J.-J. Rousseau, Du contrat social I 8, O.C. III pp. 364-365. Commentaire
Publié le 24/03/2015
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Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C'est alors seulement que la voix du devoir succédant à l'impulsion physique et le droit à l'appétit, l'homme, qui jusque là n'avait regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants. Quoiqu'il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s'exercent et se dévelop¬pent, ses idées s'étendent, ses sentiments s'ennoblissent, son âme tout entière s'élève à tel point, que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en arracha pour jamais, et qui, d'un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme.
Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer. Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre ; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n'a pour bornes que les forces de l'individu, de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale, et la possession qui n'est que l'effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre positif.
On pourrait sur ce qui précède ajouter à l'acquis de l'état civil la liberté morale, qui seule rend l'homme vraiment maître de lui ; car l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéis-sance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté. Mais je n'en ai déjà que trop dit sur cet article, et le sens philosophique du mot liberté n'est pas ici de mon sujet.
J.-J. Rousseau, Du contrat social I 8, O.C. III pp. 364-365.
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Rousseau, Du contrat social 39
Le Contrat social recherche, dans son premier livre, le fondement des
sociétés politiques légitimes.
Après avoir récusé l'origine naturelle des
sociétés politiques ainsi que l'absolutisme contractuel, Rousseau présente
le pacte d'association du chapitre six
comme le seul fondement possible
du politique, et c'est là l'originalité de sa philosophie politique.
Mais
précisément, après avoir démontré, il lui faut convaincre.
Les deux
derniers chapitres du livre un ont à charge de souligner les avantages de
l'état civil ainsi fondé,
quant à la personne au chapitre huit et quant aux
biens au chapitre neuf.
Le chapitre huit est entièrement structuré par cette
démarche visant à persuader l'individu qu'il n'a rien à perdre à rentrer
dans l'état civil rousseauiste : ce chapitre compare des avantages, met en
balance ce que l'on gagne et ce que l'on perd, et cela en adoptant plusieurs
points de vue
sur la vie de l'individu, tant l'indépendance naturelle que la
puissance effective
et la sécurité liées à la vie civile, ou encore la dimen
sion morale,
donnant ainsi pour perspective au politique le perfectionne
ment de la nature humaine.
Ces différents registres, éclairés
par la dimen
sion convaincante de l'écriture, ont fait du chapitre huit la proie de
multiples interprétations.
Rousseau nous parle tout d'abord de l'homme en
général et le premier paragraphe relève autant de la philosophie politique
que
de l'anthropologie.
Mais le deuxième s'adresse à l'individu proprié
taire,
et les considérations anthropologiques sur les différentes formes de
liberté -ici naturelle et civile - ne viennent plus qu'éclairer l'objet
proprement politique concernant la sécurité de la personne et des biens.
Quant au troisième paragraphe, il se borne à s'appuyer sur le fonctionne
ment institutionnel du politique légitime pour articuler vie politique et
moralité-vertu.
Il faut respecter la spécificité de chacun de ces points de
vue sous peine de ne pouvoir bien faire la
somme des différents avantages
de l'état civil.
Une première difficulté consiste à discerner chaque point de vue.
Le
premier paragraphe prend l'homme en général pour objet.
Mais de quel
passage nous parle-t-il, ou plutôt entre quels états de l'évolution humaine
a lieu le passage
en question ? L'auteur louant dans ses écrits antérieurs la
première
et la deuxième étape de l'état de nature, nous donne ici l'homme
naturel comme « animal stupide et borné » ; nous parle-t-il donc de la
troisième étape de l'état de nature ? Mais quels seraient alors les avan
tages
dont l'homme se priverait dans l'état civil et qu'il tiendrait de cet
état ? Il s'agit en fait moins du moment du passage à l'état civil, institution.
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