibles, qu'il faut nécessairement que la véritable religionnous enseigne et qu'il y a quelque grand principe de grandeur en l'homme, et qu'il y a un grand principe de misère.
Ilfaut donc qu'elle nous rende raison de ces étonnantes contrariétés.
Il faut que, pour rendre l'homme heureux, elle luimontre qu'il y a un Dieu ; qu'on est obligé de l'aimer ; que notre unique félicité est d'être en lui, et notre unique mald'être séparé de lui ; qu'elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître etde l'aimer ; et qu'ainsi nos devoirs nous obligeant d'aimer Dieu, et nos concupiscences nous en détournant, noussommes pleins d'injustice.
Il faut qu'elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notrepropre bien.
Il faut qu'elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances, et les moyens d'obtenir ces remèdes.Qu'on examine sur cela toutes les religions du monde, et qu'on voie s'il y en a une autre que la chrétienne qui ysatisfasse.
Blaise PASCAL.
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