Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
Publié le 31/01/2020
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Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
Il est aisé de voir que c'est dans cès changements successifs de la constitution humaine qu’il faut chercher la première origine des différences qui distinguent les hommes, lesquels d’un commun aveu sont naturellement aussi égaux entre eux que l’étaient les animaux de chaque espèce, avant que diverses causes physiques eussent introduit dans quelques-unes les variétés que nous y remarquons. En effet, il n’est pas concevable que Cès premiers changements, par quelque moyen qu’ils soient arrivés, aient altéré tout à la fois et de la même manière tous les individus de l'espèce ; mais les uns s’étant perfectionnés ou détériorés, et ayant acquis diverses qualités bonnes ou mauvaises qui n’étaient point inhérentes à leur nature, les autres restèrent plus longtemps dans leur état originel ; et telle fut parmi les hommes la première source de l’inégalité, qu’il est plus aisé de démontrer ainsi en général que d’en assigner avec précision les véritables causes. . *
QUe mes lecteurs ne s’imaginent donc pas que j’ose me flatter d’avoir vu ce qui , me paraît si difficile à voir, l’ai commencé quelques raisonnements. J’ai hasardé quelques conjectures, moins dans l’espoir de résoudre la question que dans . l’intention de l’éclaircir et de la réduire à son véritable état. D’autres pourront aisément aller plus loin dans la même route, sans qu’il Soit facile à personne d’arriver au terme. Car ce n’est pas une légère entreprise de démêler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme, et de bien connaître un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent. .
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COMMENTAIRE DE TEXTE ~35
La première phrase répond par la négative : la source des différences établies
entre les hommes et de la supériorité de certains doit être cherchée « dans ces chan
gements successifs de la constitution humaine» (lignes 1-2).
Rousseau désigne par
cette formule les transformations qu'a connues la nature humaine au fil de l'histoire
des sociétés, par exemple, l'institution de la propriété, du mariage ou de la monnaie.
Remarquons que ces modifications sont profondes car elles affectent la « consti
tution» de l'homme, c'est-à-dire les cadres essentiels de son existence.
Toutefois, si ces changements sont considérables, ils sont pourtant loin d'être
naturels.
Ils sont le fruit de l'histoirè et non pas la conséquence de la nature humaine.
En effet, Rousseau écrit, que les hommes « sont naturellement aussi égaux entre
eux que l'étaient les animaux de chaque espèce» (lignes 3-4).
Il pose un état anté
rieur aux mouvements de l'histoire, l'état de nature, où les hommes étaient à leur
«état brut», dénués des artifices introduits par la culture.
Et ce n'est pas dans cette
situation de pureté naturelle qu'il faut rechercher les causes de l'inégalité, car
Rousseau compare l'état de l'homme« naturel» à celui des animaux.
!.'.homme est
alors entièrement différent de l'homme « culturel » : il ne connaît pas plus de hié
rarchie que les animaux n'en connaissent.
Notons que les différences à la source
de l'inégalité sont introduites (ligne 5), elles sont produites par les circonstances,
par des « causes physiques » (ligne 4).
La conséquence de cette thèse est la suivante : l'inégalité actuelle ne peut trou
ver dans la nature humaine une justification.
Certains, comme Calliclès dans le dia
logue Gorgias de Platon, soutiennent au contraire que l'homme est par nature sujet
à l'inégalité.
La conception rousseauiste d'un état de nature presque animal
s'oppose vigoureusement à cette légitimation de l'inégalité grâce à la notion de
«nature».
La deuxième phrase du texte écarte une objection adressée à la conception « arti
ficialiste »de l'inégalité que propose Rousseau.
Si l'on se place dans l'hypothèse adverse
où les hommes sont par nature inégaux, on aboutit en effet aux yeux de Rousseau,
à une conséquence indéfendable.
Car, dans ce cas, les changements apportés par l'his
toire n'introduiraient pas de différences entre les hommes : ils auraient donc « altéré
tout à la fois et de la même manière tous les individus» (lignes 7-8).
En somme, il fau
drait affirmer que des bouleversements historiques identiques se produisent en même
temps et de la même façon pour tous les hommes.
Or, cela est manifestement inte
nable, dans la mesure où l'histoire est précisément faite d'événements particuliers et
parfois contingents, et non de mouvements universels et nécessaires.
Pour finir ce premier développement, Rousseau explique le mécanisme selon
lequel les hommes passent de l'égalité uniforme de l'état naturel aux différences
hiérarchisées que l'on constate aujourd'hui.
Ces dernières ne sont pas« inhérentes
à leur nature » (ligne 9), mais elles sont acquises (ligne 8).
Parce que l'inégalité est
acquise et non innée, elle prend sa source dans la culture et non dans la nature.
Les
changements issus de l'histoire ne sont pas non plus simultanés.
Les hommes aban
donnent à des rythmes différents l'état de nature, ce qui renforce les décalages entre
les hommes (lignes 10-11 ).
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