J.-J. Rousseau, Du contrat social : la volonté générale
Publié le 22/03/2015
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Il s'ensuit de ce qui précède que la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l'utilité publique : mais il ne s'ensuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude. On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours : jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe, et c'est alors seulement qu'il paraît vouloir ce qui est mal.
Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu'à l'intérêt com¬mun, l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de volontés particulières : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s'entredétruisent, reste pour somme des différences la volonté générale.
Si, quand le peuple suffisamment informé délibère, les Citoyens n'avaient aucune communication entre eux, du grand nombre de petites différences résulterait toujours la volonté générale, et la délibération serait toujours bonne. Mais quand il se fait des brigues, des associations partielles aux dépends de la grande, la volonté de chacune de ces associations devient générale par rapport à ses membres, et particulière par rapport à l'État ; on peut dire alors qu'il n'y a plus autant de votants que d'hommes, mais seulement autant que d'associations. Les différences deviennent moins nombreuses et donnent un résul-tat moins général. Enfin quand une de ces associations est si grande qu'elle l'emporte sur toutes les autres, vous n'avez plus pour résultat une somme de petites différences, mais une diffé-rence unique ; alors il n'y a plus de volonté générale, et l'avis qui l'emporte n'est qu'un avis particulier.
Il importe donc pour avoir bien l'énoncé de la volonté géné-rale qu'il n'y ait pas de société partielle dans l'État et que chaque citoyen n'opine que d'après lui.
J.-J. Rousseau, Du contrat social
«
Rousseau, Du contrat social 45
Après avoir construit le fondement des sociétés politiques légitimes
dans
le livre un, le livre deux du Contrat social détermine ce qu'est le
pouvoir souverain.
Les deux premiers chapitres reprennent la caractéris
tique du fondement mis à jour
au livre un : le rejet de toute soumission au
profit d'un pacte d'association.
Lorsqu'ils développent
le caractère inalié
nable et indivisible de la souveraineté, ces deux chapitres soulignent que
la souveraineté
ne peut être représentée -on ne peut, à partir du pacte
social, en venir à se soumettre à
un représentant -et qu'elle ne peut être
limitée par un autre pouvoir.
Elle est tout entière
le pouvoir suprême dans
l'État, et ce pouvoir est absolu.
Le chapitre quatre s'interrogera sur les
bornes de ce pouvoir absolu, et répondra ainsi plus directement au
chapitre deux.
Mais avant de s'interroger sur les bornes d'un tel pouvoir,
il faut bien considérer les modalités de son expression puisqu'il ne peut
plus être question, dans la pensée politique de Rousseau, de résumer la
volonté du peuple à la parole de son représentant.
C'est l'enjeu du chapitre
trois
du livre deux, intitulé « si la volonté générale peut errer».
Ce titre
ne reflète pas immédiatement la question
du dégagement de la volonté
générale et de son expression à partir de chacun des membres composant
le pouvoir souverain.
C'est pourtant bien l'objet du chapitre, qui considère
dans
le premier paragraphe que la rectitude consiste à vouloir son bien.
« On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours » : cet aver
tissement nous renvoie à la thématique de l'amour de soi qui peut être ici,
compte tenu de l'indétermination des pronoms, aussi bien celui de
l'individu recherchant son bonheur mais égaré par l'amour-propre, que
celui du corps politique lui-même dont la volonté générale exprime
le
bien commun, ou que celui, enfin, des individus-citoyens composant ce
corps politique et dont les voix réunies constituent la volonté générale.
Comment ces individus apercevront-ils leur
bien? Cette question répond
en même temps à celle de la rectitude de la volonté générale et à celle de
son dégagement.
L'obstacle à l'expression immédiate du bien est l'occultation de
l'amour de soi par l'amour-propre.
En termes d'intérêts à composer pour
constituer
le bien commun, cet obstacle sera l'intérêt particulier, compris
dans notre texte comme intérêt privé, c'est-à-dire exclusif, s'opposant à
celui d'autrui et donc
mû par l'égoïsme et l'amour-propre.
Il ne peut s'agir
de résumer ici tous les intérêts particuliers à cet intérêt
privé; l'intérêt
commun
ne pourrait plus être alors celui de personne, et loin d'exposer le.
»
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