Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l'éducation: « La Profession de foi du Vicaire savoyard »
Publié le 31/01/2020
Extrait du document
Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l'éducation
Mon dessein n'est pas d'entrer ici dans des discussions métaphysiques qui passent ma portée et la vôtre, et qui, dans le fond, ne mènent à rien. Je vous ai déjà dit que je ne voulais pas philosopher avec vous, mais vous aider à consulter votre cœur. Quand tous les philosophes du monde prouveraient que j'ai tort, si vous sentez que j'ai raison, je n'en veux pas davantage.
Il ne faut pour cela que vous faire distinguer nos idées acquises de nos sentiments naturels; car nous sentons avant de connaître; et comme nous n'apprenons point à vouloir notre bien et à fuir notre mal, mais que nous tenons cette volonté de la nature, de même l'amour du bon et la haine du mauvais nous sont aussi naturels que l'amour de nous-même. Les actes de la conscience ne sont pas des jugements, mais des sentiments. Quoique toutes nos idées nous viennent du dehors, les sentiments qui les apprécient sont au-dedans de nous, et c'est par eux seuls que nous connaissons la convenance ou disconvenance qui existe entre nous et les choses que nous devons respecter ou fuir.
« La Profession de foi du Vicaire savoyard », livre IVe, Garnier-Flammarion, 1966, p. 377.
«
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778) Profession du vicaire savoyard (dans Émile).
« Les coupables qui se disent forcés au crime sont aussi menteurs que méchants : comment ne voient-ils point quela faiblesse dont ils se plaignent est leur propre ouvrage ; que leur première dépravation vient de leur volonté ; qu'àforce de vouloir céder à leurs tentations, ils leur cèdent enfin malgré eux et les rendent irrésistibles ? Sans doute ilne dépend plus d'eux de n'être pas méchants et faibles, mais il dépendit d'eux de ne pas le devenir.
Or que nousrestions aisément maîtres de nous et de nos passions, même durant cette vie, si, lorsque nos habitudes ne sontpoint encore acquises, lorsque notre esprit commence à s'ouvrir, nous savions l'occuper des objets qu'il doitconnaître pour apprécier ceux qu'il ne connaît pas ; si nous voulions sincèrement nous éclairer, non pour briller auxyeux des autres, mais pour être bons et sages selon notre nature, pour nous rendre heureux en pratiquant nosdevoirs ! Cette étude nous paraît ennuyeuse et pénible, parce que nous n'y songeons que déjà corrompus par levice, déjà livrés aux passions.
Nous fixons nos jugements et notre estime avant de connaître le bien et le mal etpuis, rapportant tout à cette fausse mesure, nous ne donnons à rien sa juste valeur.
Les connaissances philosophiques
On pourra lire :
Le Traité des passions de Descartes.
Éthique (livre III) de Spinoza.
La Raison dans l'histoire de Hegel.
Anthropologie du point de vue pragmatique de Kant.
Aurores de Nietzsche (aphorisme 519).
Gorgias de Platon.
Émile (livre 4) et La Nouvelle Héloïse de Rousseau.
Il est souhaitable de pouvoir utiliser des références littéraires comme La Femme et le Pantin de P.
Louys, Le Mangeur d'opium de Baudelaire, Le Joueur de Dostoïevski.
Commentaire du texte
Le thème : La passion et la volonté.
La thèse : Rousseau nous invite à juger et à maîtriser nos passions selon une juste valeur qui ne peut être acquise que si l'on comprend les valeurs du devoir et de la volonté.
Les enjeux : La question que semble poser le texte est : pourquoi devons-nous maîtriser nos passions ?
La structure : Le premier mouvement du texte indique que les passions ne peuvent être un alibi de la faiblesse de la volonté.
Nous sommes responsables de nos passions.
Il appartient à la volonté de s'en prémunir (« Les coupables...valeur »).
Pour cela, il nous faut nous éduquer à rechercher la sagesse et le bien, à combattre la passion ; c'est cequ'indique le second mouvement du texte.
Le troisième mouvement du texte montre qu'il nous faut penser au plusjuste nos valeurs.
Que devient la passion ?
Plan détaillé
Première partie
Succomber à la passion est une faiblesse
La passion est une souffrance qui ressemble à une malédiction, et il y a une certaine complaisance de l'homme à ysuccomber.
C'est ce qu'indiquent les premières lignes du texte.
Les passions sont donc ambiguës.
Analysonsl'ambiguïté des passions.
Il s'agit de montrer que le langage propre des passions asservit plus l'homme qu'il ne lelibère.
Même si il y a un certain plaisir au récit des passions, l'homme souffre.
La passion est un sentiment exclusif pour un être ou une activité.
Ce sentiment produit une cristallisation de l'être àl'égard de l'objet aimé.
Le passionné est hors du temps, il refuse de penser l'avenir ainsi que les conséquences deses actes.
La passion est perte de lucidité.
Le passionné s'abuse lui-même.
Il se nourrit de l'impossible.
C'estWerther qui se suicide lorsqu'il apprend qu'enfin celle qu'il aime veut l'aimer en retour.
La passion est cette volontéde vouloir rester dans l'enfance.
La mort est l'horizon de toute passion.
Mais dans le même temps la passion estentendue comme le seul moteur de l'existence.
Nous envions ceux qui brûlent de ses feux.
Toute vie paraît bienfade à côté d'une vie de passions.
Pourtant qui se leurre ? Est-ce l'homme d'action qui revendique la passion ? Ouest-ce l'homme contemplatif qui condamne les passions ? Nietzsche écrit dans Aurore, § 519) « Dès que vous voulezagir, vous devez fermer la porte au doute, disait un homme d'action.
Et tu ne crains pas ainsi d'être dupe ? rétorquaun contemplatif.
» L'homme doit-il conduire sa vie selon la raison ou selon la passion ? Car toute passion se voit.
»
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