Imaginer, est-ce la le bonheur ?
Publié le 20/09/2005
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«
Changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde (Descartes).Dans la troisième partie du « Discours de la méthode », Descartes affirme qu'une de ses règles d'action est « de tâcher plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde » (« Fortune » désigne ici le cours changeant de la nature). Pour comprendre cette maxime, qui semble d'un conformisme révoltant, il faut savoir qu'elle fait partie d'une morale « par provision », c'est-à-dire qu'elle ne correspond pas à la morale définitive de Descartes , mais s'intègre à un ensemble de règles provisoires et révisables, dictées par l'urgence de la vie et de l'action, alors même que la raison et la recherche recommandent la prudence.Le « Discours de la méthode » présente la biographie intellectuelle de l'auteur, et les principaux résultats auxquels il est parvenu par une démarche aussi singulière que révolutionnaire.
Afin de parvenir à une certitude absolue et indubitable, Descartes décide de remettre au moins temporairement en cause la totalité de ses opinions.
Pour parvenir « à la connaissance vraie de tout ce qui est utile à la vie », il se voit obligé de rejeter la totalité de ce qu'il avait cru. Dans les « Méditations », il décrit ainsi son attitude : « Je suppose que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n'a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de songes me représente ; je pense n'avoir aucun sens... ». Il faut comprendre que ce doute est une démarche intellectuelle qui a pour but de détruire le « palais » de l'ancienne métaphysique, qui n'était bâti que « sur du sable et de la boue », pour reconnaître le véritable palais des sciences sur le roc de la certitude. Mais une question nouvelle apparaît : pendant que je détruis mon ancienne demeure, pour en reconstruire une nouvelle, où vais-je loger ? « Car ce n'est pas assez, avant de recommencer à rebâtir le logis où l'on demeure, que de l'abattre [...] il faut aussi s'être pourvu de quelque autre où o puisse être logé commodémentpendant le temps qu'on y travaillera. » Pendant que le doute m'oblige à n'admettre aucun principe, comment vais-je vivre, et vivre au milieu des autres, sur quels principes vais-je régler mes actes, moi qui rejette tous les principes ? Sur quels critères vais-je choisir d'agir, pendant que je doute de tout ? La démarche intellectuelle de Descartes l'oblige à être irrésolu en ses jugements, de tout passer au crible du doute, mais « les actions de la vie ne souffrent aucun délai .
» « Ainsi, afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions pendant que la raison m'obligerait de l'être en mes jugements, et que je ne laissasse pas de vivre dès lors aussi heureusementque je pourrais, je formais une morale par provision. » La morale par provision consiste à se donner des règles d'action, temporaires et révisables, pour vivre et agir de façon décidée et résolue, alors même que le doute me contraint à ne rienadmettre pour vrai.
On est là à un moment très particulier de la démarche cartésienne ; un moment où le divorce est possible entre raison & action.
Ce qui prime dans l'ordre de laconnaissance c'est la vérité.
Et elle impose le doute, la patience, la circonspection.
Ce qui prime dans l'action, c'est la résolution, c'est de savoir prendre partie s'y tenir face à l'urgence de lavie.
La morale par provision ne correspond qu'à un moment précis de la vie : celui où j'entreprends une réforme intellectuelle totale alors même qu'il me faut continuer à agir.Elle est nécessaire au moment où mes actes ne peuvent pas encore parfaitement correspondre à la vérité, et ceci parce que je cherche une vérité que je n'ai pas encore atteinte.
Les règles dela morale par provision ou « morale provisoire » sont donc par essence révisables, et Descartes récrira une morale une fois sa métaphysique et sa physique fondées.
Pour l'instant, il s'agit de se donner les maximes les plus prudentes et les plus aptes à m'assurer le contentement, alors même que je ne dispose d'aucun principe ferme pour guider mon action.
Si l'on reprend lamétaphore de Descartes , elles correspondent à cette maison dans laquelle j'habite temporairement, pendant que je reconstruis mon palais. La première maxime de Descartes recommande un conformisme extérieur : puisque rien ne me dit quelles moeurs ou quelle religion adopter en toute connaissance de cause, autant m'en tenir à celles de mon pays.
Ce conformisme n'est que la façade et n'implique aucune adhésion intérieure.
La seconde maxime consiste en un usage ferme et constant de la volonté ; une foisune décision prise, il ne faut pas en démordre.
Si je me perds en forêt, il me faudra bien choisir, fut-ce au hasard, une direction, et si je veux ne pas m'égarer complètement, m'y tenir.La troisième maxime est : « de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune et à changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde ».
Descartes affirme que cette règle est aussi facile à comprendre que difficile à appliquer.
En fait, il s'agit là d'une maxime d'inspiration stoïcienne, quasi directement recopiée d' Epictète , et qui nous invite à faire le départage entre : · d'une part ce qui dépend de nous, ce sur quoi nous avons un pouvoir ; · d'autre part ce qui ne dépend pas de nous, et dont nous devons nous exercer à ce qu'il ne nous touche en aucune façon. Le but que poursuivent les stoïciens, et Descartes ici, est de nous rendre les plus indépendants possibles des coups du sort, d'assurer au sujet la plus grande autonomie possible.
Or pour cela il faut NOUS vaincre, plutôt que de nous en prendre à la fortune (au mode, au hasard) et changer nos désirs plutôt que de sombrer dans l'illusion de remodeler le mode suivant nos projets.Comme le déclare Epictète : « Ce n'est pas en satisfaisant nos désirs que l'on se fait libre, mais en détruisant les désirs. » On voit ici naître l'opposition entre le sujet et la fortune, ses désirs et le monde.
En fait, il faut d'abord savoir faire la différence entre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas, compternos propres forces, et les mesurer à celles du monde qui nous fait face.Ce qui m'appartient en propre et sur quoi j'ai un pouvoir, c'est moi-même, mes désirs, mes pensées, l'initiative de mes actes.Par contre, les choses extérieures, ce qui prend pour moi la forme du hasard, l'action des autres, les conséquences de mes actes, tout cela échappe à mon contrôle, dépasse mon pouvoir.Or, aussi évident que cela paraisse, les hommes n'ont pas conscience de cette opposition.
Comme le fait remarquer Descartes , nous ne désirons que ce qui nous semble possible.
Seuls les fous, c'est-à-dire ceux dont la raison est égarée, voudraient avoir des corps de diamant ou des ailes pour voler.
De même, je ne désire pas devenir roi du Mexique, parce que j'ai clairementconscience que cela est impossible.
Par suite je ne souffre pas de ne pas pouvoir accéder à la royauté.
Comment se fait-il alors que je désire être en bonne santé étant malade, ou libre étanten prison ? C'est que je continue à croire possible la santé et la liberté qui ne dépendent pas entièrement de moi.
Je souffre donc inutilement, dans la mesure où je ne comprends pas que ceque je désire est en fait impossible et hors de mon pouvoir.C'est pourquoi Descartes déclare qu'il lui a fallu : « [s'] accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait de notre mieux, touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est, au regard de nous, absolument impossible. » Une fois que j'ai fait au mieux, par exemple, que j'ai adopté toutes les règles d'une vie saine, si mon objectif n'est pas atteint, la santé, je dois considérer qu'il n'était absolument pas possiblede l'atteindre.
Cela n'était pas en mon pouvoir.
Je ne suis pas responsable des conséquences non voulues ou non prévisibles de mes actes.
Cela relève de l'intervention du hasard, ou desactions des autres, sur lesquels je n'ai aucune prise.
Il est donc vain de continuer à espérer, ou à me faire des reproches, cela est impossible pour moi.Il s'agit d'une reprise de la maxime d' Epictète : « Ne désire pas que les choses arrivent comme tu le désires, mais désire qu'elles arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux . » Cela ne signifie pas qu'il faut ne rien faire ou ne rien entreprendre ; il faut à l'inverse, comme le dit Descartes « faire de notre mieux ».
Mais il faut comprendre qu'une fois que j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, je ne peux plus rien désirer.L'inverse serait croire que le destin ou le monde peuvent s'ordonner selon mes désirs, serait demander que les choses arrivent comme je le désire, ce qui est absurde.
C'est demanderl'impossible ou se prendre pour un Dieu qui aurait tout pouvoir sur le monde.
J'ai tout pouvoir sur mes pensées, mais le résultat de mes actions ou de mes actes ne dépend pas entièrement niabsolument de moi, il dépend de l'ordre entier de l'univers qui m'échappe.Appliquer cette règle difficile, c'est selon Descartes parvenir à ce que « nous ne désirons pas davantage être sains, étant malades ou être libres, étant en prison, que nous ne faisons maintenant d'avoir des corps d'une matière aussi incorruptible que les diamants [...] Mais je crois qu'il est besoin d'un long exercice et d'une méditation souvent réitérée, pour s'accoutumer àregarder de ce biais toutes les choses. » La maxime de Descartes reprend des stoïciens : « Changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde » s'est vue opposer en mai 68 le fameux « désirez l'impossible ».
Soucieux de mettre l'individu à l'abri des coups du sort, de lui épargner les désirs et les remords inutiles, Descartes tend à nous dire qu'il faut « aimer le réel » ou du moins l'accepter, une fois qu'on a fait ce que l'on pouvait.
Cette règle de conduite extrêmement exigeante doit d'abord nous rappeler que les conséquences de nos actes et de nos décisions nous échappent, ne dépendent pas entièrementde nous, que nous sommes pris dans un réseau d'actions qui modifient nos initiatives, nos projets, nos désirs.La morale des stoïciens donne comme « solution » un retrait orgueilleux dans la maîtrise de la pensée, un désinvestissement du monde.
Ce n'est pour Descartes qu'une étape, qu'une règle de la morale provisoire, celle qui est nécessaire pour conjuguer la prudence et la rigueur intellectuelle avec l'urgence de la vie.
Le dernier mot de Descartes réside dans ce qu'il nomme « générosité », et qui permet à chacun de gagner l'estime de soi-même.
L'homme est généreux quand « il sent en soi-même une ferme et constante résolution de bien user (de son libre- arbitre) cad de ne jamais manquer de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu'il jugera être les meilleures : ce qui est suivre parfaitement la vertu.
»
Tout homme, remarque Aristote, cherche à faire son bonheur qui est le souverain bien (Éthique à Nicomaque, liv.
I, 2).
En tant que souverain bien, le bonheur est la fin (le but) de la viehumaine, c'est-à-dire ce qui est recherché pour lui-même et non en vue d'autre chose.
Mais qu'est-ce qui permet de définir le bonheur et d'en faire l'expérience ? Aristote démontrera qu'endépit de toutes les divergences à propos de la nature du bonheur, seul l'usage de la raison permet d'y atteindre.
Quel est le lien de la raison et du bonheur ?L'eudémonisme propose une morale fondée sur le bonheur conçu comme fin (but) de l'activité qui consiste en une réalisation de sa nature.
L'homme heureux est celui qui réalise sa nature, quiaccomplit sa fonction, sa tâche ou encore son oeuvre, c'est-à-dire ce pour quoi il est fait.
Or, son oeuvre se trouve dans le développement de sa raison, de la partie rationnelle et raisonnablede son âme.
En tant qu'homme, son essence est d'agir selon sa raison, et c'est l'accomplissement de cette essence qui peut lui procurer le bonheur.On oppose en général l'eudémonisme comme morale aristotélicienne et stoïcienne du bonheur à l'hédonisme comme morale épicurienne du plaisir.
Mais.
il convient de ne pas faire del'épicurisme une doctrine qui enseigne à satisfaire tous les plaisirs.
Seuls les plaisir qui peuvent produire le bonheur.
c'est-à-dire l'ataraxie (absence de troubles de l'âme et du corps) doiventêtre recherchés et la raison distinguera, en vue d'assurer à l'homme un vrai bonheur.
les désirs qui peuvent être satisfait de ceux qui ne le doivent pas.
« Parce que le plaisir est notre seule fin,tout plaisir ne doit pas être recherché ».
car il y a des plaisirs qui entraînent des souffrances.
des troubles qui contredisent le principe même du plaisir qui est la vie heureuse et paisible (Épicure.Lettre à Ménécée)..
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