Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu'ils n'ont pas écrit une ligne pour l'empêcher. Jean-Paul Sartre.
Publié le 22/02/2012
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emphase plus qu'à montrer avec talent.
Quant aux écrivains de la génération suivante — les représentants dunouveau roman ou de l'avant-garde des années 60 —, ils affirmèrent que l'engagement véritable d'une oeuvre n'estpas à chercher dans le message qu'elle délivre mais dans sa forme littéraire même.
A ce titre, l'oeuvre de Sartreapparaissait beaucoup plus conservatrice que révolutionnaire puisque, s'il en appelait effectivement à la Révolution,Sartre le faisait dans le langage même de la bourgeoisie, en se conformant assez sagement, comme en témoignentpar exemple Les Mots, aux modèles littéraires que la culture bourgeoise lui avait légués.Mais plus intéressante que ces critiques est l'ambiguïté même de la position de Sartre.
Curieusement, les écrivainsqu'il condamne sont souvent ceux-là mêmes qui composent son panthéon personnel.
Proust avait été dénoncécomme l'exemple le plus achevé de « la psychologie intellectualiste » mais sa présence imprègne fortement lesdernières pages de La Nausée.
Mallarmé fut sans doute le plus désengagé des poètes mais Sartre songealonguement à lui consacrer un essai dont ne restent que des fragments dans lesquels, avec virtuosité mais sansvéritablement convaincre, Sartre s'attache à montrer que, par son refus même de la politique, Mallarmé fut le plusabsolu de tous les anarchistes de la fin du XIXe siècle.
Plus que celui de Proust ou de Mallarmé, l'exemple deFlaubert reste le plus significatif.
On a vu la sévérité avec laquelle Sartre traitait l'auteur de Madame Bovary : dansla « Présentation des Temps modernes» tout comme dans Qu'est-ce que la littérature ?, il en faisait l'un descomplices de l'écrasement de la Commune, lui reprochant sa timidité de rentier et sa mentalité de bourgeois.
C'estpourtant à l'oeuvre de Flaubert que Sartre consacra l'un de ses plus importants et volumineux ouvrages : L'Idiot dela famille.Si bien que Sartre — et il le reconnaissait d'ailleurs lui-même — a, toute son existence durant, été comme déchiréentre deux aspirations contradictoires : son indéniable volonté d'engagement et son goût nostalgique d'unelittérature on ne peut plus désengagée.
Alors même que, dans les dernières années de sa vie, il se prenait à rêverd'un nouvel intellectuel qui saurait renoncer à lui-même pour se fondre véritablement avec les masses et servir laRévolution, Sartre conservait encore comme projet essentiel celui d'une biographie dont le héros serait l'un des plusbourgeois des grands écrivains français.Sartre souligne lui-même cette ambiguïté dans un entretien accordé en 1971 au journal Le Monde et reprisaujourd'hui dans Situations X:
«Il y a là une ambiguïté certaine et que j'ai ressentie en composant le livre : d'un côté, aller chercher quelqu'un auXIXe siècle et puis s'occuper de ce qu'il a fait le 18 juin 1838, on peut appeler cela une fuite; d'un autre côté, monbut est de proposer une méthode sur laquelle on pourra ensuite construire une autre méthode et cela, selon moi,c'est contemporain, j'ai l'impression de fuir — peut-être en effet le faisais-je un peu — et si je regarde au contrairela méthode, j'ai le sentiment d'être actuel.»
Au total, les dernières déclarations de Sartre semblent traduire une sorte de désillusion quant aux pouvoirs de lalittérature.
Désillusion qui contraste singulièrement avec l'enthousiasme manifesté dans l'immédiat après-guerre.Sollicité à de nombreuses reprises, Sartre se refusa dans les dernières années de sa vie à écrire un « romanrévolutionnaire » dont il avouait lui-même ne pas voir l'utilité.Interrogé en 1960, Sartre affirmait que la littérature, loin de pouvoir véritablement changer le monde, traduisaitavant tout la volonté de l'écrivain de s'exprimer, de communiquer.
On lit dans Situations IX :
«J'ai perdu bien des illusions littéraires : que la littérature ait une valeur absolue, qu'elle puisse sauver un homme ousimplement changer des hommes (sauf en des circonstances spéciales), tout cela me paraît aujourd'hui périmé :l'écrivain continue à écrire, une fois ces illusions perdues, parce qu'il a, comme disent les psychanalystes, toutinvesti dans l'écriture.
Comme on continue à vivre avec des gens auxquels on ne tient plus, auxquels on tientautrement : parce que c'est la famille.
Mais il me reste une conviction, une seule, dont je ne démordrai pas : écrireest un besoin pour chacun.
C'est la forme la plus haute du besoin de communication.».
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